Mois : février 2023

Familles, Ecole, Quartier, quel « Terrain d’Entente « ? Entretien avec la Revue Alternative Non violente

Josiane, tu as créé l’association Terrain d’Entente, dans un quartier populaire de Saint-Etienne, inspirée de la pédagogie sociale. Peux-tu nous décrire ce dont il s’agit et en quoi cette association vient en aide aux familles ?

Alors qu’on s’occupait d’une association d’aide aux adultes nouvellement arrivés en France, des enfants sont venus nous voir pour nous dire qu’il n’y avait rien pour eux. Les structures de loisirs étaient effectivement complètes, les inscriptions représentaient parfois trop de contraintes pour les parents… C’est à ce moment-là que j’ai découvert Laurent Ott qui a ouvert le champ de la pédagogie sociale en France. Il met en évidence le fait que de plus en plus d’enfants se retrouvent dans l’espace public plus ou moins livrés à eux-mêmes, pas suffisamment protégés par les adultes. J’ai aussi trouvé très intéressant son constat que les parents ne sont pas que des parents. Ils sont aussi des adultes avec plein de choses à régler pour eux-mêmes, qui ont des préoccupations quotidiennes. Pour lui, tous les acteurs du champ éducatif sont censés être collectivement responsables de l’éducation et de la protection des enfants. Gérer cette responsabilité collective m’a énormément interpellée. A cette époque, je venais de quitter le Conseil départemental en tant qu’infirmière puéricultrice et je m’inquiétais de l’évolution de cette institution qui devenait de plus en plus normative.

L’idée de la pédagogie sociale est d’aller à la rencontre des gens, de les retrouver sur l ‘espace public et de faire un immense effort de compréhension de ce qui se manifeste. Les gens vont m’apprendre des choses que j’ignore, et bien souvent vont livrer des difficultés qui relèvent de notre responsabilité collectives, qui sont nos affaires sociales, qui renvoient aux rapports d’inégalité, d’injustice, de dignité, d’accès aux droits pour tous. Le pédagogue social est amené à s’engager, s’impliquer avec les personnes pour tenter de résoudre ces situations inacceptables. C’est une tentative pour reconstruire une relation égalitaire, d’adulte à adulte, de construire ensemble une communauté éducative pour nous occuper des toutes ces affaires qui concernent le bien être et la sécurité des enfants, des jeunes, de construire collectivement les choses à partir de cette réalité.

On a donc créé Terrain d’entente en Avril 2011 dans un quartier dit prioritaire de Saint-Etienne. Au début on proposait des ateliers de rue aux enfants, avec des jeux diversifiés pour tous les âges, dans l’espace public aux pieds des immeubles . On est présent toute l’année, par tous les temps. En l’espace de 2-3 semaines, les parents sont descendus de l’immeuble, pour nous dire qu’il n’avait pas l’opportunité de jouer avec leurs enfants mais qu’avec des adultes présents sur cet espace public, ils se sentaient rassurés pour les laisser nous rejoindre. Cela leur évitera de garder leurs enfants enfermés à l’intérieur de chez eux. Notre volonté est d’accueillir les choses comme elles arrivent, sans intentions sur la façon dont les relations devraient évoluer, sur les actions à développer, mais avec une grande attention à ce qui se manifeste pour comprendre les aspirations, les besoins, les difficultés. On ne cherche par exemple pas à toucher les parents par le biais d’activités proposées à leurs enfants. Cela nous mène dans des espaces que je n’aurai jamais imaginé atteindre. Notre seul objectif est de rejoindre les gens. C’est beaucoup plus ajusté et moins coûteux en énergie car on n’est jamais déçu puisqu’on n’a pas d’objectifs à atteindre. On développe ainsi collectivement des savoirs et des savoirs faire

Combien de personnes êtes-vous à Terrain d’entente ?

On a un salarié à 35h au SMIC, parfois des services civiques. Depuis 11 ans, on est dans une immense précarité, nos revenus sont insuffisants. Ca nous rend très vulnérables. Et puis on a a une poignée de bénévoles mais c’est très fragile. C’est une présence très exigeante, pas toujours très gratifiante, parfois tendue… Par contre, la force du collectif nous donne l’énergie d’entreprendre des choses ensemble.

