TERRAIN D’ENTENTE MODE D’EMPLOI

Pour ceux et celles qui voudraient mieux comprendre notre démarche, il est important de faire un petit retour sur ce qui a motivé la mobilisation d’une poignée de militants et de décrire au mieux notre mode d’organisation et l’évolution de ce petit collectif. 

Nous avons voulu répondre à une demande d’enfants qui nous rejoignaient, de plus en plus régulièrement, aux permanences d’accès aux droits ouvertes aux adultes, sur le quartier, dans le cadre du Portail « Pour l’accès aux droits sociaux ». Ils réclamaient du temps de présence, ils se dénommaient « les galériens ». Des enfants qui se retrouvent seuls sur l’espace public, qui ne sont pas inscrits au centre de loisir, qui n’ont pas d’activité sportive, qui ne partent pas en vacances

Depuis Avril 2011, nous proposons des ateliers de rue, tout au long de l’année au pied des immeubles, dans le quartier Beaubrun/Tarentaize à St Etienne, au Parc Jean Ferrat. Nous apportons des tapis, des jeux diversifiés pour tous les âges. Nous offrons un temps de présence pour rejoindre les familles qui ont très peu accès aux structures censées accueillir tout le monde.                                                                                                                              

Notre accueil est libre, inconditionnel et gratuit.       

 –    Un accueil libre, où l’on vient quand on veut, et l’on part quand on veut. C’est le respect du temps des personnes qui nous rejoignent quand c’est utile et possible pour elles.

–    Un accueil inconditionnel, pour tout le monde. Notre collectif organise ces rencontres à partir du multi âge et du multiculturel. 

–    Un accueil gratuit qui nous met dans un lien d’égalité où chacun participe en fonction de ses centres d’intérêt et non de ses possibilités financières.

Notre équipe est constituée d’une militante permanente, fondatrice de l’association, qui travaille bénévolement et de deux personnes plus présentes sur les tâches administratives, et ponctuellement, sur les différents temps de rencontre.                                                                         

Deux personnes sont employées, au travers d’un CCD, pour assurer la coordination de l’équipe et de ce qui se développe au fil des années.                                                                                         

Des jeunes travailleurs sociaux en formation nous rejoignent chaque année pour un temps de stage d’une durée de deux à 9 mois.                                                                                                     

Des jeunes volontaires en services civique, sur un contrat de 10 mois, sont présents tout au long de l’année.                                                                                                                                 

Tout au long de ces années, des personnes bénévoles nous ont rejoint, se sont engagées avec nous, puis sont reparties. 

Le statut très fragile, très précaire de notre association, nécessite l’implication de chacun pour agir, penser, comprendre la réalité et que les projets puissent aboutir. Une forte relation de confiance et de reconnaissance réciproque s’est construite entre nous. Les liens s’approfondissent avec beaucoup. On estime ensemble aujourd’hui, que nous avons dépassé le stade de la relation classique au sein d’une association, avec des « responsables » et des « adhérents ». Nous pouvons compter sur les ressources des uns et des autres pour développer ce qui nous parait utile et nécessaire. Nous avons développé une histoire commune, des centres d’intérêt communs, notamment le soucis du bien être des enfants.

Toutes les actions que nous menons à bien se construisent avec la participation active d’adultes et d’enfants de plus en plus nombreux. Il existe différents espaces de participation démocratique :

 –  Le café des femmes le vendredi après midi où on partage nos préoccupations, nos envies, où nous élaborons des projets à partir des besoins manifestés.

 –  Le conseil des enfants le samedi après midi, où chacun est invité à dire comment il vit ces temps collectifs, où on réfléchit à la meilleure façon de régler certaines difficultés, où nous élaborons des projets. 

 –  Le CA, des adhérentes habitantes du quartier (6 à 15), décident des orientations de l’association. Il se réunit une fois par mois depuis octobre 2018.                           

 –  Le café des ados le jeudi à 17h. Pour parler des difficultés, construire des projets à partir des envies.

Nous avons développé des actions qui sont devenues pérennes, depuis bientôt 9 ans. Nous poursuivons les ateliers de rue, (tous les mercredis et samedis, et les mardis et vendredis pendant les vacances scolaires). À partir de cet espace, nous organisons de plus en plus régulièrement, avec les enfants, différentes sorties, à leur initiative (Piscine, sorties natures, cinéma, théâtre, temps de lecture dans une librairie d’enfants, atelier bricolage organisé par un autre collectif). 

Les enfants ont su manifester leurs inquiétudes et leur difficulté à accomplir seuls le travail scolaire, nous proposons des temps réguliers pour l’aide aux devoirs, et également une présence auprès des adolescents, qui souhaitent se retrouver après l’école, dans un espace où ils se sentent accueillis. ces temps sont organisés dans une salle mise à disposition de la Mairie.

