Les jeunes et leur émancipation

Les relations se tissent à partir de notre présence sur le terrain. On rencontre les jeunes là où ils se retrouvent pour tenter de comprendre comment ça va pour eux. A partir de ce qu’ils nous livrent, des accompagnements individuels se mettent en place.

Nous sommes extrêmement vigilants à ne pas faire à leur place et à sentir quand il est possible de leur lâcher la main. Nous sommes dans cette tension permanente entre tenir les mains et les lâcher. Pour toutes les nouvelles démarches à entreprendre ce qui est redouté par tous les jeunes, c’est de « se faire remballer ». C’est un risque qu’on évite de leur faire prendre parce qu’ils sont découragés avant d’avoir tenter la moindre démarche. Avec cette peur chevillée au corps de reproduire sans cesse l’expérience que pour eux, il n’y a rien de possible. On ressent cette absence de confiance constante, même avec des jeunes dont le cursus scolaire est satisfaisant. C’est une sorte de dynamique du « quartier » lui même. Quand on vit à Tarentaize, on imagine qu’il n’y a pas la moindre chance de ne pas reproduire l’héritage des galères qui se manifestent de partout, parmi tous les habitants, dans chaque famille.

Parfois pour un appel téléphonique, nous assurons la première prise de contact, les premiers mots qui s’échangent avec l’interlocuteur. Au fil de la conversation, il est possible ou pas au jeune de prendre le relais et de parler de ses attentes. Si cette première crainte est dépassée il s’enhardit et est prêt à décrocher de lui même le téléphone si nous sommes présents à ses côtés puis à prendre seul l’initiative et à nous faire le retour de cet échange. Cette mise en lien nous parait essentielle pour rendre possible quelque chose de différent . Nous savons que ce que le jeune a pu faire avec l’adulte, demain il pourra le faire seul. A condition de prendre au sérieux toutes les envies qui se manifestent. Discuter de tout, ne pas mettre en avant les freins. Donner du temps au temps.

Concernant la rédaction des lettres de motivation, pour beaucoup l’obstacle est considérable  Chacun peut écrire son nom et son prénom et pour certains, pas plus. Si on n’y prend garde, ceux là vont préférer renoncer à réaliser cette démarche plutôt que d’ avouer leur incapacité à formuler, à trouver les mots, à écrire…. Il nous faut parfois être très réactifs et trouver la possibilité d’agir dans l’urgence pour traverser avec eux cette épreuve et éviter un nouvel échec. Nous sommes confrontés à l’incompréhension de ces phénomènes par les agents en charge des différents dispositifs d’accompagnement et nous sommes trop souvent témoins de RDV manqués sans lendemains possibles. Il ne nous est pas possible d’orienter des jeunes sur des dispositifs, il nous faut les découvrir avec eux. Offrir cette présence qui réassure, une présence identifiée et reconnue comme protectrice, sûre, fiable.

Nous nous efforçons de prendre le relais de tout ce qui fait frein, tout en sachant laisser la place, encourager la prise d’initiative , en jouant le filet de sécurité.

Nous mesurons ce principe « d’incompétence acquise » du fait de ce fréquent cumule des échecs, avec beaucoup de ces jeunes avec lesquels nous tentons de cheminer. Nous comprenons que la confiance et l’estime de soi ne sont pas possibles sans expériences régulières de réussite qu’elle quelle soit. Pour beaucoup de ces enfants, perdre à un jeu c’est dramatique, ça signifie « je vais finir en SEGPA, je vais rien réussir, j’aurai pas de travail…. » leur faire vivre toutes les expériences possibles de réussite reste pour nous un objectif central. On recherche toutes les conditions pour que chacun prenne conscience de ses propres aptitudes. Le travail scolaire est d’autant plus facilité quand on a fait des expériences de  réussite. Le collectif est une ressource, une force. Parce qu’il y a les autres, les copains, on sort de chez soi, une dynamique se crée, portée par notre encadrement. Dans ces conditions là, chacun est prêt à participer. Quand c’est un projet qui part d’eux , ils sont prêts à y mettre le paquet pour le défendre, pour s’y investir.

L’ expérience du Café des ados. Il est ouvert chaque semaine et plusieurs adultes sont présents pour l’accueil. Nous tenons notre rôle de régulateur à travers les différents ateliers qui s’organisent au gré des envies : jeux type « loup garou », CV, Discussions…. Une « Table ronde » se constitue que tout le monde peut animer.    Nous nous efforçons de créer un climat où tout se parle sans tabou, et personne ne détient la vérité. Un temps de parole où chacun exprime sa vision divergente . Des visions se croisent et peuvent devenir des ouvertures. Nous créons un lieu ressource où chacun peut puiser ce qui lui est nécessaire.

Le vocabulaire reste notre premier combat. Un vocabulaire violent manifeste un ressenti violent. Lorsque le vocabulaire change, s’élabore, une meilleure compréhension devient possible, le ressenti face aux événements peut s’apaiser.                                                                                                             Parfois certains viennent avec des envies, un projet plus ou moins construit. Nous évitons toute posture « prestation de service ». Nous nous efforçons sans cesse de créer des conditions favorables à ce que les projets aboutissent, et nous cherchons à éviter les expériences de déceptions. « C’est parce que c’est nous que ça marche pas. » Leur demande principale est que nous puissions les aider à trouver les conditions pour que ça se passe, et ils sont prêts à le monter par eux-mêmes. Ils donnent leur vision. On crée des conditions favorables .

Le Temps spécifique pour les « décrocheurs ». Il s’adresse à des collégiens qui venaient au soutien scolaire sans avoir de devoir mais qui se levaient chaque samedi matin pour nous rejoindre. Nous avons proposé un temps de présence avec l’objectif de remobiliser des envies. Retrouver du plaisir à vivre des moments de réussite autour de jeux, de discussion. Suite à une discussion sur des copains qu’ils connaissaient d’un autre quartier et qu’ils souhaitaient voir plus souvent, nous avons pu élaborer peu à peu un projet pour les vacances. Nous avons réalisé que ces jeunes fréquentaient également un espace qui leur était dédié. Nous avons rencontré avec eux le responsable de la structure et le projet « Kolenta » a émergé. Un projet pour les initier à de nouvelles expériences à partir de nos suggestions et de leur envie de vivre des moments privilégiés avec ces copains là. Ce type d’initiative est possible à partir d’un lien et d’un lieu régulier.

Le foot à 7 pour la première fois cette année, est encadré par un jeune. Nous l’avons rencontré à l’age de 11 an. Et nous avons participé à l’évolution de sa représentation du monde, et de ses valeurs qui étaient très brouillées. Il croyait seulement en la reproduction de la galère. Notre présence régulière, nos temps de rencontres lui ont permis de croire en d’autres possibles. Des postures inhabituelles pour lui, nos façon de partager nos points de vue sans les imposer comme des vérités, ont peu à peu fait bouger les lignes. Il s’est perçu autrement que comme une victime. Il est devenu moins réactif, ne s’est plus systématiquement découragé face aux situations nouvelles, il a découvert des solidarités et a su y faire appel. Aujourd’hui, il sait s’approprier des apprentissages passés , il les réplique dans d’autres contexte. C’est le moment possible pour lui de prendre cette place et de l’assumer. Une expérience émancipatrice. Reste à nous la charge de sentir ce qui est de domaine du possible et ce qui reste compliqué. Des freins persistent  et sont multiples: par exemple le manque de voitures …..

Juillet 2022

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