Texte de reflexion

Lorsqu’on a moins de droit que les autres, comment accepter d’avoir les mêmes devoirs?

« Ha ça, c’est sûr, ça serait bien que le goûter devienne un temps de partage! »

C’est un jeune de 14 ans qui parle ainsi. Il a des pépites dans les yeux quand il évoque cette perspective.

C’était au début de nos rencontres aux pieds des immeubles, à l’occasion de nos premiers ateliers de rue les samedis après midis. Notre premier goûter avait été catastrophique, les chocos avaient volés, certains même piétinés dans la précipitation des jeunes  à réclamer leur part!

A l’époque, nous nous adressions essentiellement à des garçons adolescents qui nous ont rapidement encouragés à revenir pour construire ensemble ces temps de « partage ».

Au début de nos rencontres, les coups et les insultes pleuvaient. Mais chaque fois que nous savions nous interposer dans ces rudes bagarres, en y accordant le temps nécessaire, les maux savaient s’exprimer, on apprenait ensemble à trouver les mots justes pour donner du sens à ces colères explosives. Ils nous ont rapidement sollicités pour intervenir dans ces conflits. Ils ont fini par nous demander de venir plus souvent et de rester plus longtemps.

De ces jeunes dont on parle trop souvent avec un discours empreint de crainte, de mépris, d’une multitude de présupposés qui ne sont jamais vérifiés mais toujours affirmés avec conviction. On leur reproche d’être à l’origine de tous ces désordres sociaux, ces incivilités qui nous les font rapidement considérés comme délinquants.

Moins on a de relation, d’expériences partagées, moins on a de connaissance, et de compréhension. S’ouvre à nous alors un champ très libre pour les phantasmes générateurs de peurs et de rejets. Cette tendance facile à penser de façon simplifiée et schématique.

Il faudrait donc les éduquer! Instaurer fermement  des règles pour apprendre « le cadre » à ces jeunes qui ne respectent rien ni personne »! Un « cadre »  posé de façon autoritaire et strict pour leur apprendre les rudiments des règles du vivre ensemble. On voit qu’ils crachent par terre, qu’ils profèrent des insultes, qu’ils narguent les adultes.  

Mais qui fait l’effort de connaître un peu la réalité de leur quotidien? Qui s’interroge des conséquences de cette vie de galères?

Un jeune que je rencontrais régulièrement en prison me posait un jour cette question. « Comment on fait quand on est une famille très pauvre, qu’on a été nul à l’école, ,qu’on vit dans un quartier où il y a de la violence, de la délinquance? »….

Qui est capable de répondre?

Comment on fait quand les collèges excluent des collégiens pendant plusieurs mois et qu’ils précisent qu’ils n’ont plus rien à faire dans un établissement scolaire? Comment on fait quand on a raté plusieurs semaines d’école suite à une situation familiale explosive et qu’il n’est pas possible d’envisager le redoublement parce qu’il y a trop d’élèves par classe?! Comment on fait quand on a 11 ans, et qu’il est indispensable de contribuer à l’organisation familiale dès la première heure du jour et qu’on reçoit des sanctions et des menaces d’éviction scolaire parce qu’on arrive en retard à l’école? Comment on fait quand les structures du quartier organisent un départ en vacances pour 7 alors qu’on est 40 à l’espérer? Comment on fait quand on démultiplie les démarches de recherche d’emploi et que c’est toujours « non »?

Qui peut répondre?!

Ils sont pourtant nombreux, les chercheurs, les intellectuels à nous proposer des pistes pour comprendre et tenter de trouver des  manières adaptées de répondre. Parce que la responsabilité de toute la communauté éducative est de chercher d’abord et sans relâche, à comprendre ce que manifestent ces jeunes!

Fernand Deligny (1) a été l’un des pionniers pour rechercher sans relâche ce qui dans son propre comportement empêchait que la rencontre se produise, que le lien se construise. C’est d’abord ça le travail éducatif, considérer ses propres limites et défaillances pour mieux cheminer avec l’autre, pour se laisser transformer par ses attitudes qui peuvent nous déconcerter, provoquer un sentiment d’insécurité. Pour rejoindre sa souffrance et tenter de là traverser avec lui.

Christophe Dejours (2) nous invite à nous laisser coloniser par le doute. Parce que « le réel se fait connaître par l’échec« , parce que « la souffrance guide l’intelligence« .

Dans un entretien sur la question de la violence des banlieues, Christophe Dejour répond « la violence du non travail »!

L’accomplissement de soi dans le champs social, passe par le travail. Inscrire notre existence dans la société passe par le travail et la reconnaissance de notre contribution à l’intérêt commun. Pour ces jeunes, il n’y a plus d’espoir d’apporter cette contribution à la société, ce qui pourrait les inscrire dans la communauté des hommes. Ils sont privés de la possibilité d’espérer le travail.

Pour supporter cette situation, résister à cette souffrance de se sentir exclus, certains s’efforcent d’organiser des stratégies de défense. Il s’agit pour eux de renverser le rapport au travail. Ils inversent cette humiliation d’être récusé du rapport au travail dans l’affirmation que rien n’est plus humiliant que d’accepter de travailler.

Cette attitude de défiance se construit dès l’école. Les difficultés d’apprentissage, les efforts très contraignants sont possibles à condition que se profile la promesse d’une émancipation grâce au travail. Pour eux, le travail scolaire devient donc le symbole de ce qu’il faut rejeter. Ne pas se soumettre à la discipline, s’opposer au travail scolaire, à l’enseignant, à tout ce qui représente ce qu’il est interdit d’espérer pour eux même.

Ce rapport d’humiliation du fait de l’exclusion produit des comportements par lesquels ils s’endurcissent pour supporter tout ça: il faut devenir insensible à toute forme de message qui rappel le rejet. Est un homme celui qui est capable d’assumer la souffrance et de l’infliger à autrui. Tout ce qui représente cet ordre qui ne leur laisse aucune place est la cible de leur haine. L’ennemi est tout ce dont on est définitivement privé. C’est une idéologie défensive, une exaltation de la violence comme valeur. Ils ne sont pas victimes du système, ce sont eux désormais qui vont faire peur et qui vont humilier. Etant exclus de toute participation aux règles de la collectivité, ils rentrent dans « un rapport de force » et non plus un rapport de droit. Le « rapport de droit » est d’avance perdu pour eux tout le temps et partout.

Christophe Dejours estime que nos réponses sont inadaptées, inopérantes. Du côté de l’action sociale, l’objectif des éducateurs est d’attaquer ces défenses pour les déconstruire, ce qui amplifie d’autant la radicalisation de ces défenses.  La réponse sécuritaire et répressive ne fait également qu’aggraver les choses. La terrible dérive de ces réponses est de n’avoir bientôt que l’armée comme solution pour aller cogner sur ces gosses afin de les mater.

Il faut retrouver les voies qui permettraient à chacun d’apporter sa contribution à la vie sociale par le travail. »La centralité du travail est vitale pour chacun. »

Ceux qui échouent à l’école sont les exclus de demain. 1,9 millions de jeunes sont ni en emploi, ni en formation, ni en recherche, ni en accompagnement. Comment  peuvent-ils s’insérer? Notre pacte républicain est en danger si on ne réduit pas ces écarts: lorsqu’on a on moins de droits que les autres, comment peut on accepter d’avoir les mêmes devoirs?

« La coopération, l’explication, la compréhension sont une plus grande source de réussite que la compétition, le langage des initiés. Il faut une école inclusive avec un système d’évaluation qui encourage. Promesse d’une élévation du niveau pour tous, ce qui n’est jamais du nivellement par le bas.

Pour le vivre ensemble en société, il faut scolariser ensemble toute la jeunesse. L’école, c’est le temps du commun. » (Jean Paul Delahaye) (3)

Terrain d’Entente est engagé sur cette question de l’école. Les enfants des milieux populaires souffrent à l’école parce qu’il n’y a pas suffisamment de prise en compte et d’effort de compréhension de leur réalité. Le corps enseignant a la responsabilité de l’ouverture de l’école sur le quartier, de l’organisation de la rencontre avec les familles. Mais cette institution ne peut pas réaliser ce travail seule et de manière isolée.  
Nous souhaitons engager  un chantier, dans la durée, pour rechercher comment offrir les meilleurs conditions pour construire une communauté éducative qui assure de manière effective notre responsabilité collective dans l’éducation et la protection des enfants et des jeunes, avec les différents acteurs du champ éducatif, les parents. C’est une condition incontournable pour permettre à chaque enfant de faire des liens entre les différents espaces dans lesquels il évolue et de trouver ainsi du sens et de la cohérence dans les apprentissages organisés de manière différente à l’école, en famille, dans le milieu associatif.

Les enfants dont la structure familiale ou  sociale a été brisée peuvent devenir créateurs si on leur donne un lieu de parole, autant qu’ils peuvent devenir délinquants quand leur énergie ne trouve aucun lieu d’expression. Terrain d’Entente cherche à offrir une structure affective et sociale autour de ces jeunes. Nous prenons le risque de nous laisser déstabiliser, jusqu’à nous sentir parfois avec eux, à la limite du danger et nous puisons ensemble d’impressionnantes ressources. Il faut pour cela endurer les nombreuses expériences d’échec, et s’obstiner à ne pas lâcher. Il est nécessaire de développer une attitude de bienveillance et de compréhension. Nous mobilisons toute notre énergie pour créer un climat apaisant pour accueillir ces tempéraments tendus, blessés, hyper réactifs. On sanctionne le moins possible, on accueille, on  écoute, on s’efforce de comprendre.

Ainsi, ces mêmes jeunes ont su se saisir de l’opportunité que leur offrait un nouveau dispositif, le Fond de Participation des Habitants, qui aide au financement de différentes actions. Ils ont rédigé un projet de départ en vacances, et préparé ensemble la rencontre à la commission d’admission pour expliquer leurs motivations. Ils souhaitaient partager quelques jours entre copains. Ils se sont saisi de la seule opportunité que nous pouvions leur offrir: une semaine à la Ferme des Fromentaux, en Haute Loire.

Pour ces jeunes, ce séjour a été « une première fois » sur de nombreux aspects. La vie dans une ferme, le travail du quotidien, la « rencontre » avec la nature….

Malgré cet aspect déstabilisant, ils ont eu, durant tout le séjour, une attitude coopérative et positive.

Ils se sont intéressés aux activités, (conduite du tracteur, traite des chèvres….). Ils ont participé à toutes les tâches ménagères (repas, vaisselle, rangement) qu’ils avaient eux mêmes organisé en se répartissant le travail à partir d’un tableau qui établissait des tours de rôle.  Ils ont respectés les horaires qu’on avaient décidé avant le séjour. Ils ont eu un très bas niveau d’exigence concernant les activités, s’inquiétant du coût et des possibilités de l’association. Les soirées ont été l’occasion d’échanges authentiques autour de leurs préoccupations.

Aujourd’hui, ces jeunes ont souhaité organiser un « café des ados », un lieu pour se retrouver avec une présence adulte pour les accueillir .

