Bilan de santé
L’OMS se donne pour objectif d’amener tous les peuples du monde au niveau de santé le plus élevé possible, la santé étant définie comme un « état de complet bien-être physique, mental et social et ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».
La santé est ainsi conçue comme la mesure par laquelle un groupe ou un individu peut d’une part, réaliser ses ambitions et satisfaire ses besoins et, d’autre part, évoluer avec le milieu ou s’adapter à celui-ci. Et là de nombreuses études montrent l’importance des déterminants sociaux (inégalité dans l’instruction, la dévalorisation de soi, les carences affectives, la discrimination et l’exclusion, l’isolement, le faible degré d’autonomie au travail.)
Cette conception de la santé propose des directions claires pour nous donner collectivement les moyens de tendre vers « un état complet de bien être » pour chacun de nos concitoyens, donc pour nous tous.
Et pourtant, pour ce qui concerne notre si riche pays, la situation ne cesse de se dégrader pour de plus en plus de personnes, de plus en plus jeunes. Ainsi les adhérentes de Terrain d’Entente manifestent des troubles physiques invalidants, préoccupants pour leur devenir.
Suite à une succession de témoignages autour de problèmes de santé graves, nous avons, cette année, sollicité les compétences d’agents de la sécurité sociale. Différents temps de rencontres ont été organisés pour transmettre des informations sur les démarches possibles, pour faire valoir des droits. Des rendez vous individualisés ont été organisés pour envisager des reclassements professionnels. Un bilan de santé a été possible pour plusieurs d’entre elles.
Parlons des résultats révélés à Sirine.
Elle a 35 ans, elle souffre d’hypertension avec un taux est très préoccupant. Il a été également diagnostiqué une infection urinaire sévère ainsi qu’une vision très endommagée.
Sirine comprend aisément l’origine de la dégradation précoce de sa santé. Depuis qu’elle est arrivée en France il y a une dizaine d’années, sa vie est devenue un combat au quotidien. Le principal a été de rechercher un emploi qui conditionnait l’obtention de la carte de séjour et l’ouverture de différents droits. Pendant toutes ces années, elle a accepté tous les boulots que les agences intérim lui proposaient. Elle s’est rendue chaque fois disponible du jour pour le lendemain. Elle a su s’adapter à tous les postes de travail, souvent sur des durées très limitées. A maint reprises, elle a du changer de contexte de travail, faisant chaque fois l’effort de s’approprier les consignes spécifiques qui lui étaient confiés, malgré le fait qu’elle ne savait ni lire ni écrire.
Il est facile d’imaginer le niveau de tension et de stresse qui l’habitait au quotidien. Elle explique aussi ces longues marches dans la neige au petit matin, les retours très tardifs le soir. Il n’était pas question de dépenser le moindre sou pour se déplacer avec les transports en commun. Chaque euros gagnés permettaient d’assurer les dépenses incompressibles, d’espérer occuper un appartement plus décent.
Elle a assumé toutes ces contraintes, espérant que cette bataille du quotidien, pendant ces longues années, allait lui permettre de construire un cadre de vie plus sécurisant, plus stable et d’envisager de réaliser son rêve.
Sirine a des talents de pâtissière remarquables, et des qualités relationnelles qui lui permettaient d’envisager l’ouverture d’un salon de thé. Les salaires qu’elle percevait ne lui ont pas donné la possibilité d’accumuler un pécule suffisant. Aucune banque n’a accepté sa demande de prêt, elle a même été clairement découragée.
Pour remplir les différents dossiers, une totale maîtrise de la langue française notamment l’écriture, lui était nécessaire. Aucune aide concrète ne lui a été proposée pour envisager la faisabilité de ce projet, ne serait ce que dans la rédaction des dossiers.
Puis Sirine s’est mariée. Ses grossesses rapprochées ne lui ont pas permis de poursuivre ce travail toujours précaire, incompatible avec les rythmes de vie d’une famille avec des enfants en bas âge. Sa situation financière est devenue de plus en plus difficile.
Aujourd’hui Sirine a le sentiment qu’elle doit se battre en permanence, mais que ce combat n’apporte aucune amélioration, elle perçoit au contraire que les choses s’aggravent pour elle et sa famille.
