Pour que chaque enfant puisse trouver sa place

L’école est essentielle. Elle fournit à l’enfant des outils pour grandir, pour devenir indépendant, pour comprendre le monde qui l’entoure ».

C’est à l’occasion d’une rencontre entre parents d’élèves et enseignants qu’une mère, dont les 4 enfants sont scolarisés, a su trouver les mots pour traduire ce qu’elle espère de l’école pour le devenir des enfants. « Fournir à l’enfant des outils pour comprendre le monde qui l’entoure ». Cette personne donne à l’ensemble de la communauté éducative, l’opportunité de re questionner le sens des apprentissages, et d’identifier les savoirs à mobiliser pour ce projet d’envergure. Une aspiration de cette ampleur ne peut pas être la seule affaire de l’école. C’est une ambition qui nous implique tous.

Lire, écrire, parler, des aptitudes qui ont toujours été considérées comme les fondements de toute vie en société. Lire et écrire, c’est prendre du pouvoir sur sa propre vie, et sur tous ceux qui prétendent détenir la vérité. Savoir lire, c’est pouvoir vérifier, comparer, critiquer ; c’est pouvoir chercher soi-même l’information et accéder directement aux sources. Lire, c’est pouvoir voyager et rêver, découvrir le monde, les autres et soi-même. Écrire, c’est pouvoir exprimer ce que l’on pense et ce que l’on croit. La lecture et l’écriture sont ainsi pensés comme moyens de libérer le peuple de ses chaînes.

Mais aujourd’hui, lire et écrire sont devenus, pour des milliers d’enfants, une obligation fastidieuse, le début de l’échec, de l’exclusion. A l’école, en apprenant à lire l’enfant découvre aussi la concurrence et comprend que la réussite des uns ne prend sa valeur qu’avec l’échec des autres. Cette souffrance liée aux premiers apprentissages scolaires, cette méfiance qui se développe à l’égard d’autrui, ont des conséquences sur la construction de la personnalité et sur le comportement social de l’enfant devenu adulte.

Cette aspiration à comprendre et à maîtriser son destin, est devenue aujourd’hui, pour beaucoup trop d’enfants scolarisés, une contrainte inutile imposée par les adultes. Combien d’enfants rejettent l’écrit au profit de la télévision et autres écrans, sans d’ailleurs prendre la peine de consulter le magazine qui informe sur les programmes ?

La logique libérale a modifié le projet éducatif républicain. L’objectif final est d’adapter l’ensemble des formations aux intérêts du marché, contrairement aux belles valeurs affichées. Ce qui instaure une compétition féroce entre les enfants, les institutions, les éducateurs. Ce changement de trajectoire a été redoutablement opérant. Nos bases culturelles et politiques sont ébranlées, elles sont traversées par une crise des modèles éducatifs qu’ils soient familiaux, sociaux ou scolaires. Une crise aggravée par le recul des solidarités familiales et de proximité, par la baisse des moyens dont disposent les acteurs de l’éducation.

Le système scolaire est en plein paradoxe : il affiche un objectif de réussite pour tous les élèves à l’école , avec le socle commun de connaissances et de culture, et le choix pour tous de leur orientation. La loi de Refondation de l’écoleinsiste sur le caractère inclusif del’école, elle a l’ambition de se préoccuper de la réussite de tous. L’école est un service public pour tous les publics. Elle reconnaît que tous les enfants partagent les mêmes capacités d’apprendre et de progresser. Mais les actes posés par l’institution tendent à rendre impossible ces objectifs démocratiques: l’éducation à la compétition, les modalités d’évaluation, les conditions d’encadrement des élèves, les carences de la formation, le manque de personnel soignante te aidant etc…

Les enfants des milieux populaires sont majoritairement en difficulté d’apprentissage à l’école, ils subissent des orientations précoces qui les excluent de possibilités de réaliser des études en fonction de leurs aspirations.

L’école ne fait plus référence pour ces enfants qui vivent ce qui s’y passe comme sans rapport avec leur réalité, leur identité, leur culture, leur famille, leur condition de vie, leur avenir.

Les enfants qui n’ont pas été préparés à cette connaissance des codes et des attentes du système scolaire arrivent à l’école avec leur différence. Dès la maternelle ce projet les situe en difficulté, ils ne parlent pas bien, ils ne savent pas écouter et respecter les consignes… Le projet scolaire les sélectionne sur des compétences abstraites et organise un enseignement qui valorise le fait de pouvoir se projeter dans l’école et la société telles qu’elles sont. Ce système privilégie certains domaines au détriment des autres. Il y a un problème d’identification.

Ainsi, l’école n’arrive pas à atténuer les inégalités dues à l’origine sociale et culturelle, elle a même tendance à les amplifier. Chaque année, depuis 15 ans, plus de 100 000 jeunes sortent du système scolaire sans aucun diplôme. Et ceux qui échouent à l’école sont les exclus de demain. Des milliers de jeunes se retrouvent sans emploi, sans formation, sans accompagnement. Notre pacte républicain est en danger si on ne réduit pas les écarts. Lorsqu’on a on moins de droits que les autres, comment peut on accepter d’avoir les mêmes devoirs?