La pédagogie sociale, c’est une pédagogie de l’urgence sociale. C’est dire qu’on est là où ça va le plus mal, pour interpeller, pour mettre en évidence. Ca permet de rendre visible ce qui est caché et de mettre en route…

Comment est vécue la relation à l’école pour ces familles ?

Mon ressenti c’est que dès l’école maternelle, ces parents sont confrontés à des difficultés, à des incompréhensions, à des confrontations souvent douloureuses où on leur signifient qu’ils ne correspondent pas aux attendus. Les enseignants veulent bien faire, mais trop souvent ce sont des rendez-vous loupés. Et pourtant l’école occupe une place centrale dans les préoccupations des familles. La démarche 1001 territoires nous avait permis d’échanger sur un pied d’égalité entre parents, enseignants, structures d’éducation populaire… et puis ça s’est épuisé, petit à petit les rôles « sachant / ignorant» ont été repris. Les parents sont souvent essoufflés par un quotidien de galère. La « charge mentale » est colossale, il ne reste pas beaucoup de place pour s’occuper de l’éducation des enfants.

Georges, tu travailles au sein d’une grande institution, l’Education Nationale ? Peux-tu nous décrire de quel point de vue tu te places dans cette institution ?

Je fais fonction de direction dans une SEGPA au collège, auprès d’enfants en grande difficulté scolaire. Ces enfants n’ont pas réussi à être dans les clous à la fin de la scolarité primaire. Sociologiquement, on a beaucoup d’enfants dont les familles sont très démunies. L’un des marqueurs de l’échec scolaire, c’est la misère sociale, c’est aussi l’éloignement avec la langue française. L’école française est bâtie sur la base de la maitrise du français. Un gamin loin du français, c’est un gamin loin de l’école…

Pour beaucoup de parents avoir leur enfant en Segpa, c’est vécu comme un échec. Quand ces familles s’inscrivent, j’essaye d’accueillir cette « non-volonté » d’être là, leur peur, leur honte. Quand l’enfant rencontre des problèmes de discipline, j’essaye de mettre les parents dans le coup, avec nous « institution ». Ils ont fait de leur mieux pour éduquer cet enfant, l’échec est commun car l’institution elle aussi est en difficulté. Institutionnellement, l’école a un catalogue de « peines », mais elle n’a pas vraiment de regard sur où est la transgression… Les normes réglementaires c’est bien, mais un peu de créativité est possible aussi !

Josiane, tu as lancé avec d’autres une démarche autour de la coéducation à Saint-Etienne ? Peux-tu nous dire en quoi cette démarche te semble essentielle notamment avec pour les familles auprès desquelles tu es présente quotidiennement ? Quel sens y donnes-tu ?

L’école porte une charge lourde et intenable. Elle ne peut pas tout pour les enfants. Je suis convaincue qu’on irait tous bien mieux, si tous les acteurs du champ éducatif cohabitaient en toute intelligence. Les parents font certes face à des réalités sociales difficiles et complexes, mais sont prêts à collaborer. Dans tous ces espaces d’éducation, les gens ont des compétences et des connaissances. Isolé on est très en souffrance, et souvent impuissants, alors que réunis, on est plus en capacité d’assurer une cohérence éducative qui tient compte de la diversité des besoins des enfants et de leurs aptitudes. On pourrait réunir notre forces, avec la participation active des parents.

Georges, quelle vision as-tu, au sein de l’institution Education nationale, de l’accompagnement des familles dites précaires ? Est-ce qu’une démarche de coéducation te semble possible ?

La coéducation est une des choses que notre société est en train de rater. On ne s’occupe pas des enfants. La fonction d’adultes n’existe plus. Bien sûr la coéducation est nécessaire, ni l’école, ni les familles seules n’y arriveront. Si société ne réfléchit pas sur notre responsabilité à tous, on n’y arrivera pas. Il faut voir la difficulté à trouver stage de 3 jours pour nos jeunes ! Et inversement après le confinement beaucoup d’enfants ont disparu, ils ne sont plus dehors. Les parents les préfèrent dedans, devant un écran, que dehors…

La coéducation, ça a l’air intéressant sur le papier, mais n’y a-t-il pas des limites, des difficultés à accepter le cadre d’intervention de l’autre, et à accepter les différences dans la prise en charge ou l’accompagnement de ses familles ? Comment les « cadres » respectifs de chacun peuvent cohabiter voire s’enrichir ensemble ?