Suite à nos conversations avec les adultes qui nous ont rejoint au cours de ces temps de présence réguliers les mercredis et samedis après midis, des espaces se sont crées pour répondre à des besoins, et des envies. La garde mutuelle des bébés le Jeudi après midi et le café des femmes le vendredi après midi dans les locaux mis à disposition par le Centre social du quartier « le Babet. »

Des moments exceptionnels, rythment l’année, ils sont également construits à partir de ce que manifestent les enfants, les adultes. La période du Ramadan est un temps très privilégié de l’année pour les familles de confession musulmane, elle conditionne l’agendas de notre association. Nombreux sont les adhérents de Terrain d’Entente à vivre sur ce rythme. Chaque année, nous souhaitons manifester notre marque d’attention et de respect sur ce temps fort et important. Chaque vendredi soir, nous nous retrouvons au Parc Jean Ferrat, pour fêter la rupture du jeûne.

Les « rencontres pays d’origine » sont proposées en fonction des envies des adultes de présenter leur région d’origine. Nous nous adressons à des familles qui sont nombreuses à avoir migrées, en laissant loin derrière, une partie d’elles même, une famille, des racines. À l’heure où les migrations sont interprétées comme des menaces, un danger, qui justifient la fermeture de toutes les frontières, nous affirmons ensemble que ceux qui rejoignent ce territoire sont pour nous tous une ressource, une richesse et une force. Ces rencontres sont l’occasion de découvrir d’autres façons d’appréhender la réalité et de l’organiser au quotidien, de partager nos compréhension du monde, nos cultures et de nous enrichir mutuellement.                                                                                                                          

Un diaporama est réalisé et commenté par leurs autrices, au cours de ces rencontres. Eh puis nous dansons, nous chantons, nous dégustons des saveurs qui nous font vivre et goûter des petits bouts de nos diversités. Autant de fenêtres qui s’ouvrent sur le monde qui devient plus accessible et plus joyeux.

Avec les adultes, nous avons mis l’accent depuis quelques années, sur les ateliers beauté, bien être et les sorties au Hammam. « Le hammam, on le reporte tout le temps ». Ces femmes ont très peu d’occasion pour prendre soin d’elles. Il y a des choses plus vitales à tenir pour essayer de construire un quotidien acceptable. Ces temps que l’on consacre à soi même et aux autres nous paraissent de plus en plus essentiels. Une petite exception dans le quotidien, un petit changement, un peu d’énergie retrouvée, et le regard qui change sur soi même, change sur ce qui nous entoure, change sur ce que nous ressentons comme possible. Nous retrouvons le sens, l’envie et l’énergie de construire avec d’autres. Les ateliers beauté, coiffure, maquillage, épilation, coloration, sont entièrement pris en charge par les adhérentes. Chacune participe aux frais, apporte le matériel nécessaire, consciente de la fragilité financière de notre association et volontaire pour apporter sa contribution de façon à la rendre pérenne. Latifa, masseuse, réflexologue et aromathérapeute, propose des séances d’auto  massage une fois par mois. 

Ces familles, pour la plupart, subissent un enfermement sur leur lieu d’habitation qui les dévitalise. Toutes, pour décrire cette situation, évoquent des termes très éloquents : il est question de « prison », de « fond du puits », de « galère »…. La demande de sorties est permanente, pressante. Avec des moyens dérisoires, nous tentons des réponses, en saisissant des opportunités. Le centre social bénéficie d’un financement de la CAF, durant la période estivale, pour organiser des sorties « familles ». Durant les deux mois été, des sorties au bord de l’eau sont proposées chaque mercredi.

Au jardin « Les Moyens du Bord », dans un magnifique espace de nature qui surplombe la ville, nous retrouvons cette association amie, quelques journées durant l’été, pour partager des temps de cuisine collective, des ateliers d’expression artistique, des spectacles.

Depuis plusieurs années nous organisons des séjours vacances dans une ferme en Haute-Loire. Nous rejoignons des amis paysans boulangers, éleveurs de chèvres avec lesquels nous construisons ces séjours. Depuis deux ans, nous nous sommes associés à différents collectifs, pour gérer une propriété,dans les Monts du Forêt, à Champoly. Des séjours ont été réalisés pour rassembler des membres de ces collectifs et créer ainsi des opportunités de rencontres, des petits temps de vie qui nous sortent de nos cloisonnements, de nos entre soi.                                                                                                               