Ce n’est pas la capacité de l’enfant à comprendre qui est en jeu, mais la nécessité de connaître les normes spécifiques. Cette école n’offre pas, à certains enfants, matière à y trouver du sens. L’enfant peut réussir à l’école s’il sait faire des liens entre ce qu’il apprend dans les différentes sphères de sa vie, tant dans les principes éducatifs que dans les savoirs eux mêmes. Il est donc nécessaire de considérer l’enfant dans toutes ses dimensions.

Les enseignants ne peuvent pas faire la classe sans se soucier de la façon dont les élèves vivent la relation entre la culture qu’ils dispensent à l’école et celle de leur milieu familial. L’école doit tenir compte de l’environnement social.

Or, nous vivons dans une société cloisonnée, les différentes institutions, les structures associatives, sont trop souvent sans lien les unes avec les autres. Beaucoup d’enseignants ne connaissent pas le tissu social dans lequel vivent leurs élèves. Et ils ne prennent pas la mesure des difficultés. Certaines familles sont grande difficulté sociale, inquiètes, malmenées, préoccupées par un quotidien instable et incertain. Les enfants vivent dans un climat familial empreint de préoccupations quotidiennes multiples et parfois insolubles.

L’élève se retrouve dans une posture de conflit de loyauté qui bloque les apprentissages, et dans une double solitude. A l’école il ne peut pas parler de son environnement social, en famille il ne peut pas partager ses expériences scolaires.

Devant l’inadaptation croissante de l’école au monde d’aujourd’hui, un recours aux familles semble nécessaire. Pour identifier les besoins et adapter au mieux les pratiques, la parole des parents est indispensable. Une tentative se met peu à peu en place : la co éducation, l’ouverture de l’école aux familles. Il s’agit de construire une relation de confiance et de reconnaissance réciproque entre l’école et les familles.

Historiquement l’école a été conçue pour sortir l’enfant du cadre familial, et lui assurer le droit à l’apprentissage, au savoir, dans une visée émancipatrice, en opposition à l’influence de la famille.

Cette coéducation ne va donc pas de soi, elle se heurte même à de profondes difficultés. Dans la relation parents/enseignants les représentations envahissent et déterminent les relations. Les parents sont souvent saisis à partir de leurs défaillances et les professionnels sont encore hissés au statut d’experts. Et ils devraient pouvoir coopérer !

La question de la communauté éducative, de la place des parents reste très complexe à  construire et comporte des risques réels.

Face à ce qui met en cause le fonctionnement institutionnel, face au sentiment d’impuissance que les enseignants peuvent ressentir par rapport aux enjeux de « la réussite de tous les enfants »,  le risque de reporter la responsabilité à l’extérieur est permanent. Depuis de nombreuses années, des dispositifs fleurissent dans chaque commune, portés par différentes institutions,  pour organiser le « soutien à la parentalité »,  avec comme objectif essentiel de « responsabiliser » les parents dans leur fonction éducative, selon des modèles et des postures normés imposés.

La violence de cette injonction:  « Responsabiliser les parents », met en évidence le postulat de leur irresponsabilité. Ce climat de suspicion quant à la mauvaise tenue de la famille par les adultes, peut très facilement faire glisser sur ces parents  la responsabilité de l’échec d’une « école de la réussite pour tous ».  Ces parents qui ne répondent pas aux convocations, ces parents qui laissent les enfants sans surveillance, dans la rue, après l’école, ces parents qui utilisent sans discernement les écrans comme mode de garde pour leurs enfants, ces parents qui…..

C’est une posture adoptée de plus en plus systématiquement par les institutions responsables du champ éducatif. Elles font appel à la responsabilité parentale pour résoudre des difficultés pour lesquelles elles ne trouvent aucune solution adaptée. On évite ainsi de mettre en lumière l’origine des problèmes : les inégalités, source d’exclusion, qui continuent de s’aggraver.

Mais les familles ne sont pas moins compétentes qu’auparavant, elles sont par contre beaucoup plus isolées. Dans l’optique d’une transformation sociale, il est indispensable que la question de l’isolement de certaines familles devienne l’affaire de tous les membres de la communauté éducative.

Dans le monde enseignant, dans le monde associatif, de nombreuses voix s’interrogent sur d’autres alternatives pour l’école, ou plutôt avec l’école. Des alternatives qui relèvent le défi du devenir de chaque enfant.

Qu’est ce qui est important aujourd’hui pour que ces enfants puissent trouver une place dans le monde de demain, un monde que l’on voudrait meilleur, moins impitoyable, donnant une place à chacun?

Plutôt que de s’interroger sur les résultats des élèves, peut-on interroger sur les conditions d’enseignement et sur le projet d’école ? Il y a matière à s’ouvrir dans d’autres directions qui situeraient le projet scolaire et les élèves autrement.