Josiane : Bien sûr, les tensions sont inévitables. Mais la coéducation c’est surtout de l’enthousiasme. Cela créé une dynamique pour ne plus subir l’écrasement. Cela permet de se sentir davantage acteur de son travail, de son champ d’action. Quand on est isolé, on est facilement en souffrance et on ne produit que très peu de choses adaptées et efficaces pour les enfants, pour leur éducation et pour leur protection. Alors que, réunis autour d’une même table, c’est évident qu’on est capable de faire du bien meilleur boulot.

Frédéric JESU, qui est pédospychiatre, formateur, nous a invités à faire cette démarche par étape, en commençant par des rencontres entre pairs : les enseignants ensemble, les parents ensemble… Lors de la rencontre des différents groupes de pairs, il faut voir l’enthousiasme des différents acteurs à se projeter sur un autre possible, à ouvrir leur regard. Je me souviens aussi de l’enthousiasme de ces mères qui avaient envie d’aider à l’école pour que tout se passe bien… Par contre, le cadre, la posture est nécessaire pour que chacun ne se sente pas jugé par les autres, se sente l’autorisation d’être comme il est, et d’avancer dans un objectif commun, celui du bien-être des enfants, celui qui encourage les enfants dans leurs efforts, à l’écoute de leur désir. La carte à jouer, c’est la place des familles dans toutes ces instances…

Par contre, loin d’être idyllique, c’est même plus qu’insatisfaisant aujourd’hui. Je ressens un tel écrasement des uns et des autres, les acteurs n’ont plus la maîtrise de leur expertise car ce n’est pas prévu par les institutions, par les financeurs… Ca peut devenir dramatique dans les quartiers. On a tout à gagner à tenter des expériences.

Georges : L’évolution de la société, avec des machines qui ont remplacé les cantonniers, les caissières… a créé un délitement dans les liens, dans ces liens qui faisaient éducation auprès de nos enfants. L’éducation, ce n’est pas que l’école et les parents…

Josiane : J’ai beaucoup aimé le livre de Fatima Ouassak, politologue et habitante de Roubaix, qui a écrit « la puissance des mères ». Elle parle du pouvoir des femmes qui bien qu’invisibles la plupart du temps et cantonnées à des tâches du quotidien, sont capables de se mobiliser pour leurs enfants et de dénoncer les violences. Elles sont capables d’interpeller la société sur des questions graves liées à leurs enfants. Elles sont des acteurs politiques.

Georges : Je renvoie souvent aux parents leurs compétences à prendre soin de leurs enfants, sur des choses qui peuvent paraître basiques, laver les vêtements de leurs enfants par exemple, car ça n’est jamais valorisé, alors que ça n’est pas rien dans leur quotidien.

Quel serait le modèle de société, le modèle institutionnel idéal pour faire avancer la prise en charge des problématiques de précarité chez les familles de manière constructive ?

Josiane : On voit effectivement des situations familiales s’aggraver. C’est une vraie question politique. Les services publics chutent, les questions sur la recherche de l’emploi créent de vraies tensions. La situation des plus précaires évolue dramatiquement… Et pourtant ces familles sont de véritables forces vives, elles s’arqueboutent pour tenir et ne pas s’enfoncer. Il faudrait réhausser les plus bas revenus, redonner le sentiment de dignité pour que chacun puisse subvenir à ses propres besoins par son travail… Chacun a besoin d’être reconnu par un travail, avec des revenus suffisants pour vivre. Il faut sortir du néo-libéralisme.