Les enfants sont nombreux à souffrir à l’école, à ne pas y trouver leur place, à ne pas arriver à se rendre disponibles pour apprendre, et à, finalement, estimer qu’ils n’ont « pas de cerveau ». Au fil des années, leurs ambitions se réduisent, ils renoncent d’eux mêmes à poursuivre des études. Face à ce désastre, à cette très préjudiciable blessure narcissique, où les enfants n’osent plus rêver à un avenir où ils pourraient se réaliser, nous recherchons d’autres modes d’expression pour chacun qui le valorise, qui mette en évidence des capacités bien réelles. Nous développons des ateliers d’expression artistique après avoir repérer les envies, pour mettre en évidences tous ces talents qui ne demandent qu’à s’exprimer. En fonction également des personnes qui rejoignent notre équipe, tout au long de l’année, nous proposons du théâtre, du rap, de la peinture, des paperolles, des origamis…

Les Ateliers cuisine sur le terrain sont également un moyen pour produire des choses ensemble, se rapproprier notre pouvoir d’agir. Nous apportons régulièrement une carriole fabriquer par un ami et nous réalisons avec les enfants, notre goûter du jour. D’autres envies ont émergées de cette pratique régulière, nous organisons des après midis « galettes » cuites au feu de bois, à partir d’un foyer réalisé par les enfants. Les mères prennent alors en charge la cuisine, et s’occupent de tout les nécessaire: l’achat des denrées, les ustensiles de cuisine.

Nous insistons également sur l’accès aux droits et nous nous inquiétons notamment des conditions de travail qui se détériorent. Ces femmes quand elles travaillent sont pour l’essentiel femmes de ménage. Elles se retrouvent toutes dans des conditions indignes, leur santé est mise à mal. Leur corps est véritablement malmené, beaucoup développent des troubles musculo-squelettiques invalidants. Certaines, à 35 ans ne peuvent plus exercer leur métier. Nous avons construit un partenariat avec la médiatrice santé du quartier, une assistante sociale de la sécurité sociale,  une juriste, des militants de la LDH, et nous recherchons des issues sur ces problèmes de santé au travail. 

En fonction des événements qui frappent notre société et qui nous indignent, nous trouvons des modes de manifestations, d’actions. Nous recherchons à exprimer nos valeurs, nos aspirations de manière publique.

Nous avons organisé une soupe, sur l’espace public, suite à l’attentat contre Charlie Hebdo en 2015, pour faire la démonstration qu’il est possible et heureux de construire des choses tous ensemble et de pouvoir faire société commune. De nombreuses familles voulaient affirmer qu’elles s’indignaient face à la violence de cet attentat. Mais nous voulions également manifester notre inquiétude face à  la stigmatisation des citoyens de confession musulmane, des populations qu’on cherchait ainsi à opposer aux autres. Nous avons souhaité manifester notre sentiment d’injustice face à cette tentative d’amalgame, qui a semé le trouble et la confusion. Nous sommes face à de très graves et très préjudiciables injustices qui se multiplient toujours depuis ces dernières années. Il s’agit pour nous de les identifier clairement pour se donner les moyens d’y apporter des réponses adaptées. 

Certains étés, nous organisons un tournoi de foot, en soutien au peuple palestinien avec le collectif BDS (Boycotte, Désinvestissement, Sanction en direction du gouvernement d’Israël). Notre modeste contribution à cette solidarité internationale pour dénoncer ce génocide et ce massacre qui perdurent depuis bien trop longtemps et réclamer que le peuple palestinien puisse bénéficier enfin du droit internationale pour exercer sa souveraineté et reconstruire un état de droit et de dignité.

Un autre tournoi de foot a été réalisé en hommage à Yassin, 20 ans, qui est mort assassiné. Yassin était un enfant du quartier. C’était une façon pour nous de dire que nous ne voulons plus de cette sauvagerie pour nos enfants. La violence est partout. La violence pour nos jeunes, c’est d’abord de ne pas pouvoir choisir une formation, un métier qui leur plaise vraiment, de ne pas avoir un revenu suffisant pour vivre bien. Nous voulons nous battre ensemble contre cette injustice qui bloque leur avenir.

Nous participons au bal populaire du 14 Juillet que le collectif « Les cris du quartier » propose depuis quelques années. Nous avons été sensibles à cette invitation qui rassemble plusieurs associations qui interviennent dans différents quartiers. Toutes développent des démarches d’éducation populaire et réalisent des actions culturelles, sportives, citoyennes qui s’adressent à tous. Tout un réseau se développe pour mutualiser et enrichir les initiatives de chacun. Une journée de fête ouverte à tous, où chacun apporte sa contribution.

Les ados deviennent beaucoup plus partie prenante dans nos actions. Plusieurs ont participé à l’organisation des tournois de foot. Nous avons pu organiser une grande fête d’Halloween au parc Courriot avec plusieurs jeunes, qui ont fait preuve d’une grande créativité. Certains viennent nous prêter main forte pour l’aide aux devoirs. 8 se sont organisés pour être admissibles au Fond de Participation des Habitants, en rédigeant un dossier qu’ils ont présenté à une commission. La somme d’argent qu’ils ont récolté a contribué largement au coût d’un séjour à la Ferme des fromentaux à Retournac, pendant les vacances de printemps.  Des projets plus en direction des filles deviennent possibles également.