Pour sortir du simple constat que l’école publique est un système toujours plus inégalitaire, nous devons créer une organisation pédagogique pour un système éducatif pour tous qui ne soit pas centré sur le tri et la sélection des meilleurs. Pour permettre à tous les enfants et les jeunes de devenir citoyens dans une démocratie, pleinement insérés dans la société. Favoriser l’inscription dans des projets qui dépassent le scolaire et redonnent du sens à l’humain dans son ensemble. L’avenir de tous sur la planète pourrait conduire un fil directeur.

Un des principes fondamentaux de la pédagogie sociale est de s’efforcer d’exercer de manière effective notre responsabilité collective dans l’éducation et la protection des enfants et des jeunes. Les différents acteurs du champ éducatif, les parents, sont invités à s’engager ensemble, à égalité pour se mettre à l’écoute des besoins et des aspirations manifestés par chaque enfant, chaque jeune et construire avec lui un cadre de vie adapté. Il suffit de se laisser guider par l’enfant lui même. A Terrain d’Entente, chaque fois que possible, nous accompagnons un groupe d’enfants dans une librairie du centre ville. Un bel espace dédié à tous ceux qui aiment lire, découvrir, apprendre. Un de ces moments magiques où nous nous laissons portés par l’enthousiasme des enfants, leur capacité d’émerveillement et surtout…. cette aspiration, cette envie de savoir, de connaître, de comprendre. Chaque enfant porte en lui ce puissant désir. Tous les enfants sont égaux face à cette profonde aspiration à voir plus loin, plus grand, à ouvrir de nouveaux espaces et à les partager avec d’autres. Il est impossible au système scolaire de porter seul cette lourde responsabilité d’accrocher ce désir, de lui permettre de s’épanouir et de porter tous ses fruits.

Pour tous ceux qui sont pris entre des idéaux et des contraintes institutionnelles, la question de l’éducation reste très complexe. Il est nécessaire de prendre en considération tous les acteurs qui tentent d’œuvrer tant pour la socialisation que pour l’égalisation des chances. Il s’agit non seulement de trouver des moyens de communication face à une population en grande difficulté sociale, mais d’adapter des pratiques éducatives face à des enfants inquiets, malmenés, préoccupés par un quotidien instable et incertain. Cette nécessité d’une approche globale de l’enfant dans son environnement familial et social relève de la responsabilité de tous les acteurs du champ éducatif qui doivent s’engager et s’impliquer dans ce travail s’ils veulent espérer de réels changements. Pour être dans de bonnes conditions d’apprentissage, l’enfant a besoin que se construise autour de lui une communauté éducative.

Il faut tout un quartier pour élever un enfant!

Cette invitation de l’ouverture de l’école aux parents peut nous permettre d’envisager une école différente,  plus humaine, et plus respectueuse de nos différences. Une école capable de se laisser interpeller par ce qui se vit autour d’elle, par ce que manifestent les enfants lorsqu’ils arrivent en classe. Une école qui sait écouter les difficultés réelles des familles et qui les prend en compte dans la façon de construire la journée à l’école, qui sait se saisir des ressources et en faire un appui dans les apprentissages.

C’est ce qui nous est proposé dans de nombreux travaux (cf. bibliographie).Il évoquent la relation école/famille en terme de parité d’estime.

Pour les acteurs de la pédagogie sociale, le but de l’éducation est de former un être apte à se gouverner lui-même, non un être apte à être gouverné par les autres. Nous voulons pour nos enfants toujours plus de formation afin qu’ils puissent affronter la terrible complexité du monde. Nous devons unir toutes les compétences pour y contribuer.

Josiane Gunther Janvier 2020

Bibliographie :

 – Frédéric Jésu, auteur du livre « Co éduquer: pour un développement social durable » Cet ouvrage est issu de l’expérience d’un pédopsychiatre de service public impliqué dans le champ des politiques sociales, familiales et éducatives. Il est destiné à étayer et à guider les initiatives des décideurs, politiques et administratifs, et des acteurs, professionnels et associatifs, impliqués de près ou de loin dans l’éducation des enfants et des jeunes. II s’adresse en particulier à ceux qui ont acquis la conviction que l’éducation ne peut et ne doit plus rester cantonnée dans des approches sectorielles et cloisonnées.

 – Catherine Hurtig Delattre, auteure du livre: « la coéducation à l’école, c’est possible » Réduire les tensions éducatives et relationnelles à l’école, au bénéfice de tous et notamment des enfants, de leurs apprentissages et de leur bien-être, est l’un des principaux objectifs visés par Catherine au fil de son ouvrage, qui s’avère constituer le premier véritable guide pratique de la coéducation à l’usage des enseignants et des parents.

– Jean-Paul Delahaye, Inspecteur général de l’Éducation nationale, auteur du rapport: « Grande pauvreté et réussite scolaire : le choix de la solidarité pour la réussite de tous » L’école face aux situations de grande pauvreté des élèves ; quatre leviers pour une politique globale au service d’un objectif unique : la réussite des élèves.

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