Georges : il y a un pan institutionnel défaillant à qui redonner de la force, de la formation, notamment aux soins psys, aux diagnostics précoces pour cerner la difficulté de l’enfant, accompagnement des enfants et les parents dans leurs difficultés… Quand il faut attendre un an pour avoir un RDV de bilan, les familles sont déboussolées, abandonnées. Il manque des professionnels pour prendre en charge ces enfants… Il y a un prix à payer pour le soin et l’éducatif. Il y a des besoins, et des relais nécessaires : des éducateurs, des psychologues, des policiers, des magistrats, des structures d’accompagnement social…

Entretien réalisé par Arianne Fabien Septembre 2022 (Dossier N° 204)

Publié par Terrain D'entente dans Article de Presse, 0 commentaire

  Le projet Cité Educative, les besoins recensés à Tarentaise par Terrain d’Entente

  Nous sommes très inquiets de l’évolution de la situation des habitants du quartier depuis le premier confinement. La précarité s’aggrave pour de nombreuses familles qui cumulent des difficultés parfois insolubles. Les enfants et les jeunes en sont les premières victimes.

Dans le cadre du projet « cité éducative » il est prévu un accès à une grande diversité d’activités artistiques et culturelles sur ce territoire. Et nous nous questionnons sur l’accessibilité de ces différentes activités à tous les habitants du territoire.

Nous savons que de plus en plus de familles n’ont plus la possibilité d’inscrire leurs enfants ne serait-ce qu’au centre de loisir faute de moyens financiers (de plus en plus sont contraintes de monter des dossiers de surendettement pour assurer les besoins élémentaires, beaucoup font également la demande de colis alimentaires). Terrain d’Entente s’adresse en priorité à toutes ces familles qui ne sont plus inscrites, ou très peu,  dans les structures existantes.

Un exemple parmi bien d’autres: une dizaine de familles souhaitent inscrire leurs enfants à l’atelier chant/percussion qui était prévu pour les vacances de Février à la Comète. Le minimum de 20 euros demandé pour pouvoir y prétendre  représente pour toutes une sommes insoutenable.

 

Nous n’avons aucune connaissance du projet « cité éducative » dans sa globalité. Nous souhaitons attirer votre attention sur ce que nous comprenons des besoins et de ce qu’il nous parait urgent à mettre en oeuvre pour répondre aux enjeux éducatifs.

Bien sûr ces réflexions et constats, nous les faisons à partir de notre propre expérience. Nous pensons qu’il serait vraiment souhaitable de pouvoir approfondir le partage de nos expériences  avec les autres structures agissantes sur le quartier et avec les élus concernés.

 

Le soutien scolaire: depuis le dernier confinement du mois de Novembre, nous avons pu développer 3 temps pour accueillir les enfants d’âge primaire et les collégiens avec un nombre d’adultes conséquent et compétents pour assurer cette présence.  Le bilan actuel va bien au-delà de nos projections :

– Le nombre d’enfants présents est extraordinaire, il pourrait être encore plus important si nous communiquions davantage.

– En l’espace d’un mois nous avons noté des évolutions réelles pour plusieurs enfants qui ont repris confiance dans leur capacité et qui retrouvent du plaisir à apprendre. Ils fréquentent de manière assidue ces différents temps. Leur participation est active, ils développent de l’autonomie dans la gestion du travail scolaire et respectent les règles établies. De nombreux parents et certains enseignants ont fait des retours positifs sur l’évolution de leur comportement.

– La demande s’est intensifiée au fil des semaines, beaucoup trop d’enfants réclament ces temps d’accueil et nous n’avons pas les moyens matériels et humains pour faire face à toutes ces demandes. Nous ne sommes pas sûr de pouvoir maintenir ce rythme tout au long des semaines, ce que nous déplorons compte tenu de la demande et de ce que cette présence favorise.

– Il faudrait développer ces temps chaque jours de la semaine dans les différentes structures du quartier et prévoir des adultes qualifiés pour assurer cet accueil pour tous les enfants qui en ont besoin.

 

Présence après l’école: certains enfants ont besoin d’activités plus dynamiques quand ils ont terminé leur journée scolaire. Nous avons entrepris le Mardi soir après l’école un temps de présence sur l’espace Jean Ferrat pour assurer un temps d’initiation aux pratiques sportives (foot, vélo, rollers). Beaucoup d’enfants ne bénéficient  pas de pratique sportive régulière tout au long de l’année.