Nous avons initiés des collectifs que nous allons poursuivre :

Le Collectif « Accès aux vacances pour tous ». La marchandisation des vacances a eu pour conséquence d’une part, de supprimer en l’espace de quelques années, la moitié des lieux d’accueil, et de priver ainsi un nombre de plus en plus important de personnes d’espace de ressourcement pendant l’été ; et d’autre part, de nous faire devenir consommateurs de loisirs. Nous avons réfléchi au sens des départs en vacances. Partir, c’est l’occasion de rencontrer d’autres personnes, de découvrir d’autres façon de vivre et de comprendre la réalité. Dans cette société qui se segmente, le temps des vacances peut être l’occasion de construire d’autres relations humaines. Il nous faut développer des opportunités de rencontre avec tous. Cette aspiration concerne de plus en plus de monde, au delà des familles des milieux populaires.                                                              

Le Collectif pour la réussite de tous les enfants à l’école avec le groupe ICEM Freinet. Nous émettons l’ hypothèse que les enfants des milieux populaires souffrent à l’école parce qu’il n’y a pas suffisamment de prise en compte et d’effort de compréhension de leur réalité. Le corps enseignant a la responsabilité de l’ouverture de l’école sur le quartier, de l’organisation de la rencontre avec les familles. Mais cette institution ne peut pas réaliser ce travail seule et de manière isolée. Nous souhaitons engager un chantier, dans la durée, pour rechercher à offrir les meilleurs conditions pour construire une communauté éducative qui assure de manière effective notre responsabilité collective dans l’éducation des enfants, avec les différents acteurs du champ éducatif, les parents.    

Condition incontournable pour permettre à chaque enfant de faire des liens entre les différents espaces dans lesquels il évolue et de trouver ainsi du sens et de la cohérence dans les apprentissages organisés de manière différente à l’école, en famille, dans le milieu associatif….   

Il est nécessaire que tous les espaces d’apprentissage se rencontrent , s’organisent ensemble pour que les enfants comprennent la cohérence entre tous ces espaces et en retire d’utiles enseignements de façon à devenir le plus possible « citoyens ».                                                                                                                                                                                                               

Cette démarche particulière s’est inspirée de ce que développent d’autres collectifs à l’échelle du territoire, depuis près de 20 ans : Intermèdes Robinson à Lonjumeau dans l’Essonne, Madame Rutabagga à la Ville Neuve à Grenoble. Nous sommes ensemble engagés dans une démarche d’éducation populaire qui se réfère à la pédagogie sociale 

La pédagogie sociale est une pédagogie engagée, une pédagogie de l’action. Elle se base sur la réalité sociale et sa critique, avec la volonté de construire un projet collectif, d’initier quelque chose qui n’existe pas encore, pour transformer cette réalité, pour là rendre plus vivable, plus habitable.

Depuis toujours, elle s’adresse à une population à l’ère de la précarité, des catastrophes sociales. C’est une pédagogie de l’urgence qui tente de retisser des relations sociales. Face à la précarité, nous cherchons à créer du durable, de l’ordre d’une sécurité relationnelle et sociale. Nous le réalisons à partir d’une pratique sociale communautaire à durée indéterminée.

Ces collectifs mettent en évidence ce que la société produit de plus violent : les ravages de la précarité, qui rendent impossible pour ces familles des perspectives d’avenir. Des familles qui ne peuvent pas s’inscrire dans un avenir commun, condamnées à la solitude, à l’incertitude, à l’instabilité permanente. Les conditions de travail indignes, l’inscription dans une logique de survie où on renonce peu à peu à faire valoir des droits, l’intégration de son statut dans la société « on est des arabes, on ment, on vole! », l’auto enfermement.

Ces collectifs mettent en évidence le travail considérable du quotidien réalisé par ces adultes pour assurer le plus de sécurité possible à leur famille, les ressourcesles forces de mobilisation qui se manifestent, si on sait être présent et impliqué, dans la durée. Les aspirations à produire collectivement des choses utiles à la société. Et enfin, les capacités des enfants et des jeunes qui s’adaptent en permanence à l’imprévu, qui font face aux dangers de la rue. Des enfants et des jeunes qui prennent en main les choses: ils se saisissent de toutes les opportunités qui se présentent, ils s’ inscrivent seuls à des club sportifs et en assument les contraintes, prennent en compte le budget familial et renoncent aux activités dont ils rêvent quand ils les estiment trop coûteuses. Ils prennent des initiatives lorsqu’on sait être présents à leur côté  de manière inconditionnelle.

Ces ressources qui donnent la force et le souffle pour continuer sans relâche de rechercher des solutions d’espoir.

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