Efficacité, volonté de contrôle, de maitrise…. Une dérive de plus dans notre façon de vouloir traiter les questions de société.

Efficacité, volonté de contrôle, de maitrise…. Une dérive de plus dans notre façon de vouloir traiter les questions de société.
Pour les questions d’organisation de collectifs, sur la façon dont on envisage de mener à bien les projets avec les personnes concernées, la notion d’efficacité, de maitrise, la volonté de contrôle prend le pas sur l’esprit d’humanisme, de tolérance et de respect des capacités et des rythmes de chacun.
Aujourd’hui, plus que jamais, et dans tous les secteurs de la société il est désormais question d’efficacité. Peu à peu, nous intégrons les principes du système néo libéral, jusque dans nos relations humaines. Les institutions depuis déjà un certain nombre d’années, et des structures de quartier aujourd’hui, dont l’activité est centrée sur l’accueil de la personne, l’écoute, la prise en compte de la demande….pensent désormais en termes d’objectifs, de projets.
Les appels à projet ont certainement une très lourde responsabilité dans cette dérive. Ils instaurent du prêt à penser, ils délivrent toute une série de concepts de plus en plus désincarnés, qui ne relèvent pas d’une situation vécue, éprouvée, et les imposent aux structurent qui doivent s’y conformer si elles veulent pouvoir prétendre à des aides financières. Les pourvoyeurs d’aides financières exigent que l’on produise de « l’emporwement », de la « démocratie participative », de « l’éducation populaire »…… La contradiction est presque grossière de cette injonction à développer de la participation active des citoyens. Comme s’il suffisait de le décider.