Nous sommes très volontaires pour nous saisir de ce qui est financé dans le cadre de cité éducative et participer aux différentes initiatives (Vélo en Quartier, Centre Explora, la Comète..) mais nous manquons de force pour assurer tous les liens et les accompagnements nécessaires.

Il faudrait assurer ce temps de présence après l’école chaque jours de la semaine et prévoir d’autres  initiations sportives et culturelles, sur d’autres espaces, avec d’autres équipes d’animateurs.

 

La difficultés récurrente des jeunes. Certains adolescents partent à la dérive. Ce constat est partagé avec le centre social,  l’amicale laïque et l’ACARS.

Beaucoup sont en difficulté scolaire et ne trouvent pas de sens à poursuivre des études, les orientation scolaires se font souvent par défaut. Ils expriment un vécu quotidien de « galère », des temps qui sont vides de sens. Ils sont confrontés parfois à un environnement violent, témoins ou victimes d’actes délinquants. L’absence de perspectives expose ces adolescents fragiles à la tentation de participer eux mêmes à des actes délictueux. Certains ont déjà connu des interpellations policières et ont un casier judiciaire, des évictions scolaires de longue durée. A 13 ans, beaucoup d’entre eux fument régulièrement du canabis et contribuent à sa diffusion.

Le manque d’activité et leurs difficultés à s’intégrer collectivement à l’extérieur du quartier est souvent manifesté. Certains n’ont aucune opportunité de rencontre, de découverte et d’échanges sur d’autres façons de vivre et de comprendre la réalité … Et ceci contribue à cet enfermement et cet isolement.

 

Les liens de confiance que nous avons construits avec eux tout au long de ces années, nous ont permis de nous ajuster à certains de leurs besoins.

Chaque Jeudi de 17h à 19h, nous ouvrons le café des ados. Ce temps de présence est l’occasion de prendre en compte les difficultés manifestées par ces jeunes et d’assurer des accompagnements indispensables pour régler avec eux des problèmes concrets. Cet accueil a lieu salle Descours, qui est une salle polyvalente à disposition de nombreuses associations.

Il est important qu’un espace dédié aux jeunes soit ouvert tout au long de la semaine et qu’un travail puisse être coordonné entre les différents acteurs du champ éducatif du territoire.

Nous avions entrepris des rencontres dans le cadre du foot à 7 qui permettaient à une dizaine de jeunes de se confronter avec d’autres équipes sur le département. Ces rencontres hebdomadaires sont l’occasion de renforcer le cadre éducatif de ces jeunes, de leur permettre de se confronter à d’autres réalités. L’éducateur du Babet réalisait un travail semblable.  Le nombre de jeunes en demande nécessite d’augmenter ces propositions de façon très conséquente.

Nous organisons également à partir du printemps des week end dans un espace partagé entre plusieurs collectifs pour réhabiliter un lieu destiné aux vacances d’été. Nous faisons chaque fois un bilan positif de ces expériences, avec les jeunes impliqués. Mais elles restent trop exceptionnelles pour apporter un réel bénéfice à ces jeunes « en galère ».  Il est également nécessaire de démultiplier ces opportunités de sortie du quartier, tout au long de l’année.

Nous faisons les mêmes constats positifs de nos séjours vacances et nous ne sommes pas en mesure de combler les besoins de tous les jeunes. Ce qui est proposé sur le territoire reste très insuffisant. Ces constats sont confirmés par plusieurs adultes habitants du territoire qui sont très inquiets de l’évolution des adolescents et des actes délictueux qu’ils commettent de plus en plus jeunes.

 

Beaucoup sont très en demande pour trouver de quoi se faire un petit pécule pour réaliser des projets. Les chantiers de l’ACARS existent et accueillent les jeunes qui en font la demande mais ils restent également très insuffisants pour répondre à tous. Le deal devient une solution pour beaucoup. Le Centre Rimbaud développe également ces propositions de chantier et déplore le manque de moyens pour faire face aux besoins.

Plusieurs aimeraient également faire des formations. Le BAFA intéressent certains mais le coût reste inaccessible pour tous ceux que nous connaissons. Il faudrait qu’ils puissent être encouragés financièrement dans leur démarche de formation.

 

Le soutien à la parentalité.