Aujourd’hui les structures sont nombreuses à investir beaucoup d’énergie pour dénoncer le danger des écrans et faire des campagnes de prévention, de sensibilisation pour apprendre les  bonnes pratiques. Sachant que les écrans sont pour beaucoup la seule source de plaisir qui est vécue dans la solitude, sans aucun garde fou, les structures du quartier que nous avons sollicitées pour organiser ensemble cet accueil, nous ont toutes répondus:  « on ne peut pas tout faire! »

Nous avons donc ouvert ce café et une trentaine de jeunes nous rejoignent chaque jeudi. Nous réfléchissons ensemble à différents espaces pour discuter, se divertir. Des projets se pensent. Tout semble possible, mais un problème se profile: nous ne sommes que deux pour les accueillir! Nous risquons rapidement de toucher nos limites pour tenir cet accueil dans la durée.

Notre détresse à nous, c’est d’être trop peu nombreux, et de disposer de moyens insuffisants  pour construire une action à la hauteur des aspirations de ces jeunes qui réclament juste un peu d’espace et d’attention.

                                                                                    Josiane GUNTHER Mai 2019

(1) Fernand Deligny, né en 1913, une des références majeure de l’éducation spécialisée

(2) Christophe Dejours, psychiatre, psychanalyste et professeur de psychologie français, spécialiste en psychodynamique du travail et en psychosomatique

(3) Jean Paul Delahaye, Inspecteur général de l’éducation nationale honoraire. Ancien directeur général de l’enseignement scolaire.

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Cacher la poussière sous le tapis.

                                    

C’est une expression qui décrit ce que nous ne souhaitons pas montrer, ce qui doit rester caché. Une façon d’imager ce qui fait honte, ce qui est estimé indigne, inavouable.

Dans notre collectif, au fil des semaines, des mois, des années nous découvrons peu à peu de quoi est fait le quotidien de nombreuses familles qui subissent et supportent la précarité. Parmi ce qui alourdit fortement  la marche de tous ceux là,  il y a pour l’essentiel une grande difficulté à accorder sa confiance, à prendre le risque de rencontrer les autres, ceux qu’on ne connaît pas, d’oser une parole. Il n’est donc pas question d’oser dire et partager ce qui est vécu douloureusement jour après jour.

Il nous faut donner du temps au temps pour qu’une porte s’entrouvre. Avec certaines personnes,  plusieurs années ont été nécessaires pour qu’une relation devienne possible

La peur domine le quotidien qui est décrit par beaucoup par un sentiment d’enfermement, d’isolement, de « prison », de « fond du puit ». On entend également l’expression « on coule ».

Dans ces témoignages il est par contre, peu question de colère, face à tous ces empêchements à construire le quotidien de façon à ce qu’il devienne plus vivable, plus souhaitable. C’est plutôt la honte qui se manifeste, la honte de ne pas y arriver, de ne pas pouvoir offrir ce qui est essentiel à sa famille, de sentir ses enfants malheureux, frustrés,  et d’entendre les jeunes dire parfois  « la vie est trop dure ». La honte de se trouver face à son impuissance.  

Alors on préfère se taire et « cacher la poussière sous le tapis ».

A terrain d’entente nous ressentons pour de nombreuses familles un sentiment de découragement, de fatigue, d’usure. Pour certains même, des manifestations de dépression. Alors que lorsque nous nous retrouvons pour organiser des évènements, il est question la plupart du temps de dynamisme, d’enthousiasme et même de joie à participer, à s’inscrire dans les sorties avec de plus en plus de monde.

Petit à petit un espace de rencontres s’est construit, parce que nous sommes restés fidèles à nos rendez vous tout au long de l’année, parce que nous avons élaboré, tenté, bricolé sans relâche  et collectivement des solutions chaque fois que nous avons identifiés ensemble des problèmes, des besoins, chaque fois que nous avons osé exprimer des envies. C’est un  travail en commun qui se réalise, une mise en commun d’idées, d’initiatives, d’inventions. Nous élaborons toujours toutes ces tentatives à partir d’une conception qui nous est essentielles: l’intérêt général, l’intérêt de tous.

Ce travail, ces démarches qui parfois aboutissent,  construisent peu à peu un sentiment que quelque chose peut devenir  possible.   Le pas devient moins lourd, les têtes se redressent, l’espoir se profil, timide, mal assuré; mais il est bien là.

Ces expériences renouvelées au fil du temps redonnent un sentiment de confiance, en soi d’abord, puis avec certains. Nous retrouvons cette sensation indispensable, vitale, d’exister pour les autres, de contribuer au bien commun. Nous retrouvons le sens de l’existence, celui de participer, d’apporter sa pierre par son travail, par ses efforts, par notre capacité à savoir se bousculer, la fierté de savoir donner « le coup de collier » qui va rendre possible une action.  

Une adhérente de Terrain d’Entente me remercie souvent lorsque je lui demande de l’aide. A l’improviste, dans l’urgence, elle est toujours disponible pour donner le coup de main indispensable  pour faire des gâteaux,  qui vont  compléter le goûter de la prochaine fête,  des crêpes qu’on va vendre avec les enfants devant la médiathèque, de prêter tous les ustensiles de cuisine nécessaires pour faire les galettes sur le terrain, de s’occuper des bacs de jardinage qu’on laisse régulièrement à l’abandon….

Elle m’expliquait récemment que ce qui lui était devenu insupportable c’était d’être considérée par tout le secteur social comme « une bénéficiaire de l’AAH », quelqu’un « d’assisté », qui ne sert à rien, qui est inutile. C’est la plus grande souffrance de son existence.

Vivre dans un appartement inadapté, ne pas pouvoir faire face chaque mois aux charges incompressibles, ses problèmes de santé récurrents, elle peut supporter tout ça, mais sa vie devient  un enfer si elle se sent inutile. 

A partir de cette dignité retrouvée, il lui est devenu possible de parler de ce qui ne va pas, sans cette crainte de se sentir jugée, déconsidérée. Il lui a été possible de partager ces multiples expériences où tout semble perdu, condamné, destructeur.

Il est indispensable de savoir ensemble soulever ce tapis, et de voire ce qui est caché. Il faut  s’y cogner dessus et savoir s’indigner profondément face à  ces mauvais traitements infligés à tous ceux qu’on a placé à la marge, de tous ceux qui subissent les inégalités les plus flagrantes.

Mais ce qu’on découvre aussi dans ce quotidien toujours difficile, ce sont tous ces  rayons de lumières, toute la ressource infinie de chacun pour tenir,  résister encore, tenter l’impossible et finalement ne jamais couler complètement, ne pas s’effondrer totalement.

L’une d’entre nous  s’est retrouvée durant deux mois seule,  enfermée chez elle, sans pouvoir avoir le moindre contact avec son fils lourdement handicapé, parce qu’elle a été opérée d’une très grave fracture au pied. Sa CMU ne lui a ouvert aucun droit à une assistance à son domicile. Certains jours, elle a bénéficié de la solidarité du voisinage et de sa famille mais la plupart du temps elle a appris à se débrouiller seule pour faire ses repas, entretenir son logement, prendre soin d’elle.

Au cours d’une de mes visites elle m’a fait la démonstration de sa façon de s’organiser pour assurer tous les actes du quotidien. Elle commentait régulièrement ses différentes illustrations de ce qu’elle avait su mettre en place par: « tu me trouves courageuse! » …. Elle rayonnait…. Face à cette belle danse qu’elle m’offrait dans son fauteuil roulant, je me suis projetée quelques secondes dans cette réalité et j’ai su que je n’aurai pas pu trouver les ressources suffisantes pour percevoir un peu de satisfaction dans cet abandon.

C’est une aptitude qui se cultive justement dans ce désert là, lorsqu’on est confronté à soi même, face au mur, au silence à la souffrance et à la solitude. C’est une aptitude qui se développe quand on a le sentiment de n’avoir aucun autre choix que de tenir le coup dans cette totale adversité, quand il n’y a plus rien à perdre.

Cette aptitude correspond à une aspiration très profonde de vivre, d’exister, d’espérer. Notre humanité se nourrit de cette aspiration à quelque chose de meilleur. Une aspiration qui ne s’éteint jamais. Quand elle est éprouvée, vécue pleinement, cette aptitude  permet toutes les résistances, on sait alors avec certitude qu’on peut tout supporter, qu’on tiendra toujours le coup, envers et contre tout.

« Je sais que Dieu  ne me donnera pas des épreuves plus dures que ce que je peux supporter.« (sic)

Il se développe une confiance intérieure dans la vie elle même. Cette force là reste la seule parfois,  sur laquelle nous pouvons nous appuyer, à l’échelle d’un collectif, pour tenter ensemble de construire autrement, pour tenter de construire en restant fidèles à nos rêves à ce que nous souhaitons comme commune humanité, pour les uns, pour les autres, pour nous tous.

Cette rage de vivre devient le seul chemin possible pour pouvoir tenter ensemble autrement, pour trouver l’énergie nécessaire et la force de ne jamais renoncer. C’est le seul moyen d’ouvrir des espaces où quelque chose d’autre devient possible.

                                                                                                   Josiane GUNTHER Mars 2019

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Rester dans l’entre soi, ou s’émanciper tous ensemble.

« Tu fais quoi en ce moment?  » « Je galère avec ceux qui galèrent! »
C’est moi qui répond à la question d’un ami….
Pendant nos ateliers de rue, nos rencontres au café des femmes, on l’entend souvent cette formule « c’est la galère! »
Notre petit collectif, tout au long de ces années s’est enrichit de tout ce que nous avons su construire avec la participation active de toutes ces femmes et ces enfants qui « galèrent ». Depuis plus de 7 ans, nous réalisons et réussissons ensemble tellement de projets, qui correspondent tous à des besoins, des envies qui se manifestent. Un collectif plein de vie, plein d’initiatives, plein de rencontres qui permettent de construire des liens d’entraide et de solidarité.
Et pourtant, on continue à ressentir que « c’est la galère », autour de nous et pour nous même.
Elle veut dire quoi cette expression?
Dans la liste des synonymes on trouve des expressions de situations qui ont toutes un sens pour ceux qui se prénomment »les galériens »: « vivoter sans but… », « rencontrer de graves difficultés tout en manquant de solutions…. », « état dans lequel on mène une vie très éprouvante »…. C’est tout ça en effet, tout ce qui donne le sentiment qu’il n’y a pas de perspective possible, tout ce qui interdit d’espérer une amélioration dans le quotidien et pour l’avenir, tout ce qui rend amère, qui décourage, qui rend impossible un effort de mobilisation avec d’autres, dans la durée. Le sentiment que tous ces efforts fournis n’apportent aucun changement. Alors, à quoi bon?!
Ce petit collectif bien vivant se retrouve au milieu d’un océan d’individualismes, et il est régulièrement absorbé par cette vague qui donne peu de possibilités de croire en autre chose, de comprendre avec d’autres grilles de lectures, et d’estimer trop souvent que pour espérer s’en sortir, c’est chacun pour soi et tant pis pour les autres!.
Hors nous l’observons toujours, et partout, seule la dimension collective rend possible certaines choses, assure une place à chacun et permet de développer des savoirs nouveaux, donc plus de liberté et de pouvoir d’agir. Le collectif offre la possibilité de développer des actes émancipateurs pour chacun de ses membres, dans toutes leurs diversités. Depuis toujours, ce sont des collectifs qui ont su ouvrir des espaces qui amélioraient les conditions de vie des plus démunis. Ce sont les collectifs qui ont su dénoncer les inégalités et les injustices, et devenir une force pour construire autrement.
L’individualisme, l’épanouissement personnel, prônés aujourd’hui comme la vraie liberté sont en fait un terrible enfermement sur soi même, un isolement destructeur où l’autre est perçu comme une menace, un frein à sa propre expansion.
Ce qu’on observe également, dans tous ces lieux de vie où tout semble perdu, c’est que chacun est prêt à se remettre debout pour se mobiliser avec d’autres, si on crée les conditions de la rencontre avec les autres et qu’on offre des temps de présence dans la durée.
Alors pourquoi on galère autant? Pourquoi tous ces efforts, tout cet engagement de chacun au sein du collectif n’offrent pas plus de perspectives? Pourquoi nous avons toujours ce sentiment que la situation non seulement n’évolue pas mais continue de se dégrader?
Nous ne faisons plus ensemble société. Sur tout le territoire, on retrouve des individualités dont tous les efforts convergent pour préserver leur bulle de confort. Ce sont tous ceux dont le cadre de vie reste confortable en effet. Ils ont l’illusion d’être préservés du pire et de pouvoir ainsi poursuivre la route avec des promesses d’un avenir meilleur pour eux mêmes, sans jamais se soucier de tous ceux dont le contexte de vie n’offre aucune capacité, aucun espace pour se mobiliser, et tenter de construire autrement l’existence.

