La pédagogie sociale, une démarche d’éducation populaire

La notion d’éducation populaire met en évidence une façon de partager les savoirs « à la manière populaire ». On se croise, on se parle, on s’organise ensemble. Dans ces espaces, dans ces temps de rencontre, la notion de « savoir », de « connaissance », est estimé de manière égale. Les savoirs de l’expérience de vie, et l’expertise qui en découle, et ceux plus académiques sont mis en commun. Ces connaissances partagées nous permettent de construire collectivement ce qui nous parait le plus adapté pour vivre ensemble sur un même territoire dans la meilleure prise en compte des besoins et des aspirations de chacun. Dans la meilleure prise en compte de l’intérêt général, de ce qui nous est commun: le respect de l’environnement et des personnes. On s’éduque ensemble, on grandit ensemble à partir d’engagements dans des actions, des initiatives qui répondent à des besoins, des enjeux.

Nous avons la conviction que pour construire une société, vivante, humaine, il faut prendre acte de la diversité, de la complexité, de l’interdépendance. Personne ne se construit tout seul, personne ne réussit seul quoi que ce soit. On se construit à partir du tissu social qui nous porte, nous encourage, nous reconnaît. Nous reconnaissons la vulnérabilité comme constituante de notre nature humaine, qui permet à chacun de pouvoir compter sur les autres et de compter pour les autres. Et de sortir de cette tension insupportable d’avoir à prouver qu’on est le meilleur, en cherchant à correspondre à ce qui est définit comme l’excellence.

Beaucoup trop d’entre nous se retrouvent exclus des espaces où se réfléchissent et s’élaborent des pratiques qui tentent d’apporter des réponses aux enjeux de notre territoire. Un stéphanois sur quatre se retrouve aujourd’hui en dessous du seuil de pauvreté. Ces nombreuses situations de détresse ont un impact très lourd pour les personnes qui les subissent et sur l’ensemble de notre collectivité. Ce qui est entrepris se retrouve en risque constant de s’essouffler voire de s’effondrer. Il est indispensable pour renforcer tout ce travail entrepris dans de nombreux espaces, et pouvoir compter sur la contribution de plus de personnes, de croiser les pratiques et de s’appuyer sur l’expertise de ceux qui subissent le plus les crises successives que nous traversons pour rechercher les réponses les plus adaptées.

Il est indispensable d’aller à la rencontre de ceux qui ne poussent plus les portes des structures, des espaces où se développent des dynamiques de transformation. Leurs aspirations et leurs préoccupations doivent être prises en compte.

Nous sommes présents sur  l’espace public, aux pieds des immeubles,  là où vivent les gens. Notre effort permanent pour tenter de comprendre comment le quotidien est vécu par les familles, nous permet de nous engager dans des actions qui reposent sur des besoins réels, des aspirations manifestées. Des actions co construites qui deviennent nos affaires à tous.

L’objectif est de rendre visible ce qui est mal compris et de créer une dynamique collective pour régler des problème concrets.

Ce qui est mal compris dans la société, ce sont les impacts de la précarité dans le quotidien des familles.

–   Des enfants en situation de rue qui se retrouvent sur l’espace public sans présence adulte, ou bien des enfants seuls dans les appartements, avec comme compagnon les écrans. Ils ont très peu accès aux activités périscolaires: la culture, le sport, les départs en vacances.

–   Des ressources insuffisantes pour vivre. Des logements surpeuplés. Pas de travail stable, des tâches qui provoquent des troublent invalidants très précoces.

–   Des jeunes en galère, avec des parcours scolaires qui les ont mis en souffrance, une absence de perspective de travail, de formation, d’accompagnement. Des jeunes sans ressource qui n’ont que le deal pour s’assurer un pécule avec des conséquences pour certains dramatiques.

–   Tendance pour beaucoup à l’isolement: parler de ses problèmes c’est la honte et la peur d’être jugé. « Il faut se méfier de tout le monde et parler à personne »

–   Se sentir inutile, illégitime, exclus.

La dynamique collective se crée à partir du moment où on sait aller à la rencontre des gens, où on assure des temps de présence réguliers et fiables, où on est attentif à ce qui que manifeste, où chacun peut nous rejoindre quand c’est possible et utile pour lui.

Dans ces conditions là, les gens sortent de chez eux, s’organisent, réalisent des projets.

La dynamique collective redonne l’envie et l’énergie d’entreprendre. Au sein du collectif on construit un sentiment de légitimité qui donne à chacun le courage et la force d’aller à la rencontre des autres.

Il est indispensable de sortir du cloisonnement des espaces sociaux où on ne se  rencontre plus nulle part dans notre diversité. De faire réseau avec d’autres collectifs pour croiser des centres d’intérêts, des préoccupations, pour mieux comprendre la réalité de chacun et agir de façon plus adaptée.

 

Exemple de dynamique collective: à propos de la précarité alimentaire

Suite à nos échanges avec les habitants du quartier et avec des paysans, nous mettons en évidence que ceux qui n’ont pas la possibilité de choisir leur nourriture, dont beaucoup ont recours à l’aide alimentaire, et ceux qui produisent une nourriture respectueuse du vivant, dont le travail n’est pas suffisamment rémunéré, ont des situations sociales très semblables. Tous ont des revenus insuffisants. Beaucoup se sentent exclus. Beaucoup ont le sentiment de ne pas pouvoir décider et de subir en grande partie leur existence.

La réflexion menée ensemble sur la possibilité de nous engager avec d’autres, et de construire des liens d’entraide, nous a conduit à développer un nouveau collectif qui a rendu possible un maillage de relations avec des associations, des producteurs, des distributeurs. Nous avons notamment développé du maraîchage, en lien avec tous ces acteurs.

Il est devenu possible, dans notre diversité sociale, de contribuer au travail de production de la nourriture en prenant en compte une multiplicité de contraintes. Ces rencontres régulières de travail partagé ont permis une interconnaissance de réalités et des problématiques de chacun.

Nous sortons de la relation aidant/aidés vécue comme humiliante et indigne.

Il devient possible aux paysans, à partir des paniers solidaires développés au sein de l’AMAP,  de contribuer à nourrir ceux qui ne peuvent  pas subvenir à leurs besoins. Il devient possible aux personnes, dont les revenus sont insuffisants pour vivre, de participer à la production de nourriture sur leur territoire.

Ce sentiment de satisfaction réciproque développe de l’enthousiasme, améliore l’estime de soi et la confiance, redonne l’énergie et l’envie de se mobiliser pour entreprendre et développer des projets. Une dynamique est en route: plusieurs habitantes se mobilisent pour participer aux temps de distribution mensuelle de VRAC. Plusieurs adhèrent au magasin coopératif la Fourmilière. D’autres projets se sont réalisés pour répondre à d’autres problématiques: une cantine solidaire « le Terrain de saveurs » où des habitants, des acteurs du quartiers, les cuisinières mangent à la même table.

Les personnes les plus en difficulté développent leur capacité d’agir et contribuent ainsi à la dynamique collective porteuse de solutions sur des enjeux déterminants tels que la santé, l’environnement.

Josiane Gunther Novembre 2023

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