Nous nous adressons à des adultes dont les difficultés s’aggravent. Plusieurs développent des maladies chroniques, des dépressions. Nous nous efforçons, dans le cadre du café des femmes de développer des ateliers « bien être » de façon à favoriser des temps de ressourcement.  Nous sommes en lien avec la médiatrice santé qui souhaite soutenir cette démarche.  Nous sommes convaincus de contribuer ainsi à l’amélioration  du climat familial qui peut devenir tendu. Il est indispensable de construire des espaces de rencontre et de convivialité tout au long de la semaine, en direction des adultes.

Septembre 2021

Publié par Terrain D'entente dans Co-éducation et communauté éducative, 0 commentaire

Les jeunes et leur émancipation

Les relations se tissent à partir de notre présence sur le terrain. On rencontre les jeunes là où ils se retrouvent pour tenter de comprendre comment ça va pour eux. A partir de ce qu’ils nous livrent, des accompagnements individuels se mettent en place.

Nous sommes extrêmement vigilants à ne pas faire à leur place et à sentir quand il est possible de leur lâcher la main. Nous sommes dans cette tension permanente entre tenir les mains et les lâcher. Pour toutes les nouvelles démarches à entreprendre ce qui est redouté par tous les jeunes, c’est de « se faire remballer ». C’est un risque qu’on évite de leur faire prendre parce qu’ils sont découragés avant d’avoir tenter la moindre démarche. Avec cette peur chevillée au corps de reproduire sans cesse l’expérience que pour eux, il n’y a rien de possible. On ressent cette absence de confiance constante, même avec des jeunes dont le cursus scolaire est satisfaisant. C’est une sorte de dynamique du « quartier » lui même. Quand on vit à Tarentaize, on imagine qu’il n’y a pas la moindre chance de ne pas reproduire l’héritage des galères qui se manifestent de partout, parmi tous les habitants, dans chaque famille.

Parfois pour un appel téléphonique, nous assurons la première prise de contact, les premiers mots qui s’échangent avec l’interlocuteur. Au fil de la conversation, il est possible ou pas au jeune de prendre le relais et de parler de ses attentes. Si cette première crainte est dépassée il s’enhardit et est prêt à décrocher de lui même le téléphone si nous sommes présents à ses côtés puis à prendre seul l’initiative et à nous faire le retour de cet échange. Cette mise en lien nous parait essentielle pour rendre possible quelque chose de différent . Nous savons que ce que le jeune a pu faire avec l’adulte, demain il pourra le faire seul. A condition de prendre au sérieux toutes les envies qui se manifestent. Discuter de tout, ne pas mettre en avant les freins. Donner du temps au temps.

Concernant la rédaction des lettres de motivation, pour beaucoup l’obstacle est considérable  Chacun peut écrire son nom et son prénom et pour certains, pas plus. Si on n’y prend garde, ceux là vont préférer renoncer à réaliser cette démarche plutôt que d’ avouer leur incapacité à formuler, à trouver les mots, à écrire…. Il nous faut parfois être très réactifs et trouver la possibilité d’agir dans l’urgence pour traverser avec eux cette épreuve et éviter un nouvel échec. Nous sommes confrontés à l’incompréhension de ces phénomènes par les agents en charge des différents dispositifs d’accompagnement et nous sommes trop souvent témoins de RDV manqués sans lendemains possibles. Il ne nous est pas possible d’orienter des jeunes sur des dispositifs, il nous faut les découvrir avec eux. Offrir cette présence qui réassure, une présence identifiée et reconnue comme protectrice, sûre, fiable.

Nous nous efforçons de prendre le relais de tout ce qui fait frein, tout en sachant laisser la place, encourager la prise d’initiative , en jouant le filet de sécurité.