Ils vivent en dehors des zones difficiles, ils se déplacent en vélo, ils mangent bio, ils inscrivent leurs enfants dans les écoles « alternatives ». Ils construisent même avec ceux qui leur ressemblent le plus, des espaces de partage. Ils inventent ici et là des tiers lieux, des systèmes d’échanges locaux, une monnaie locale, ils organisent des salons sur les questions de l’environnement, de l’éducation.
Il y aurait de quoi se réjouir de voir ainsi se développer des tentatives qui manifestent pour certaines une plus grande conscience de la responsabilité de chacun dans le désastre écologique. Des tentatives pour limiter notre impact carbone, des dynamiques collectives pour mieux construire le vivre ensemble. Ce qui devient préoccupant par contre, c’est le caractère exclusif de ces démarches. Ces « alternatives » qui fleurissent concernent de plus en plus de questions de société, mais elles rassemblent les individus à partir d’un entre soi. Tous tentent ainsi de se préserver de tout ce qui se dégrade dans la société. Et ceux qui sont les plus victimes de la déconstruction de notre état de droit n’ont en fait, pas de réalité dans tous ces endroits où on rêve de démocratie participative, de communication non violente, en construisant des modes de travail coopératifs. Les victimes sont devenues invisibles. Elles sont entourées d’un silence assourdissant.
Ca ne signifie pas forcement que dans cet entre soi, chacun soit devenu insensible, mais on ne se sent tout simplement pas concerné. Les affaires sociales se limitent à des préoccupations très personnelles et chacun cherche à élaborer des solutions avec ceux dans lesquels il se reconnait le plus. Ca devient d’ailleurs de moins en moins compliqué de s’organiser de cette manière. Les populations les plus à la marge contribuent elles mêmes à leur enfermement. Les adultes, les enfants, ont très bien intégrés qu’ils n’avaient aucune place dans tous ces espaces, qu’ils n’étaient pas concernés par tous ces projets. Très peu se risquent à dépasser la frontière de leur territoire dans lequel ils sont assignés. « Je sors juste pour les courses, les papiers ». Des adolescents reconnaissaient dernièrement qu’ils identifiaient difficilement les différentes places qui se trouvaient à 5 minutes à pied de leur quartier.
Le fossé se creuse, l’incompréhension devient totale, la peur s’installe, l’évitement devient la seule solution pour ne pas prendre le risque de se confronter à des réalités face auxquelles nous n’envisageons aucune solution. Alors autant ne rien voir, ne rien entendre puisque nous ne savons pas quoi proposer. Autant se préserver en construisant des « alternatives » qui donnent juste l’illusion que tout n’est pas fini puisque nous continuons à agir.

Hors, on s’affranchit de la peur par la connaissance, qui est elle même la seule manière de sortir du sentiment d’impuissance. Et pour connaitre il faut créer les conditions de la rencontre.
Notre « galère » à Terrain d’Entente c’est de se retrouver trop seuls à assurer cette présence, cet engagement auprès de tous ceux qu’on ignore, qu’on oublie, qu’on méprise, dont on a peur. Ces « alternatives » prônées comme les sources du changement de société ne risquent-elles pas de créer d’autres formes de cloisonnement, et de contribuer elles mêmes à l’état de sécession avec une partie toujours plus importante de la société?
L’épanouissement, le développement personnel, c’est le règne de l’individu qui s’efforce de passer à travers les mailles d’un filet de plus en plus tendu. On espère juste pouvoir encore faire partie des privilégiés.
La mobilisation de tous les membres de la société est indispensable aujourd’hui, incontournable si on veut espérer trouver des solutions pérennes qui réponde aux immenses défis posés par notre époque. On ne peut plus l’ignorer aujourd’hui, la question de l’urgence environnementale est étroitement liée à celle de l’urgence sociale. Depuis des décennies, un certain rapport des hommes entre eux règle le rapport de l’humanité à la nature, c’est l’exploitation capitaliste qui pille les ressources naturelles de la même façon qu’elle pille les ressources humaines.
En exploitant l’homme, on exploite la nature. En transformant ce rapport d’exploitation de tous ceux qui sont condamnés à se plier aux exigences de plus en plus destructrices des « puissants », on peut transformer le rapport de toute l’humanité à toute la nature.
Il nous faut inventer des mesures inspirées par la préoccupation de la qualité de vie des hommes et du respect de la nature, et ainsi solidariser la question sociale et l’écologie.
Nous ne pouvons plus accepter cette époque scandaleuse, où jamais l’humanité n’a produit autant de richesses et voit se développer autant de misère, cet effroyable paradoxe d’une économie d’abondance qui co existe avec la misère.
Les pédagogues sociaux continuent de lutter pour contribuer à construire une société égalitaire, à laquelle tous aient un droit réel, qu’ils soient plus ou moins français ou immigrés, sans papiers ou sans travail…. Ils luttent contre toutes les formes d’entre soi, qu’il soit social ou idéologique. Une société du commun, où le travail collectif, l’échange, la coopération soient réhabilités contre la concurrence, l’individualisme ou la personnalisation des parcours.
Dans la pédagogie sociale, la perspective c’est l’égalité entre toutes et tous, garantie par la liberté de chacune et de chacun de s’exprimer sur l’organisation de la vie quotidienne, et par l’esprit de solidarité dans lequel tous écoutent la parole des uns et des autres, acceptent de voir les réalités sociales que le pouvoir dominant veut rendre invisibles, pour les comprendre et agir ensemble.
Josiane Günther
le 05/09/2018

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Bilan de santé

Bilan de santé

L’OMS se donne pour objectif d’amener tous les peuples du monde au niveau de santé le plus élevé possible, la santé étant définie comme un « état de complet bien-être physique, mental et social et ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».
La santé est ainsi conçue comme la mesure par laquelle un groupe ou un individu peut d’une part, réaliser ses ambitions et satisfaire ses besoins et, d’autre part, évoluer avec le milieu ou s’adapter à celui-ci. Et là de nombreuses études montrent l’importance des déterminants sociaux (inégalité dans l’instruction, la dévalorisation de soi, les carences affectives, la discrimination et l’exclusion, l’isolement, le faible degré d’autonomie au travail.)

Cette conception de la santé propose des directions claires pour nous donner collectivement les moyens de tendre vers « un état complet de bien être » pour chacun de nos concitoyens, donc pour nous tous.
Et pourtant, pour ce qui concerne notre si riche pays, la situation ne cesse de se dégrader pour de plus en plus de personnes, de plus en plus jeunes. Ainsi les adhérentes de Terrain d’Entente manifestent des troubles physiques invalidants, préoccupants pour leur devenir.
Suite à une succession de témoignages autour de problèmes de santé graves, nous avons, cette année, sollicité les compétences d’agents de la sécurité sociale. Différents temps de rencontres ont été organisés pour transmettre des informations sur les démarches possibles, pour faire valoir des droits. Des rendez vous individualisés ont été organisés pour envisager des reclassements professionnels. Un bilan de santé a été possible pour plusieurs d’entre elles.

Parlons des résultats révélés à Sirine.
Elle a 35 ans, elle souffre d’hypertension avec un taux est très préoccupant. Il a été également diagnostiqué une infection urinaire sévère ainsi qu’une vision très endommagée.
Sirine comprend aisément l’origine de la dégradation précoce de sa santé. Depuis qu’elle est arrivée en France il y a une dizaine d’années, sa vie est devenue un combat au quotidien. Le principal a été de rechercher un emploi qui conditionnait l’obtention de la carte de séjour et l’ouverture de différents droits. Pendant toutes ces années, elle a accepté tous les boulots que les agences intérim lui proposaient. Elle s’est rendue chaque fois disponible du jour pour le lendemain. Elle a su s’adapter à tous les postes de travail, souvent sur des durées très limitées. A maint reprises, elle a du changer de contexte de travail, faisant chaque fois l’effort de s’approprier les consignes spécifiques qui lui étaient confiés, malgré le fait qu’elle ne savait ni lire ni écrire.
Il est facile d’imaginer le niveau de tension et de stresse qui l’habitait au quotidien. Elle explique aussi ces longues marches dans la neige au petit matin, les retours très tardifs le soir. Il n’était pas question de dépenser le moindre sou pour se déplacer avec les transports en commun. Chaque euros gagnés permettaient d’assurer les dépenses incompressibles, d’espérer occuper un appartement plus décent.
Elle a assumé toutes ces contraintes, espérant que cette bataille du quotidien, pendant ces longues années, allait lui permettre de construire un cadre de vie plus sécurisant, plus stable et d’envisager de réaliser son rêve.
Sirine a des talents de pâtissière remarquables, et des qualités relationnelles qui lui permettaient d’envisager l’ouverture d’un salon de thé. Les salaires qu’elle percevait ne lui ont pas donné la possibilité d’accumuler un pécule suffisant. Aucune banque n’a accepté sa demande de prêt, elle a même été clairement découragée.
Pour remplir les différents dossiers, une totale maîtrise de la langue française notamment l’écriture, lui était nécessaire. Aucune aide concrète ne lui a été proposée pour envisager la faisabilité de ce projet, ne serait ce que dans la rédaction des dossiers.
Puis Sirine s’est mariée. Ses grossesses rapprochées ne lui ont pas permis de poursuivre ce travail toujours précaire, incompatible avec les rythmes de vie d’une famille avec des enfants en bas âge. Sa situation financière est devenue de plus en plus difficile.
Aujourd’hui Sirine a le sentiment qu’elle doit se battre en permanence, mais que ce combat n’apporte aucune amélioration, elle perçoit au contraire que les choses s’aggravent pour elle et sa famille.
Sirine sait que son état de santé qui se dégrade, l’hyper tension, l’infection urinaire sévère c’est le résultat de toutes ces luttes qui n’ont pas abouties à construire pour elle même, puis pour ses enfants, le quotidien plus sécurisant et plus stable, qu’elle espérait. Elle sait que c’est le résultat de tous ces découragements, le sentiment d’un non sens de cette existence qui n’offre aucun répit, et surtout la peur que demain devienne pire!