Dans ce cadre d’appels à projets, il est juste question de récupérer le langage et la pensée de tous ces acteurs de terrains qui construisent avec patience et humilité d’autres chemins propices à la rencontre authentique, vecteurs de créativité et de transformation réelle. La conséquence préjudiciable étant d’en dénaturer la finalité.
Pour les questions qui relèvent du champ social, celles du vivre ensemble, comment peut on envisager d’élaborer des démarches à la manière d’un gestionnaire d’entreprise qui prévoit, programme, optimise?
Le piège c’est d’envisager la réalité à partir de présupposés, de ce qu’on imagine être la meilleure manière de construire les relations humaines, de la façon dont une rencontre doit se dérouler. On estime qu’il existe une manière convenable pour que les relations s’instaurent. Il faut trouver le bon moyen pour que le collectif évolue de telle ou telle manière. Par exemple, quand on s’adresse à des familles, il est envisager comment les parents doivent avoir envie de jouer avec les enfants, comment ils doivent se comporter, comment ils doivent se parler…..
Ces principes, établis, réfléchis, en dehors de la réalité, en dehors de la présence des personnes concernées, deviennent des objectifs à atteindre de façon programmée. Mais si ces objectifs ne sont pas atteints de la façon dont ils avaient été pensés, le risque est d’interpréter ce qui a été vécu comme un échec. Il s’agit d’orienter les choses de la façon dont on les a pensé, alors qu’il ne peut être question que d’expériences à vivre et de l’opportunité que nous trouvons à en tirer des enseignements, de la compréhension, du sens pour aller de l’avant ensemble, dans un rapport d’égalité, pour tenter de construire des relations qui soient justes pour les uns et les autres, porteuses de plus de justice et d’égalité.
Penser les choses au lieu de les vivre, et prendre le risque de construire des projets qui ne correspondent en rien avec les besoins réels. Les exemples sont trop nombreux. Avec pour conséquence, les incompréhensions, le sentiment de ne pas se sentir pris en compte, reconnu, partie prenante, le découragement, la rupture de confiance….
Ainsi, nous perdons de vue la notion de complexité de la personne et des relations humaines, avec sa part d’aléatoire, de contradiction, d’ambivalence. Tout n’est que nuance pour ce qui concerne les questions humaines.
Nous perdons de vue la notion de temps qu’il est nécessaire pour construire, pour entreprendre et amorcer des changements. « Il faut donner du temps au temps ». Cette expression de bon sens a toujours expliqué le temps qu’il est nécessaire pour construire des relations humaines, établir des liens de confiance entre les personnes, au sein d’un collectif, réaliser des choses ensemble. Le temps qu’il faut et dont nous ne pouvons pas décider par avance de la durée.
Il y a une part d’imprévisible et de non mesurable, dans chacune de nos tentatives de construction collective. La réalité ne se réduit jamais à la façon dont on là pensée.
La personne est à prendre en compte dans sa complexité et le contexte particulier dans lequel elle évolue. Il n’y a pas la bonne où la mauvaise attitude face à une situation particulière, il n’y a pas la bonne ou la mauvaise réponse pour régler un problème concret. Il y a la rencontre et ce qu’elle produit, qui est par essence imprévisible. Il y a ce qu’on est capable à un moment donné de communiquer, d’exprimer avec plus ou moins de clarté, d’entendre, de prendre en compte, d’accepter. Il y a le lien qui se construit avec sa part d’incertitude, de moments forts et d’autres plus difficiles. Il y a ce qui est juste et pertinent aujourd’hui et qui sera peut être remis en question demain.
Les acteurs de la pédagogie sociale sont centrés sur les questions du pouvoir d’agir, de démocratie participative, d’éducation populaire. Ils s’engagent auprès des habitants des quartiers délaissés, oubliés, en proposant un temps de présence, en occupant l’espace public, en animant des ateliers de rue. La volonté est de favoriser un temps de partage où chacun se sente bien, se sente reconnu et puisse s’impliquer pour construire avec les autres, des relations positives, réaliser des actions qui répondent à des problèmes concrets.
Le rôle essentiel des pédagogues sociaux est de s’efforcer d’assurer un climat de sécurité et d’ouverture au dialogue au sein du collectif. Il s’agit de prendre acte de la réalité, telle qu’elle se présente sans décider de ce qu’il faut changer, ou améliorer. Les pédagogues sociaux considèrent les personnes rencontrées comme les principaux experts de la situation dont elles souffrent. Dans ces rencontres, rien n’est décidé à priori, programmé, nous accueillons tous ceux qui souhaitent nous rejoindre de manière inconditionnelle.
Nous ne plaquons pas une grille d’intentions décidée en dehors des réalités vécues par les personnes, des contextes que nous créons ensemble.
Nous n’avons pas d’intention particulière sur la manière dont ces temps collectifs doivent se dérouler, nous donnons par contre beaucoup d’attention à chacun. Quand on travaille dans la rue, on travaille dans la libre initiative des enfants, des parents. On travaille avec tous les âges en même temps et le travail qu’on produit est en phase avec l’environnement, il ne répond plus aux exigences d’une institution coupée du monde.
Et ainsi, au fil du temps, la parole se libère, des envies se manifestent, on réfléchit ensemble à d’autres possibles. On s’attache à transformer notre environnement tel qu’il est, en prenant conscience de nos chaînes de nos contraintes, ici et maintenant, ensemble.
« Les pédagogues sociaux démontrent patiemment par la pratique qu’une autre pédagogie est possible, qu’elle valorise et renforce les individus et les groupes, qu’elle arme les enfants contre la violence sociale, qu’elle lutte efficacement contre la solitude, l’auto-exclusion et la dépression ambiante. » (Laurent Ott)
Il s’agit de devenir auteurs ensemble, en s’engageant, en s’impliquant dans un processus, dans un rapport d’égalité, de sujets à sujets (« ….il s’agit d’être auteur de ses apprentissages, d’être créatif, de ne pas seulement s’adapter mais aussi de s’attacher à transformer l’environnement. » Laurent OTT)
Ainsi nous nous inscrivons tous ensemble dans un mouvement d’émancipation, de reprise en main de notre avenir commun.
Josiane Reymond, Terrain d’entente
6 sept 2015, josianereymond@orange.fr

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