Nous mesurons ce principe « d’incompétence acquise » du fait de ce fréquent cumule des échecs, avec beaucoup de ces jeunes avec lesquels nous tentons de cheminer. Nous comprenons que la confiance et l’estime de soi ne sont pas possibles sans expériences régulières de réussite qu’elle quelle soit. Pour beaucoup de ces enfants, perdre à un jeu c’est dramatique, ça signifie « je vais finir en SEGPA, je vais rien réussir, j’aurai pas de travail…. » leur faire vivre toutes les expériences possibles de réussite reste pour nous un objectif central. On recherche toutes les conditions pour que chacun prenne conscience de ses propres aptitudes. Le travail scolaire est d’autant plus facilité quand on a fait des expériences de  réussite. Le collectif est une ressource, une force. Parce qu’il y a les autres, les copains, on sort de chez soi, une dynamique se crée, portée par notre encadrement. Dans ces conditions là, chacun est prêt à participer. Quand c’est un projet qui part d’eux , ils sont prêts à y mettre le paquet pour le défendre, pour s’y investir.

L’ expérience du Café des ados. Il est ouvert chaque semaine et plusieurs adultes sont présents pour l’accueil. Nous tenons notre rôle de régulateur à travers les différents ateliers qui s’organisent au gré des envies : jeux type « loup garou », CV, Discussions…. Une « Table ronde » se constitue que tout le monde peut animer.    Nous nous efforçons de créer un climat où tout se parle sans tabou, et personne ne détient la vérité. Un temps de parole où chacun exprime sa vision divergente . Des visions se croisent et peuvent devenir des ouvertures. Nous créons un lieu ressource où chacun peut puiser ce qui lui est nécessaire.

Le vocabulaire reste notre premier combat. Un vocabulaire violent manifeste un ressenti violent. Lorsque le vocabulaire change, s’élabore, une meilleure compréhension devient possible, le ressenti face aux événements peut s’apaiser.                                                                                                             Parfois certains viennent avec des envies, un projet plus ou moins construit. Nous évitons toute posture « prestation de service ». Nous nous efforçons sans cesse de créer des conditions favorables à ce que les projets aboutissent, et nous cherchons à éviter les expériences de déceptions. « C’est parce que c’est nous que ça marche pas. » Leur demande principale est que nous puissions les aider à trouver les conditions pour que ça se passe, et ils sont prêts à le monter par eux-mêmes. Ils donnent leur vision. On crée des conditions favorables .

Le Temps spécifique pour les « décrocheurs ». Il s’adresse à des collégiens qui venaient au soutien scolaire sans avoir de devoir mais qui se levaient chaque samedi matin pour nous rejoindre. Nous avons proposé un temps de présence avec l’objectif de remobiliser des envies. Retrouver du plaisir à vivre des moments de réussite autour de jeux, de discussion. Suite à une discussion sur des copains qu’ils connaissaient d’un autre quartier et qu’ils souhaitaient voir plus souvent, nous avons pu élaborer peu à peu un projet pour les vacances. Nous avons réalisé que ces jeunes fréquentaient également un espace qui leur était dédié. Nous avons rencontré avec eux le responsable de la structure et le projet « Kolenta » a émergé. Un projet pour les initier à de nouvelles expériences à partir de nos suggestions et de leur envie de vivre des moments privilégiés avec ces copains là. Ce type d’initiative est possible à partir d’un lien et d’un lieu régulier.

Le foot à 7 pour la première fois cette année, est encadré par un jeune. Nous l’avons rencontré à l’age de 11 an. Et nous avons participé à l’évolution de sa représentation du monde, et de ses valeurs qui étaient très brouillées. Il croyait seulement en la reproduction de la galère. Notre présence régulière, nos temps de rencontres lui ont permis de croire en d’autres possibles. Des postures inhabituelles pour lui, nos façon de partager nos points de vue sans les imposer comme des vérités, ont peu à peu fait bouger les lignes. Il s’est perçu autrement que comme une victime. Il est devenu moins réactif, ne s’est plus systématiquement découragé face aux situations nouvelles, il a découvert des solidarités et a su y faire appel. Aujourd’hui, il sait s’approprier des apprentissages passés , il les réplique dans d’autres contexte. C’est le moment possible pour lui de prendre cette place et de l’assumer. Une expérience émancipatrice. Reste à nous la charge de sentir ce qui est de domaine du possible et ce qui reste compliqué. Des freins persistent  et sont multiples: par exemple le manque de voitures …..

Juillet 2022

Publié par Terrain D'entente dans Notre posture avec les jeunes, 0 commentaire