Certains esprits très cartésiens pourront s’étonner du fait qu’elle a, malgré ce contexte de précarité globale, pris le risque de mettre plusieurs enfants au monde, sachant qu’elle risquait de ne pas pouvoir assurer tous leurs besoins matériels! Certains dénonceront même ce manque de sens des responsabilités!
Mais pour Sirine et pour toutes les autres « sirine », chaque naissance est une promesse, un espoir que quelque chose peut changer et devenir meilleur. Chaque enfant dont on prend soin donne de nouvelles forces pour ne pas baisser les bras pour rester debout, pour savoir se relever de toutes ces déceptions, de retrouver le courage et la force pour continuer à chercher des issues pour sortir de l’impasse.
Toutes ces « sirines » se définissent comme des « femmes fortes » (sic). Malgré toutes ces déceptions, ces échecs, elles réussissent le miracle de rester debout, de ne pas s’effondrer pour espérer toujours pouvoir un jour offrir une vie meilleure à leurs enfants.
« J’ai donné à ma fille tout ce que j’ai pas pu faire. C’est les enfants qui nous aident à nous remettre debout. J’ai fais le choix d’avoir cette enfant, je ne peux pas me laisser aller, c’est elle l’avenir ».
Cette force, elles là puisent dans cet espoir là. Elles là puisent aussi dans le fait de pouvoir se reconnaître dans les unes et les autres, à l’occasion de nos rencontres régulières au café des femmes et dans tout ce que nous parvenons à réaliser ensemble. Cette force elle là puisent également dans le fait de pouvoir s’impliquer dans un collectif et d’en être partie prenante.

Voici ce qu’exprime les unes et les autres, à propos de ces rencontres régulières:
« J’ai envie de réaliser des choses. J’aime beaucoup donner tout ce que je peux faire. On ne peut pas le faire seule…. Terrain d’entente c’est comme une famille, je vais mieux avec ces femmes, ça me fait du bien. J’ai envie de participer, donner ce que j’ai pour cette association…. Je sais que j’ai beaucoup de capacités. Je me trouve intéressante quand je fais quelque chose. Ca me permet de réaliser tout ce que je sais faire. Je reprends confiance en moi. Quand on est seule on n’a pas confiance en soi…. Il suffit de trouver un lieu, des gens qui font des choses ensemble, c’est tout…. J’ai retrouvé mon identité avec Terrain d’Entente….
Cette présence m’a redonné l’espoir. L’espoir que c’est pas fini, que ma vie peut changer. L’espoir qu’on peut faire plein de choses, qu’on s’arrête pas, que c’est jamais trop tard. Parce que le bonheur c’est réaliser des choses qu’on aime. »

La santé, un état complet de bien être physique, mental et social…
Comment notre société s’organise-t-elle pour contribuer à ce que ces objectifs de notre organisation internationale, à laquelle nous sommes signataires, deviennent effectifs?
« Il suffit de trouver un lieu, des gens qui font des choses ensemble, c’est tout! ». C’est le premier pas indispensable. Nous avons à ouvrir des espaces, offrir un temps de présence régulière qui permette la rencontre. Un temps gratuit, sans condition, sans contrainte, où on vient quand on veut, quand on peut,
Seule la rencontre rend possible la compréhension de notre histoire, elle devient lisible à travers les histoires qui se racontent entre les uns et les autres. Toutes ces petites histoires de vie qui se croisent et s’entrecroisent et qui font partie de l’Histoire. Seule la rencontre permet de comprendre le monde, son évolution et la place qu’on y occupe. C’est en comprenant tout ça qu’il devient possible d’agir. C’est en comprenant tout ça qu’il devient possible de transformer.
La santé conçue comme la mesure par laquelle un groupe ou une personne peut réaliser ses ambitions et satisfaire ses besoins et évoluer avec le milieu ou s’adapter à celui-ci….
C’est possible!

Josiane GUNTHER LE 7/7/2018

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Nous sommes des « Ami-litants » !

Nous sommes des « ami-litants »!
C’est au cours de différentes interrogations avec des membres de l’équipe de Terrain
d’Entente que nous avons inventé cette formule de façon à décrire au mieux,ce que nous
recherchons à développer en terme de qualité de présence et ce que nous défendons comme
démarche. Affirmer être « ami-litants » c’est tenter de préciser la façon dont les pédagogues
sociaux s’efforcent de construire une relation avec les personnes qu’ils ont décidé de rejoindre,
pour que ce soit source de transformation sociale.
A Terrain d’Entente, nous accueillons régulièrement des jeunes en formation d’éducateurs.
Hors nous ne sommes pas perçus comme éducateurs par les familles qui rejoignent notre
collectif.
Qu’est ce que représente dans notre société, un éducateur qui a pour mission d’intervenir
auprès des familles?
C’est pour l’essentiel une personne formée, qui a obtenu un diplôme qui certifie qu’elle a des
aptitudes pour prendre soin des enfants et des jeunes, de façon adaptée à leurs besoins. Ce qui
signifie clairement, en creux, que si cette personne doit intervenir dans une famille, c’est parce
cette dernière a été repérée comme n’ayant pas toutes les aptitudes requises pour que ses
enfants puissent grandir dans les meilleures conditions.
A notre sens, c’est une dangereuse façon de focaliser le problème manifesté par certains
enfants, sur les incompétences, les manques, les carences…. L’éducateur serait le détenteur de
la bonne manière de faire, il connaîtrait lui, la bonne posture éducative qu’il va s’efforcer de
transmettre à ces parents défaillants de façon à ce qu’ils reprennent à leur compte ce bon
schéma.
On a suffisamment dénoncé les dangers de cette normalisation de la « bonne attitude
éducative » décidée par la classe sociale dominante, qui se sent légitime à définir ce qui est
éducatif et ce qui ne l’est pas. Elle est en incapacité d’envisager d’autres façons d’être avec les
enfants (plus collectives), d’autres conceptions éducatives.
On sait également cette façon de plus en plus systématique de ne pas interroger l’origine du
mal être repéré, curieusement majoritairement dans les familles issues des milieux populaires.
une société de se développer, de prospérer. Ils imposent leur vision du monde, ils pillent, ils
exploitent, ils mettent à mal l’intérêt général, au point que nous ne l’envisageons plus comme
une référence pour prendre collectivement les décisions, les orientations susceptibles d’ouvrir
l’avenir à tous.
Au fil des décennies, cette minorité a su imposer une vision du monde où chacun est
condamné à se battre contre tous les autres pour espérer trouver sa place parmi les « gagneurs ».
Le danger pour les éducateurs « labellisés », c’est de se retrouver au service de cette idéologie
de la responsabilité individuelle dans toutes les difficultés qui s’accumulent pour certains
d’entre nos concitoyens.
La pédagogie sociale est pour l’essentiel, un engagement, une implication sur des questions
de société qui nous concerne tous. A partir de la conviction que pour construire une société,
vivante, humaine, il faut prendre acte de la diversité, de la multiplicité, de la complexité, de
la vulnérabilité, de l’interdépendance. Personne ne se construit tout seul, personne ne réussit
seul quoi que ce soit. On se construit à partir du tissu social qui nous porte, nous nourrit, nous
encourage, nous reconnaît. Nous estimons même la reconnaissance de la vulnérabilité comme
une ressource pour établir des rapports humains dignes de ce nom. La vulnérabilité reconnue
comme constituante de notre nature humaine, permet pour chacun de pouvoir compter sur les
autres et de compter pour les autres. Elle nous permet de sortir de cette tension insupportable
d’avoir à prouver qu’on est le meilleur et de chercher à correspondre à ce qui est définit
comme l’excellence.
Un pédagogue social a des convictions sur ce qui est juste de construire comme mode de
relation qui nous tire tous vers le haut à partir d’une expérience, concrète, vécue, partagée,
dans la durée. Parce qu’il l’a vit avec tous ceux qui ne comptent pas, qui n’ont plus de place,
auxquels on n’offre jamais les mêmes possibles, il laboure le même sol, avec les mêmes
moyens, avec les mêmes difficultés, les mêmes manques, les mêmes incertitudes, les mêmes
peurs, les mêmes échecs. Les pédagogues sociaux sont donc des militants qui s’engagent pour
construire un espace social émancipateur, avec tous. Adjoindre à ce terme le qualificatif « ami »
permet de mesurer l’intensité et la puissance à laquelle cette démarche nous invite tous.
Un ami, c’est quelqu’un qui compte, qui a du prix à nos yeux, pour lequel on est prêt à risquer
de vivre des situations inconfortables pour soi même. Etre un ami, c’est ne pas compter le
temps que l’on donne, le temps nécessaire pour traverser une difficulté, pour que quelque
chose de meilleur advienne. C’est trouver le courage d’avoir une parole authentique qui met en
évidence les difficultés repérées chez l’autre, parce qu’on sait les reconnaître pour soi même.
C’est être tout proche dans les moments difficiles et être prêt à aller jusqu’au bout d’une
démarche pour espérer régler le problème qui met en cause l’équilibre toujours tellement
fragile pour rester debout. C’est être là toujours et encore, sans être sûr que quelque chose peut
changer, souffrir ensemble de ne pas arriver à trouver une issue, et continuer à espérer
ensemble. Et c’est aussi se réjouir du bien être retrouvé, des réussites. C’est ressentir que ce
combat, ces tâtonnements, ces pas dans le vide, enrichissent sa propre existence, apportent
une autre dimension à la réalité que nous pouvons percevoir, dans cette manière de vivre la
relation, plus haute, plus vaste. C’est se sentir égal en dignité et c’est trouver en l’autre des
ressources supplémentaires pour soi même, des aptitudes qui permettent l’évolution dans son
parcours propre. C’est faire un pas de plus pour sa propre émancipation.
Nous sommes des « ami-litants » parce que nous nous engageons avec ceux qui subissent de
plein fouet la violence des institutions, des décisions des politiques et des puissances
financières. Nous sommes des « ami-litants » parce que nous nous laissons habiter par les
peines et les joies qui nous donnent une réelle détermination à nous engager pour changer la
vie, en prenant tous les risques qui s’imposent à nous. On prend ces risques pour préserver ce
qui est vivant en nous. Et ce qui est vivant, c’est ce qui est libre de toutes les croyances, les a
prioris, les idéologies et qui rend possible un nouvel espace où il peut se créer autre chose qui
nous permet à tous un pas de plus et qui peut tout transformer.
C’est ce que nous tentons de transmettre à tous ces jeunes étudiants qui viennent s’initier à la
pédagogie sociale. Nous apprenons ensemble l’art de se rendre attentif et disponible à ce qui
se manifeste autour de nous, l’art de construire une relation authentique, l’art de reconnaître sa
propre vulnérabilité, l’art de s’engager avec intégrité.
Josiane Günther
22/06/2018

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Il nous faut remettre le monde humain en ordre.