Sirine sait que son état de santé qui se dégrade, l’hyper tension, l’infection urinaire sévère c’est le résultat de toutes ces luttes qui n’ont pas abouties à construire pour elle même, puis pour ses enfants, le quotidien plus sécurisant et plus stable, qu’elle espérait. Elle sait que c’est le résultat de tous ces découragements, le sentiment d’un non sens de cette existence qui n’offre aucun répit, et surtout la peur que demain devienne pire!
Certains esprits très cartésiens pourront s’étonner du fait qu’elle a, malgré ce contexte de précarité globale, pris le risque de mettre plusieurs enfants au monde, sachant qu’elle risquait de ne pas pouvoir assurer tous leurs besoins matériels! Certains dénonceront même ce manque de sens des responsabilités!
Mais pour Sirine et pour toutes les autres « sirine », chaque naissance est une promesse, un espoir que quelque chose peut changer et devenir meilleur. Chaque enfant dont on prend soin donne de nouvelles forces pour ne pas baisser les bras pour rester debout, pour savoir se relever de toutes ces déceptions, de retrouver le courage et la force pour continuer à chercher des issues pour sortir de l’impasse.
Toutes ces « sirines » se définissent comme des « femmes fortes » (sic). Malgré toutes ces déceptions, ces échecs, elles réussissent le miracle de rester debout, de ne pas s’effondrer pour espérer toujours pouvoir un jour offrir une vie meilleure à leurs enfants.
« J’ai donné à ma fille tout ce que j’ai pas pu faire. C’est les enfants qui nous aident à nous remettre debout. J’ai fais le choix d’avoir cette enfant, je ne peux pas me laisser aller, c’est elle l’avenir ».
Cette force, elles là puisent dans cet espoir là. Elles là puisent aussi dans le fait de pouvoir se reconnaître dans les unes et les autres, à l’occasion de nos rencontres régulières au café des femmes et dans tout ce que nous parvenons à réaliser ensemble. Cette force elle là puisent également dans le fait de pouvoir s’impliquer dans un collectif et d’en être partie prenante.
Voici ce qu’exprime les unes et les autres, à propos de ces rencontres régulières:
« J’ai envie de réaliser des choses. J’aime beaucoup donner tout ce que je peux faire. On ne peut pas le faire seule…. Terrain d’entente c’est comme une famille, je vais mieux avec ces femmes, ça me fait du bien. J’ai envie de participer, donner ce que j’ai pour cette association…. Je sais que j’ai beaucoup de capacités. Je me trouve intéressante quand je fais quelque chose. Ca me permet de réaliser tout ce que je sais faire. Je reprends confiance en moi. Quand on est seule on n’a pas confiance en soi…. Il suffit de trouver un lieu, des gens qui font des choses ensemble, c’est tout…. J’ai retrouvé mon identité avec Terrain d’Entente….
Cette présence m’a redonné l’espoir. L’espoir que c’est pas fini, que ma vie peut changer. L’espoir qu’on peut faire plein de choses, qu’on s’arrête pas, que c’est jamais trop tard. Parce que le bonheur c’est réaliser des choses qu’on aime. »
La santé, un état complet de bien être physique, mental et social…
Comment notre société s’organise-t-elle pour contribuer à ce que ces objectifs de notre organisation internationale, à laquelle nous sommes signataires, deviennent effectifs?
« Il suffit de trouver un lieu, des gens qui font des choses ensemble, c’est tout! ». C’est le premier pas indispensable. Nous avons à ouvrir des espaces, offrir un temps de présence régulière qui permette la rencontre. Un temps gratuit, sans condition, sans contrainte, où on vient quand on veut, quand on peut,
Seule la rencontre rend possible la compréhension de notre histoire, elle devient lisible à travers les histoires qui se racontent entre les uns et les autres. Toutes ces petites histoires de vie qui se croisent et s’entrecroisent et qui font partie de l’Histoire. Seule la rencontre permet de comprendre le monde, son évolution et la place qu’on y occupe. C’est en comprenant tout ça qu’il devient possible d’agir. C’est en comprenant tout ça qu’il devient possible de transformer.
La santé conçue comme la mesure par laquelle un groupe ou une personne peut réaliser ses ambitions et satisfaire ses besoins et évoluer avec le milieu ou s’adapter à celui-ci….
C’est possible!
Josiane GUNTHER LE 7/7/2018