Depuis sa conception, de part sa grande vulnérabilité, le petit d’homme sait que son devenir dépend de son environnement familial et social, et il apprend la compassion, la solidarité. Dans la nature, ceux qui survivent le mieux aux conditions difficiles, des végétaux aux animaux, sont ceux qui s’entraident. Dans les entreprises c’est la coopération qui produit le plus d’efficacité dans le travail, on commence même à parler du caractère contre productif de la compétition. Hors notre monde s’enfonce toujours plus dans les rapports marchands de la concurrence « libre et non faussée ». La sauvagerie managériale qui en découle est sans précédent et produit des ravages en chaîne, à tous les échelons de notre vie en société. Un monde brutal, violent, injuste, dont nous ne voulons pas. On parle également depuis peu, du désengagement de la classe la plus riche de la société installée dans les hyper centres des villes les plus riches et qui n’ont plus de lien avec le reste de la population. Cette sécession remet en question la notion même de notre République « une et indivisible », qui unit les citoyens dans un même engagement à faire ensemble société au travers de cette notion d’intérêt général, de bien commun.

Mais les lignes bougent! On voit un peu partout, se manifester des mobilisations qui relèvent du sens de l’intérêt général, au travers parfois de rencontres improbables. A l’exemple des personnes la ZAD de Notre Dame des Landes avec les habitants d’Aulnay sous Bois qui se sont mobilisés pour sauver « le Galion », promis à la destruction. Un bâtiment considéré comme le « poumon » du quartier, avec sa galerie marchande et tout son réseau associatif. Aulnay a pu compter sur le soutien de militants de Notre Dame des Landes. L’urgence écologique qui a rejoint l’urgence sociale. Les lignes bougent parce que dans ce climat politique et social exacerbé, on cerne mieux ce qui est en jeu depuis des décennies et ses conséquences dévastatrices. La déconstruction méthodique des conquêtes sociales, qui ont assurées des protections pour tous, pour la dignité de tous, avec une égalité de traitement. La dissolution de l’état de droit qui met en danger la majorité de la population. Nous subissons une attaque sur le centre même de notre organisation sociale. Attaque contre l’ensemble des service publiques et de tout ce qui fait lien dans notre pays. Le service public étant la seule richesse de ceux qui n’en n’ont pas.

Les clivages dans la société deviennent évidents. On peut aujourd’hui identifier une continuité entre ce qu’on observe dans les banlieues et ce qui se développe dans la société toute entière. Les problèmes spectaculaires des banlieues semblent se diffuser et se généraliser à une plus large partie de la société. Il se profile un devenir commun, une identité commune. Seulement, dans les différentes luttes, il persiste de la fragmentation et de la dispersion. Comment construire des passerelles entre les situations les plus intolérables des habitants des quartiers les plus populaires et ce que subit le reste de la population, pour aboutir à une dimension universelle des problèmes sociaux? Comment mettre ainsi en évidence les souffrances silencieuses de millions d’hommes et de femmes qui subissent au quotidien les violences sociales les plus destructrices ? Qu’il s’agisse de l’enfermement sur un territoire, de l’absence de perspectives, de la misère qui s’accentue. Eh puis surtout, de n’avoir aucune place pour contribuer à la construction de la société, de ne pas compter, de ne pas être considéré comme membre de la communauté française.

Le danger est bien de maintenir une fracture avec les quartiers populaires, et tous ceux qu’on ne voient et qu’on n’entend plus. Il est impossible de construire un avenir plus juste et plus humain, si nous oublions ceux qui sont le plus à la marge et le plus en difficulté. Il nous faut apprendre à faire société tous ensemble, inventer des formes de solidarités et de luttes réelles pour améliorer les conditions de vie de tous, développer l’entraide.

La réponse qu’apportent les acteurs de la pédagogie sociale c’est de prendre le parti d’être présents, dans la durée, à la périphérie des villes et d’observer, d’écouter en s’impliquant. A la manière décrite par Paolo Freire où la pensée est guidée par la pratique. La pratique d’une réalité de terrain dans laquelle on a choisi de s’engager. Ce parti pris est politique. Nous voulons construire une société inclusive qui considère chacun comme partie prenante dans nos affaires sociales et source d’enrichissement pour la collectivité.

Pourquoi écouter parait-il si déterminant pour transformer les choses? Une écoute, qui donne la parole aux populations les plus à la marge, qui sont exclues de l’espace public et nombreuses à être enfermées dans le silence. Ecouter, c’est permettre aux gens de parler d’eux mêmes. Ecouter une histoire de vie, la douleur, les freins, les impasses. Ecouter et s’émouvoir ensemble. Ces émotions qui permettent de ressentir ce qui se passe en l’autre, sa honte d’une vie empêchée, son sentiment d’impuissance, et de reconnaitre qu’il est toujours debout!

Oser rejoindre l’autre dans cette détresse de ne pas pouvoir se réaliser au plein de sa puissance, c’est nous rejoindre nous même dans notre incapacité à nous réaliser pleinement, en acceptant l’inacceptable, en subissant la domination. Le chemin le plus juste pour reconstruire ce qui nous est commun, et retrouver notre puissance pour agir ensemble, c’est la rencontre, l’écoute, la reconnaissance de ce qui nous lie. On retrouve alors le sens de ce qui est offert: un temps de présence, un espace de rencontre collective qui rend possible autre chose, pour chacun d’entre nous, pour nous tous. Nous retrouvons les bases de notre humanité commune, des centres d’intérêts, des préoccupations communes, des envies! Et ce que nous voulons surtout, c’est offrir à tous les enfants, un avenir digne de ce nom. Que chacun puisse choisir comment il souhaite construire sa vie, choisir une formation, un métier qui lui plaise vraiment, avoir un revenu suffisant pour vivre bien. Cette bataille là, nous pouvons là mener tous ensemble!

L’observation, l’écoute permettent de comprendre la bonne manière de pouvoir s’engager ensemble dans des actions qui font sens pour tout le monde. Par exemple, à Terrain d’Entente nous organisons régulièrement des sorties au hammam. « Le hammam, on le reporte tout le temps ». Il y a des choses plus vitales à tenir pour essayer de construire un quotidien acceptable. Aller au hammam, une préoccupation qui n’a rien de politique ? Et pourtant…. Aller au hammam, prendre ce temps là pour soi et avec les autres , pour prendre soin de soi et des autres , pour se rappeler qu’on a de la valeur et que chacun-e- en a. Une petite exception dans le quotidien, un petit changement, un peu d’énergie retrouvée, et le regard qui change sur soi même, change sur ce qui nous entoure, change sur ce que nous ressentons comme possible. Nous retrouvons le sens, l’envie et l’énergie de construire avec d’autres. Nous comprenons ensemble ce qui est inacceptable et nous retrouvons les moyens de nous organiser pour transformer ce quotidien.

Ecouter… et aussi observer. Paolo Freire rappelle que ce qui reste essentielle pour sortir de la domination, et construire des relations qui soient émancipatrices, c’est de savoir observer et s’imprégner de ce qui nous entoure. Une observation où on prend le risque de se laisser déstabiliser par ce qui se manifeste et ce qui se dit. Une observation où on prend le risque d’interroger la validité de ce qui est pressenti et considéré comme normal, acceptable par le sens commun. Parfois nous sommes face à des comportements, des paroles qui bousculent nos repères et nous déstabilisent. Des comportements face auxquels on n’a parfois aucune réponse. Des comportements que nos schémas habituels de pensée ne nous permettent pas de comprendre. On ne sait pas, on doute, on se trompe. Et c’est dans cette incertitude que notre regard se transforme et nous permet de voir autrement. Cette humilité permet de construire un rapport d’égalité avec les habitants. Nous apprenons d’eux, nous apprenons ensemble.

On peut voir alors que les quartiers ne sont pas un désert politique dominé par l’apathie et le consumérisme. La mobilisation ne passe pas par les cadres conventionnels, mais la demande de justice et d’égalité est bien réelle, l’entraide se construit au quotidien, discrètement, et nous rappelle les valeurs universelles de la république Cette observation permet un retour sur soi, sur ce que j’estime être juste, acceptable, repose les problèmes de fond, sur ce qu’on s’autorise à dire, à faire, à être, nous ramène à des valeurs universelles, essentielles.

Alors d’autres espace de libertés s’ouvrent. Il peut s’envisager avec les autres des actes que l’on peut poser avec force et détermination. On s’autorise des initiatives basées sur l’entraide et la coopération, pour reprendre en main notre quotidien et notre avenir. Les exemples sont nombreux de tous ceux qui ont su élaborer de nouvelles formes d’organisation collective, démontrer qu’il est possible de vivre autrement. Des passerelles fiables et durables se construisent entre nous tous, pour rejoindre la dimension universelle de nos problèmes de société et y inventer des réponse à la hauteur des enjeux.

Cet avenir à construire est possible, si nous savons l’inventer tous ensemble, si nous savons nous appuyer sur les ressources immenses de tous ceux qui restent aujourd’hui invisibles.

Josiane GUNTHER LE 16 Avril 2018

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Pour retrouver le sens, le dynamisme, l’éthique dans le travail social

Nous sommes très interpellés depuis quelques années, en constatant le rétrécissement des possibilités d’agir des institutions et des structures du travail social. Dans ces espaces, il y a de moins en moins d’accueil physique aux usagers, dans l’urgence, les démarches sur la question de l’accès à des droits fondamentaux n’aboutissent pas ou de manière parcellaire, ou les réponses sont inadaptées, les rendez vous sont de plus en plus espacés, l’accueil est parfois tendu.

En regard de ces institutions du service public, se développent des petites associations qui sont condamnées, et ce, sur le long terme, à des logiques de survie, à une précarité permanente, à l’incertitude d’être en capacité de poursuivre leurs actions. Et ces petites associations règlent des problèmes concrets, développent des actions et répondent à des besoins cruciaux, en associant chaque fois les personnes concernées qui se mobilisent. On peut citer, par exemple, tous ces espaces de solidarité qui se développent dans la durée auprès des personnes migrantes. Aujourd’hui, les assistantes sociales s’adressent à ces collectifs pour trouver des solutions d’hébergements.

Un autre exemple, l’association Terrain d’Entente qui propose des ateliers de rue à Tarentaize depuis près de 7 ans. Elle a obtenu en 2017, les Lauriers de la Fondation de France là reconnaissant ainsi comme l’association la plus innovante du département de la Loire.

Terrain d’Entente, c’est une poignée de militants, et une équipe très instable, avec des jeunes en formation d’éducateurs, présents entre 6 et 9 mois, des jeunes volontaires du service civique avec un contrat de 10 mois, un employé en contrat aidé pour une année. Nous sommes éparpillés tout au long de la semaine dans différents lieux pour nos réunions d’équipe, pour le café des femmes, la garde des bébés. Ces différents espaces mis à notre disposition par le centre social du quartier sont remis en question à chaque période de vacances scolaires. Nous louons un garage (avec des souris!) pour entreposer notre matériel pédagogique.

Comment expliquer ce grand écart entre des institutions établies qui ne font plus face aux situations de détresse et des associations qui disposent de moyens toujours insuffisants et qui trouvent des issues pour répondre à une grande diversité de problèmes?

Depuis plusieurs années, les agents des institutions d’Etat subissent des injonctions à tenir des objectifs décidés par les pouvoirs publics qui sont très à distance des réalités du quotidien, sans pouvoir eux mêmes intervenir dans ces décisions. On parle aujourd’hui à ces agents « d’intéressement à l’efficacité », de « performances » à développer…. L’idéologie libérale domine désormais tous ces espaces.

Cette logique libérale met en avant la question des déficits publics. Les projets sont envisagés avec comme objectif essentiel, de réduire les coûts. La question de la finalité de l’action sociale n’est jamais posée. Or toute l’action sociale est centrée sur l’intérêt général, sa vocation est de garantir à tous l’effectivité de ses droits (l’éducation, la santé, le logement, les transports….). La mission de tous ces agents de la fonction publique est de prendre en compte l’intérêt général dans sa diversité et sa complexité. De rechercher des solutions adaptées à chaque problématique, analysée en regard de l’expertise des usagers.

C’est le coeur de tous ces métiers. Un travailleur social sait entendre et prendre en compte la parole de la personne en demande d’aide, dans une écoute bienveillante et empathique. Il sait confronter son analyse par un regard croisé avec d’autres professionnels, d’autres partenaires, il sait travailler et s’investir dans des projets collectifs. Tous ces temps de concertation favorisant l’accès aux droits pour chacun sur le plan politique, sociale, économique.

Le statut de fonctionnaire est conçu pour permettre à tous les agents de contribuer à l’avancée, l’adaptabilité des décisions politiques en regard de l’évolution de la société.

Les questions sociales se transforment sans cesse, évoluent, se dégradent, d’autres problématiques se manifestent, il est incontournable de pouvoir entendre la parole de tous ces acteurs de terrain pour que les lois, les dispositifs constituent des réponses adaptées.

Une assistante sociale me rapportait son expérience sur l’évolution de son travail ces dernières années. Il y a 5 ans, il était toujours possible d’accueillir une mère de famille en détresse un vendredi soir et de lui délivrer un secours d’urgence. Les travailleurs sociaux, de manière unanime se mobilisaient alors pour aller chercher ce secours qui était parfois disponible en dehors de leur zone géographique d’intervention, et personne ne déplorait les heures supplémentaires inhérentes à la mission réalisée, tant la tâche était reconnue légitime. « On avait toujours une solution de secours ».

Mais depuis plusieurs années cette enveloppe est toujours plus remise en question, et le même agent qui se mobilisait sans compter ses heures, conscient d’agir dans le cadre de ses missions, est capable de répondre aujourd’hui à cette même mère en détresse: « il n’y a rien de possible, et ce n’est pas la peine de revenir la semaine prochaine, je vous ferais la même réponse ».

Les agents aujourd’hui, dans de nombreuses situations de danger, n’ont plus aucune latitude pour envisager des solutions, pour chercher avec d’autres. Ils se retrouvent confinés dans leur secteur d’intervention, sans lien avec les autres structures, ce qui réduit d’autant les possibilités de répondre aux situations de détresse.

Les agents ne sont plus en capacité de jouer un rôle de vigilance et d’alerte face aux évolutions de la société et aux effets dévastateurs des orientations politiques.

La précarité et la dégradation des conditions d’emplois et des salaires pour les usagers et pour les travailleurs sociaux, la dégradation de l’offre des services publics, des protections sociales ont, dans tous les domaines, des conséquences dramatiques.

Laurent OTT avait intitulé un de ses derniers articles: « Le culte du consentement, tombeau des innovations sociales « .

Nous devenons les valets d’un système qui nous étouffe, qui nous contraint. Quand il n’est plus possible d’imaginer, d’inventer des solutions en s’organisant avec d’autres, quand il n’est plus possible de faire un pas de côté pour chercher à améliorer les situations, à quoi bon réfléchir?

Dans toute situation de travail, si nous n’avons aucune possibilité de réfléchir collectivement, de proposer, d’inventer, à partir d’une lecture de la réalité, nous perdons peu à peu tout intérêt, toute envie à s’investir pour contribuer à l’évolution de notre tâche. Nous perdons le sens de nos missions. Nous nous retrouvons dans la posture de l’esclave face au maître qui pense pour nous, et nous rejoignons alors facilement et assez rapidement son idéologie, ses principes, ses valeurs.

Ne plus penser, ne plus chercher à analyser le contexte auquel on se confronte sans cesse nous fait penser en fonction de l’idéologie dominante. Il devient alors tout à fait possible d’accepter de croire que le problème ce sont toutes ces personnes en situation de détresse. Elles s’expriment mal, elles n’honorent pas tous les rendez vous, ne se plient pas à toutes les contraintes imposées par les démarches administratives, elles achètent des habits de marque à leurs enfants!….

Dans ces espaces de travail social, nous avons oublié que l’action sociale publique est orientée vers le bien être des populations, la dignité, le développement des personnes. Dans ces espaces, les agents n’ont plus la capacité à s’indigner devant le fait que de plus en plus de familles n’ont aucune perspective d’avenir. Ceux de leurs membres qui sont encore employés, réalisent des travaux avilissants qui détruisent leur santé, vivent dans des logements dégradés, dans des quartiers relégués, ne peuvent offrir à leurs enfants aucun loisir, aucun projet de vacances….

Vous savez pourquoi les familles pauvres achètent des vêtements de marque à leurs enfants? C’est pour qu’ils ne soient pas marqués du stigmate « bénéficiaire du RSA », c’est un sursaut de dignité, pour que les enfants n’aient pas à avoir honte de leur origine.

A Terrain d’Entente, nous restons indignés, depuis 7 ans que nous sommes présents sur le quartier de Tarentaize. Cette colère est un puissant moteur. Avec les familles du quartier, nous prenons à bras les corps nos affaires sociales pour transformer ce qui est inacceptable dans un des pays les plus riches du monde.

Nous réinventons un modèle de développement social, producteur de richesse et d’égalité sociale. Et nous sommes témoins de ce qui se construit au quotidien, silencieusement.

Au milieu de difficultés de plus en plus importantes, les familles populaires produisent un énorme travail quotidien pour tenir, pour faire vivre ou survivre la famille, élever les enfants, pour éviter plus de dégradation de la vie sociale du quartier. Sans ce travail, le tissus social serait bien plus dégradé. Mais ce travail est nié et les familles sont ainsi dépossédées de leur moyens de vivre, avec un mépris social largement ressenti dans de nombreux domaines du quotidien.

Il s’agit pour nous, de transformer cet inacceptable violence sociale : la négation de ce que produisent les familles.

Le combat est celui d’une réappropriation. Il s’agit d’agir ensemble, de construire des solidarités et d’obtenir la reconnaissance de ce travail des familles.

Nous savons tous, que l’efficacité dans le travail se construit dans la mise en relation avec les autres acteurs, dans la coopération et le travail collectif. Travailler ensemble, produire ensemble, transformer ensemble, ce n’est pas seulement apprendre comment faire les choses, mais c’est aussi retrouver ensemble l’énergie et la raison de le faire.

Pour construire des liens d’égalité où chacun est reconnu dans sa dignité, il nous faut affirmer que chacun est producteur de richesses. Il nous faut reconnaître ainsi la place qu’il occupe réellement, le rôle qu’il joue dans la société, le fait qu’il est auteur d’une multitude d’initiatives qui dynamisent au quotidien la collectivité, et lui laisser l’espace pour penser, décider, réaliser à partir de son expertise.

Pour retrouver le sens, le dynamisme, l’éthique  dans nos activités humaines, dans tous les secteurs de notre existence, il est indispensable de reconnaître chacun comme producteur de richesses. Mettre en évidence ce qui est produit et qui enrichit le pays de toutes les manières possibles.

Josiane GUNTHER, le 20 Février 2018

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Pour que les familles des milieux populaires puissent reprendre en main leur destin, repolitiser l’action sociale.

Pour que les familles des milieux populaires
puissent reprendre en main leur destin,
repolitiser l’action sociale.

Nous sommes envahis toujours plus par un discours centré sur les manques, les difficultés, la dangerosité des banlieues, des quartiers. On parle alors de problème de « culture », de manque « d’intégration ». La question sociale a été totalement éludée, l’échec scolaire, le chômage de masse, l’absence de perspective d’avenir, la pauvreté qui s’aggrave…. Le projet libéral a intérêt à créer une frontière qui s’appuie sur des critères autres que sociaux, comme la culture, l’ethnie, la religion.
Nous ne pouvons que déplorer aujourd’hui, le manque de présence militante, d’implication avec les habitants. Une présence qui a permis pendant plusieurs décennies, de remettre en question les rapports de domination, de discrimination, d’injustice. Une présence qui a favorisé, sur ces territoires particuliers, le sentiment d’une appartenance à une classe sociale bien définie, qui nous unissait dans ce que nous avions de commun et pouvait ainsi poser les questions sociales comme une affaire qui nous concernait tous. Avec la volonté de construire tous ensemble, des rapports plus égalitaires et plus justes, une reconnaissance et une place à chacun.
Arrêtons nous un instant sur cette question de la dépolitisation des rapports sociaux.
Depuis plusieurs années, il ne semble plus politiquement correct de parler de conflictualité des rapports sociaux. On refuse d’évoquer les rapports de domination, les rapports de force, les conflits. On préfère parler en terme de « négociation », de « dialogue social ». La volonté est de masquer les clivages sociaux. Les manifestations syndicales sont condamnées, criminalisées, étant estimées trop revendicatives et violentes. A la violence du système libéral qui produit des inégalités et des injustices démesurées, s’ajoute la violence de sa détermination à réprimer toute forme de contestation.
Mais aujourd’hui, dans les banlieues, des mouvements de contestation s’efforcent de dénoncer, de façon radicale, les questions de la violence policière et de la justice répressive, punitive, les discriminations, l’exclusion. Ils revendiquent des rapports d’égalité, plus de justice, une reconnaissance et une place.
Ces manifestations sont en totale contradiction avec cette volonté de lissage de nos relations sociales. Leur expression n’a aucune place dans les débats. Alors de temps à autres, des voitures brûlent, des affichages publicitaires sont détruits…Parfois même des quartiers entiers s’embrasent pendant plusieurs semaines.
L’association Terrain d’Entente reste très préoccupée par la situation des jeunes à Tarentaize. Certains d’entre eux suivent un parcours très chaotique avec des périodes de travail très précaire et de chômage, des passages à l’acte délinquants, des séjours en prison. Ceux là n’ont plus aucun contact avec les adultes du quartier, un sentiment d’impuissance se développe, les adultes responsables du champ éducatif et de la protection n’arrivent plus à s’interroger collectivement sur cette très préoccupante situation.
Comment dans ce contexte, les familles des milieux populaires peuvent devenir auteurs de leur existence en participant de façon concrète à son amélioration?
Elles doivent pouvoir s’engager, avec tous, dans les luttes pour l’amélioration des conditions de vie de tous, pour construire une vie digne de ce nom. Il faut donc s’intéresser tous
ensemble au problème du logement, de la santé, de la scolarité et de la formation, du budget insuffisant pour assurer tous les besoins du quotidien, de tous ces emplois indignes, des travailleurs pauvres, du démantèlement des services publics….
Comment déconstruire cette vision faussée de l’insécurité dans les quartiers?
Ces populations sont maintenues dans les positions les plus défavorisées, les plus dévalorisées. Et on sait tous que l’insécurité, c’est surtout la précarité qui augmente de façon globale et dramatique.
Cette notion d’insécurité sociale s’est manifestée tout au long du XIXème. Elle était liée à la condition du travail. Celui qui n’avait que ses bras comme force de travail, avec le risque de tout perdre à l’occasion d’un accident, avec la maladie, la vieillesse…. L’ubérisation de notre société, n’est-elle pas en train de nous ramener à ce XIXème siècle?
Pendant plus de 100 ans, la lutte contre l’insécurité s’est traduite par la construction d’institutions collectives de protection. La classe ouvrière, les milieux populaires sont à l’origine de toutes ces conquêtes. Ils ont livrés, tout au long de ce siècle, d’âpres batailles pour que vivent de manière concrète et effective, les valeurs de solidarité, d’égalité, de fraternité. Les valeurs fondamentales pour échapper à la barbarie et construire entre tous les citoyens, des rapports qui soient humains.
« Si on abandonne la reconnaissance des principes républicains, on perd le sentiment politique de l’humanité(…. )Quand on voit quelqu’un qui n’est pas respecté dans ses droits on doit souffrir soi même de voir souffrir le droit de la personne du semblable. Quand le prochain est atteint dans ses droits, on atteint le droit qui nous protège tous. C’est l’ensemble de la société qui n’est plus protégée. Les espaces de réciprocité constituent le sentiment fraternel. C’est l’apathie politique qui empêche qu’il y ait de la fraternité.
Refonder ces principes suppose de se redonner notre puissance de citoyen et considérer que tout ce qui se passe doit supposer le droit d’être débattu ». (Sophie Wannich)
Mais nous connaissons la suite de l’histoire, les années 80 marquent un tournant, avec la notion d’austérité, la mise en place de mesures qui ont détruit années après années, les protections collectives.
L’insécurité s’oriente alors sur la question de la délinquance dans les quartiers.
On a été incapable d’enrayer la concentration de la misère, l’économie de survie. Et cette concentration de situations misérables, on va là régler de manière policière, par plus de répression et de violence. Politiquement, c’est très fonctionnel, ça permet de montrer les moyens mis en oeuvre. C’est plus facile que de transformer les situations économiques.
On fait monter la répression et on ne se donne pas les moyens de prendre les mesures pour favoriser le futur, l’intégration.
Pourtant, malgré tout ça, dans les banlieues, il y a la tentative de se projeter dans un autre avenir, de ne pas accepter le présent tel qu’il est, ne plus supporter les conditions d’inégalité mais construire un autre future.
Pour encourager cette reprise en main du destin par les milieux populaires, il faut reprendre notre place, s’engager concrètement, s’impliquer personnellement.
Terrain d’Entente, avec de très modestes moyens, est engagé dans cette construction. Depuis toutes ces années de présence, nous savons mettre en évidence les ressources, les capacités de mobilisation des adultes, les savoirs faire professionnels qui nous permettent de pouvoir contribuer au dynamisme local. Nous sommes de plus en plus centrés sur les envies et nous avons collectivement contribuer à régler certains problèmes.
Nous cherchons les moyens d’exercer de façon effective notre responsabilité collective dans l’éducation et la protection des enfants. Et nous nous efforçons de nous engager, avec les
acteurs volontaires de l’action éducative, pour construire, avec les parents, une communauté éducative, à l’échelle du quartier où chacun se sent responsable, impliqué, à égalité.
Nous encourageons les enfants à partir des conseils qui ont lieu chaque semaine, de devenir partie prenante de nos temps de rencontre, en les accompagnant dans leurs projets pour qu’ils puissent aboutir. Les enfants s’investissent et s’engagent pour des projets qui font sens pour eux. Nous nous centrons sur des modes d’expression artistique (Atelier Théâtre, Atelier écriture, Atelier peinture, Atelier paperolle….). Nous recherchons des modes de manifestation pour mettre en valeur toutes ces productions. On peut dire aujourd’hui: vous connaissez les enfants de Tarentaize? Ah oui, ceux qui ont réalisé l’exposition de peinture à l’amicale de Chapelon, ceux qui ont décoré la librairie croque’linotte avec des origamis, ceux qui ont animé des ateliers paperolles place Jean Jaurès dans le cadre de la fête du livre, ceux qui ont réalisé une émission de radio….
Nous avons construit une communauté de destin avec les habitants du quartier et ça nous amène à répondre aux besoins sociaux qui y émergent. Ces liens de proximité sont la source de notre mobilisation et de notre détermination à vouloir transformer l’inacceptable. Parce que nous ne pouvons pas envisager de transformations sociales sans nous appuyer sur l’expertise et les ressources des familles des milieux populaires.
Ces espaces de pédagogie sociale restent extrêmement précaires et privés de soutien pour poursuivre leur évolution.
Hors il est temps d’encourager les initiatives qui ne s’inscrivent pas dans une gestion des quartiers de type colonial ou occupationnel, mais qui s’impliquent dans la durée en construisant des rapports de proximités pour engager des actions qui transforment les rapports de dominations en pouvoir émancipateurs.
Un petit rappel de l’histoire: l’action sociale repose sur la solidarité de la Nation fixée dès l’article 21 de la constitution du 24 juin 1793 qui déclare : « Les secours publics sont une dette sacrée, la société doit la subsistance aux citoyens malheureux… »
C’est une formulation de l’époque, mais elle affirme l’engagement de l’état, de la société toute entière à ne laisser personne au bord du chemin, comme un devoir « sacré ». Elle traduit la conviction qu’une société se construit et se développe avec tous, sinon, nous prenons le risque pour tous, de plonger dans la barbarie qui nous oppose et nous divise.
Qu’en est-il de ce principe aujourd’hui ? A quelles conditions les associations d’action sociale peuvent-elles retrouver leur capacité à porter sur l’espace public les constats et analyses qu’elles tirent de leur action, à alimenter une critique sociale ?
« Quand le prochain est atteint dans ses droits, on atteint le droit qui nous protège tous ».

Il est temps de re politiser l’action sociale.

 

Josiane GUNTHER
Le 20/11/17

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Des savoirs qui nous divisent, des savoirs qui nous émancipent Construire une compréhension populaire du monde pour le transformer

 

La question du savoir, de ce qui est reconnu et valorisé comme du savoir, détermine la place que chacun occupe dans la société. Une forme d’élitisme s’est développé à partir du savoir académique. Ce savoir là domine tous les espaces de la société et conditionne notre façon de comprendre la réalité.

Toute une hiérarchie définit la valeur de la connaissance à partir du nombre d’années d’études et des diplômes obtenus. Un docteur en économie a plus de légitimité à prendre la parole, il sera écouté avec attention par un public nombreux qui va se déplacer pour l’entendre. Il sera considéré comme un expert, et les concepts, les analyses, les visions du monde qu’il va décliner seront considérés comme vrais.

Une femme de ménage ne prend jamais la parole en public. D’elle même elle a intégré qu’elle n’avait rien à dire d’important. Elle ne se sent aucune légitimité pour apporter sa contribution à la réflexion collective. Elle va même apprendre à penser contre elle même en discréditant son expérience concrète du quotidien si elle n’est pas corroborée par les discours dominants. Lorsqu’on discute au café des femmes de tous ces métiers mal considérés, voire méprisés, on ne peut que reconnaître une profonde injustice. La cuisine, le ménage, l’aide aux personnes vulnérables…. sont des métiers indispensables, essentiels pour qu’une société puisse se développer dans les meilleurs conditions. Alors que les conditions de travail, dans tous ces métiers, restent indignes, partout. Ces travailleurs là font partie de la longue liste des invisibles dans notre société.

Cette conception très restreinte de la connaissance est aujourd’hui bousculée. Une autre vision s’affirme peu à peu. On parle des « savoirs froids » et des « savoirs chauds ». Les premiers sont les savoirs universitaires, les lectures, les connaissances intellectuelles… Les autres sont les enseignements que chacun retire de son expérience de vie, de ce qu’il a construit avec d’autres. Les « savoirs froids », on entend par là des savoirs désincarnés, qui n’ont pas d’accroche avec le vécu. Les « savoirs chauds » sont ceux qui produisent la chaleur de la relation, de la rencontre et la capacité à agir avec les autres.

 

Poalo Freire rappelait que le savoir n’est jamais issue d’une expérience intellectuelle solitaire. Le savoir c’est ce qu’on apprend en réalisant concrètement les choses avec d’autres, en s’impliquant dans des actions. Le savoir provient de tous ces échanges, ces dialogues à partir de ce qui se construit collectivement. Faire les choses et parler ensemble de ce qu’on a fait permet de construire des savoirs, une compréhension de la réalité, et chacun apporte alors sa contribution à cette lecture du monde. Ces actions, ces échanges, ces savoirs nouveaux sont en eux mêmes émancipateurs, parce qu’ils nous permettent d’agir.

N’est ce pas la finalité de l’éducation? Ne vise-t-elle pas à ce que chacun devienne auteur de son existence et exerce sa citoyenneté en s’organisant avec d’autres, en devenant partie prenante de toutes les affaires sociales qui le concernent?

Une des bases fondamentales pour construire une vie sociale riche, dynamique et vivante, productrice de progrès pour tous.

Ce qui est extraordinaire dans la démarche de la pédagogie sociale c’est de savoir construire les relations en partant du principe que nous sommes ignorants de beaucoup de choses. Les pédagogues sociaux s’immergent dans la réalité quotidienne des habitants des quartiers populaires, pour comprendre et apprendre comment chaque jour se construit. Et nous nous heurtons à une violence de plus en plus globale que les familles subissent dans tous les domaines de leur existence. Et nous nous enthousiasmons de toutes ces ressources infinies qui se manifestent lorsqu’on entreprend ensemble des actions qui font sens. Et nous nous engageons tous ensemble avec la volonté de transformer les choses en nous sentant responsable, impliqué, à égalité.

Cette année, une action que nous avons menée à bien m’a particulièrement marquée et m’a permis d’en tirer un précieux enseignement.

Lorsque nous avons entrepris de participer à l’animation d’une rue dans le cadre de la biennale du design en ouvrant un salon de thé. Une vingtaine de femmes étaient mobilisées pour mener à bien ce projet. Et nous avions toutes le pressentiment que nous n’avions pas droit à l’erreur, qu’il fallait que l’on fasse preuve d’excellence. La question de la dignité de chacune et du collectif était en jeu.

Les familles pauvres l’ont compris depuis toujours. Si elles veulent espérer trouver leur place parmi les autres membres de la société, elles se doivent de dépasser les à prioris qui pèsent lourd sur la façon dont elles sont considérées.

Ces adultes doivent faire plus et mieux que ce qui est attendu de façon générale, pour être reconnus.

La boutique était magnifiquement décorée par les oeuvres des enfants, le mobilier avait été prêté par les unes et les autres, les gâteaux abondants étaient présentés dans les plus beaux plats qui provenaient tous des vaisselles familiales.

Le premier jour de l’ouverture, chaque adulte avait invité ses amies. Le salon était bondé. Au moment de préparer le thé, le compteur d’électricité a disjoncté. Je me suis retrouvée totalement catastrophée et désemparée. Alors que plusieurs de ces femmes ont réagit pour trouver rapidement une solution. Aller demander aux autres commerçant de faire bouillir de l’eau, retourner chez soi pour préparer du café… En l’espace d’une heure, le problème était réglé, grâce à la contribution active de chacune.

On a bien rit après coup, de cette mésaventure. Et l’une d’entre elles m’a fait remarquer: « Tu sais Josiane, tu peux compter sur nous, on a l’habitude des galères, c’est notre quotidien, on sait faire avec! »

 

On sait faire avec…! Un savoir qui vient de l’expérience, de toutes ces galères avec lesquelles il faut bien composer pour espérer trouver des solutions. Un savoir qui développe des aptitudes à chercher, créer, inviter des solutions.

Majid Rahnema en parle longuement dans son livre « la puissance des pauvres ».

Alors qu’on défini habituellement la pauvreté par le manque, l’auteur rappelle que la pauvreté dans laquelle a toujours vécue l’essentiel de l’humanité est une pauvreté conviviale qui s’appuie sur les valeurs humaines de solidarité. Quand on est pauvre, on n’a pas d’autres choix que de rechercher en soi même et avec les autres la meilleure façon de régler les problèmes qui se posent tout au long de l’ existence. Tous ces trésors d’inventivité, ces ressources pour échapper à l’impuissance sont un immense potentiel de transformation de la réalité.

Nous avons cette chance formidable d’apprendre de ces familles à imaginer, créer des possibles. C’est un enrichissement que nous ne pouvons pas construire ailleurs et autrement. Il nous faut juste nous immerger, nous imprégner de cette façon de faire avec la réalité pour peu à peu, en construisant des collectifs, là transformer.

Nous apprenons de tous ces savoirs »bénéficiaires du RSA », celui de la précarité, de l’instabilité permanente dans l’accès aux droits; les savoirs « mère isolée », et la non prise en compte de cette responsabilité écrasante d’avoir à élever seule ses enfants; les savoirs « étranger nouvellement arrivé en France » et l’incertitude du lendemain, l’insécurité et la peur….ect….

Les savoirs universitaires sont des savoirs « hors sol », en dehors de la « vraie vie » et ne nous permettent pas de pouvoir faire face à tout ce qui peut advenir et qui n’était pas prévu.

Sur cette question de la valorisation des diplômes, une jeune femme m’exprimait un jour son amertume face à toutes ses années d’études où elle avait été une élève brillante. Elle avait réussit à l’école. Mais toutes ces années ne lui ont pas permis de construire son existence de façon autonome, ne lui ont pas donné l’assurance nécessaire pour prendre des décisions par elle même, pour choisir un métier dans lequel elle puisse pleinement se réaliser.

Il semble donc indispensable de poursuivre l’ouverture de ces espaces qui se sont développés au travers de différents collectifs, à l’exemple des universités populaires. Ces espaces permettent le croisement des savoirs pour qu’ils se nourrissent mutuellement. Les savoirs universitaires qui se nourrissent des savoirs incarnés dans le vécus, et réciproquement.

Mais il faut surtout poursuivre la création de collectifs qui permettent ensemble de produire, de construire, de sentir que des possibles s’ouvrent, pour redonner dignité et légitimité à tous ces savoirs populaires qui ne sont pris en compte nulle part.

A partir de là, il est possible de construire une compréhension de monde forte parce qu’incarnée dans la vie quotidienne, dans les expériences concrètes. Une compréhension du monde capable de porter et de légitimer les mouvements émancipateurs…… Et ne plus penser contre soi même!

 

 

 

 

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Contre le sécuritaire, les proximités pour habiter ce monde ensemble.

Contre le sécuritaire,
les proximités pour habiter ce monde ensemble.

C’est devenu une préoccupation permanente, en toutes circonstances, pour la moindre initiative la question centrale est toujours : avons nous envisagé ce que nous souhaitons entreprendre sous l’angle de la sécurité?
Les actions qui se déclinent pour répondre à des besoins, des envies, pour régler des problèmes concrets sont considérées sous le prisme des bonnes conditions de sécurité. On se préoccupe alors moins de s’assurer que les actions prévues sont une bonne réponse à ce qui s’est manifesté, si nous avons été vigilants à bien comprendre la demande, si nous nous sommes assurés que les personnes concernées étaient bien auteurs et partie prenante de cette initiative….Nous sommes plutôt invités, pour ne pas dire que nous devons répondre à cette injonction à bien mesurer le risque qu’elles comportent.
Pour notre sécurité, il se développe, sans notre consentement d’ailleurs, toute une séries de mesures. Des caméras de vidéo surveillance sont investies un peu partout. Pour notre sécurité, on interdit certains accès publics aux usagers. Pour notre sécurité, on empêche, on contrôle, on interdit.
La CAF de St Etienne vient d’annoncer qu’à partir du mois de janvier 2018, il n’y aurait plus d’accueil au public, toutes les démarches nécessiteraient un accès à internet. « Il y a eu trop d’agressions…. » A-t-on entendu comme justification.
La mise à mal du fonctionnement des services d’intérêt général ont pour principale cause les baisses drastiques des budgets publiques. Mais allons jusqu’au bout de cette logique sécuritaire.
Ce qui est interpellant ce sont les arguments avancés pour mettre en évidence la justesse de toutes ces démarches sécuritaires. Le désengagement des services administratifs s’expliquerait donc par l’attitude agressive des usagers…. Les agents de ces services ne seraient plus en sécurité, il y aurait trop de risque de rentrer en relation avec les personnes en demande d’aide, on prend donc le parti que ces agents ne soient plus en mesure d’exercer leur mission. Et de chaque fois s’éloigner plus, de mettre plus de distance, pour se protéger de tous ces risques potentiels, de construire des murs entre nous tous.
Cet impératif de la sécurité produit peu à peu l’éloignement des services publiques, l’isolement des personnes qui rencontrent des difficultés, et la dégradation de leur situation, et au bout de toutes ces ruptures dans nos relations, la peur de l’autre, la peur de ce qu’on ne connait pas, une peur imaginaire donc, et qui justifie ce besoin exacerbé de mesures de sécurité.
Cet impératif du tout sécuritaire gagne tous nos espaces communs, les écoles, les loisirs, le culturel, le social…. C’est un frein à tous ces élans qui nous poussent à entreprendre ensemble pour transformer, pour créer. C’est un frein à notre puissance d’agir, une très préjudiciable réduction de tous ces mouvements émancipateurs qui sont à la source d’une société humanisée et vivante. C’est la mort de la liberté d’entreprendre ensemble avec toutes ses conséquences dévastatrices.
L’homme ne devient homme que s’il est en mesure de pouvoir accroître tous ses potentiels en agissant avec les autres, en prenant des risques, en tirant des enseignements, avec les autres, de toutes ses initiatives.
Une des adhérentes de Terrain d’Entente nous avait expliqué qu’elle ne sortait de chez elle que pour faire les courses, et ses démarches administratives. Elle se méfiait de tout le monde et ne voulait pas prendre le risque de se confronter à des voisins qu’on lui avait décrit comme irascibles. Depuis 4 ans que nous là connaissons, nous là voyons s’épanouir, participer à toutes nos rencontres, donner son avis, s’impliquer dans des projets. C’est une personne ressource que l’on peut solliciter pour renforcer notre équipe notamment à l’occasion de la garde des bébés qui a lieu chaque mardi.
Au fil du temps, une relation de confiance s’est installée. Au fil du temps…. Elle est sortie de chez elle pour observer de loin notre manière de faire avec les enfants, puis on s’est dit bonjour, puis elle nous a interrogé sur notre présence, avec les enfants sur le terrain de jeu, au café des femmes…. Puis elle nous a rendu visite au café des femmes. Aujourd’hui, elle est force de proposition, elle est engagée très concrètement dans notre démarche et l’enrichit par ses prises d’initiatives.
Laurent MUCCHIELLI propose comme hypothèse majeure au sentiment d’insécurité qui s’amplifie, le sentiment de vulnérabilité. Cette vulnérabilité qui est constitutive de l’anonymisation croissante des relations humaines. Ce qui a changé fondamentalement dans notre époque, ce sont les difficultés de la communauté de voisinage à construire des liens d’interconnaissance. La proximité de la relation produit pourtant un plus grand sentiment de sécurité. (1)

 
Face à cette dangereuse question de la sécurité, les pédagogues sociaux proposent de construire des proximités. Laurent OTT les décrit d’une façon très précise (2) :
Il s’agit d’abord d’une proximité géographique, qui balaye la distance qui sépare, où l’on rejoint l’autre sur son territoire, dans son environnement particulier, que nous nous efforçons de comprendre.
Une proximité culturelle ensuite. Nous rencontrons des personnes qui viennent du monde entier. Elles ont chacune une histoire singulière et il s’agit pour nous d’apprendre, de comprendre, de découvrir les fruits de cette trajectoire particulière. Nous sommes animés d’un intérêt, d’une sympathie culturelle, face à cette manière différente de comprendre la réalité, avec la volonté d’en tirer ensemble des enseignements pour mieux comprendre et mieux agir. Nous développons au fil du temps, un langage commun. On s’inscrit ainsi ensemble dans un lien authentique, un lien qui implique et produit peu à peu une mobilisation.
Une proximité politique. Nous sommes confrontés à des minorités qui supportent toutes les violences. Et travailler avec ceux qui sont le plus victimes implique des alliances, implique de se porter de leur côté, de faire des difficultés qui se manifestent, notre affaire à tous.
– Enfin et surtout, la proximité du faire ensemble. C’est en faisant qu’on se rapproche au delà des différences. Nous entreprenons tous ensemble toujours plus d’actions et nous prenons ainsi conscience de tout ce que nous sommes capables d’entreprendre, de créer, de transformer. Ce qui produit un profond sentiment de sécurité quant à notre avenir commun.
La proximité apporte la sécurité nécessaire pour se parler de manière authentique, pour construire un lien de confiance, pour entreprendre des projets, pour mesurer les difficultés, pour s’organiser, se coordonner….
La proximité, c’est la parole qui se libère, c’est l’assurance de pouvoir dire les difficultés, les déceptions, les amertumes sans prendre le risque de la rupture de la relation, mais plutôt pour se donner les moyens de trouver une issue pour régler les problèmes. Pour s’enrichir de nos diversités.
La proximité offre une place à chacun, libère la capacité et l’intérêt de chacun à s’engager avec les autres et en agissant ainsi avec les autres, à s’émanciper.
La proximité permet l’action, la mobilisation, la transformation.
Une solution pour échapper au piège du tout sécuritaire qui construit entre nous un mur de peur, qui sépare, qui interdit, qui nous mutile tous.
Un art de vivre pour habiter ce monde tous ensemble.

 

Le 14 Octobre 2017
Josiane GUNTHER
(1)Laurent Mucchielli « Du besoin de sécurité à la frénésie sécuritaire »
https://www.youtube.com/watch?v=BPNd8jEfgbE
(2) Laurent Ott: Formation Pédagogie Sociale. Cycle 2: les proximités
https://www.youtube.com/watch?v=8infSFlOuCI

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