Rapport moral 2023
La pédagogie sociale, une pédagogie de l’urgence sociale
En Avril 2011, pour tenter de répondre à une demande d’enfants en situation de rue, nous avons sollicité les différentes structures du quartier, et nous avons fait ensemble des constats:
– Les centres de loisirs ont des listes d’attente et ne peuvent accueillir tous les enfants.
– L’Acars s’adresse aux jeunes de plus de 16 ans.
– Les familles en grande précarité ne peuvent pas faire face à toutes les démarches nécessaires pour répondre aux besoins des enfants.
En Novembre 2023, qu’est ce qui a changé?
Les structures sont de plus en plus précarisées. Certaines ne peuvent pas développer des postes de travail suffisamment pérennes pour faire face aux besoins. Les activités proposées se réduisent ou ne concernent qu’un petit nombre de personnes.
Les autres dispositifs mis en place sont chaque fois réduits en moyens et les agents s’épuisent à ne pas pouvoir répondre aux demandes. Les revenus sont insuffisants pour vivre dans tous les foyers, et l’aide alimentaire, au delà de sa « qualité », ne comble pas les besoins d’une famille. Les conditions de vie, pour beaucoup, deviennent intenables.
Tous les jeunes, les enfants, les adultes de ce territoire sont impactés par le climat islamophobe qui s’aggrave dans la société.
Et pour Terrain d’Entente?
Nous n’avons aucun lieu dédié, depuis 12 ans, malgré toutes nos relances auprès des adjoints au maire. Ceux qui nous étaient jusqu’alors accessibles, pour les temps de présence ouverts aux enfants et aux jeunes, tout au long de la semaine, nous sont désormais fermés. Du coté des femmes, nous sommes condamnées à subir les contraintes de ceux qui acceptent de nous ouvrir leur porte. Et nous devons quitter les lieux quand ils le décident. Mettant ainsi à mal les efforts inouïes pour développer les actions identifiées comme nécessaires. A l’exemple de la cantine solidaire identifiée par tous les acteurs comme une ressource pour le territoire.
Des constats alarmants!
Mais, dans cette sombre période, nous restons debout!
Plusieurs femmes dont toutes ont des revenus insuffisants pour vivre, sont partie prenante d’actions qui répondent à des besoins identifiés ensemble et développent des projets dans la durée. Certaines n’ont pas de titre de séjour, et elles contribuent à toute une dynamique qui permet à beaucoup de sortir de l’isolement, de créer des liens d’interconnaissance, de casser les murs de l’entre soi et d’ouvrir des possibles avec toute notre diversité.
Une dynamique collective qui est source de transformation. Deux exemples emblématiques:
L’atelier couture: le « Terrain de Créativités » est entièrement auto organisé et accueille aujourd’hui une trentaine de femmes. Deux couturières sont responsables de l’atelier, et l’animent bénévolement.
La cantine solidaire, le » Terrain des Saveurs », en lien avec le projet de la caisse sociale de l’alimentation de St Etienne.
Toutes les femmes qui se mobilisent acceptent d’assurer gratuitement ce travail.
Toutes sont prêtes à poursuivre cet effort dans la durée, en espérant ainsi assurer un service aux habitants qui répond à des besoins identifiés. En espérant ainsi être reconnues, trouver leur place avec tous les autres acteurs du territoire.
Cette forte mobilisation contribue aux transformations indispensables pour vivre mieux tous ensemble dans notre quartier. Nous ne pouvons que saluer les capacités inouïes de ces femmes qui sont moteur dans des actions qui enrichissent notre quotidien.
Le café des femmes, qui accueille chaque semaine 20 à 25 femmes, dont une quarantaine sont concernées tout au long de l’année, permet que ces projets aboutissent. Merci aux Moyens du Bord de nous faire de la place!
Notre petite équipe de salariés ne renonce pas. Elle préserve tout ce qui est possible pour répondre aux besoins, pour garder le lien avec tous ceux qui nous accordent leur confiance depuis toutes ces années. Des temps de présence après l’école ont été multipliés, nous sommes là les mardis, les jeudis, les vendredis aux pieds des immeubles. Le soutien scolaire a été maintenu deux fois par semaine, à la médiathèque et à la Comète. Nous avons construit des liens solides avec de nombreux acteurs du champ éducatif pour créer toutes les opportunités possibles de découverte sportive, d’ouverture culturelle. Le café des ados se transforme et perdure. Nous restons à l’affût de tout ce qui peut se développer pour tous ces enfants et ces jeunes à qui la société accorde si peu. Merci à tous ces acteurs qui savent nous faire confiance et qui ne verrouillent pas leur porte.
Convaincus que l’éducation est affaire de tous et qu’il faut rendre visible et accessible les actions éducatives, nous avons rejoint les enfants là où ils sont : dehors. Nos relations se sont inscrites dans la réalité telle qu’elle est. Nous nous sommes investis avec les personnes qui en ont le plus besoin pour nous enrichir ensemble de nouveaux liens sociaux. Nous nous sommes efforcés d’identifier ce qui est primordial pour elles. Nous avons créer du durable, de la stabilité, à partir de rien, à partir de pratiques sociales communautaires que nous avons inventé ensemble. Ces espaces du dehors, qui ne sont pas forcement propices aux activités culturelles et éducatives, deviennent pour nous des centres, des lieux où il peut se passer quelque chose.
Pas de contrat, pas de projet, mais des pratiques quotidiennes d’hospitalité, de convivialité.
Nous avons crée un rapport d’égalité où l’implication de chacun est précieuse pour que les projets puissent aboutir.
Chaque action a été l’occasion de mieux comprendre, ensemble la réalité, de construire des savoirs nouveaux. Une forte relation de confiance s’est construite, au fil du temps. De cette confiance a pu naître d’autres confiances et d’autres démarches, au sein d’un large réseau stéphanois.
« TE nous aide à trouver notre place dans cette société qui ne veut pas de nous »(sic)
Merci à tous les bénévoles, nombreux qui par leur travail nous permettent de tenir.
Par son mode d’approche des relations, la pédagogie sociale encourage l’engagement, de manière pérenne, auprès de ceux pour lesquels l’existence est une lutte quotidienne pour survivre, grâce aux liens d’amitiés que nous construisons au fil du temps. Des liens qui nous relient, des liens qui nous soutiennent mutuellement, des liens qui nous rendent plus solides plus combatifs, plus entreprenants. Une présence, quotidienne, affective, une relation proche et personnalisée. Elle permet de dépasser les barrières d’incompréhensions et de peurs. Cette pédagogie permet d’appréhender la réalité dans toute sa complexité et de développer la force, l’énergie et la créativité nécessaire pour là transformer.
La politique de la ville doit s’appuyer sur cette expertise et donner de vrais moyens d’action à tous les acteurs mobilisés dans leur diversité. C’est le seul moyen d’apporter des réponses à la solitude et au risque de replis, de redonner de l’espoir aux jeunes et à leur famille. Massivement, les habitants aspirent à faire société avec tous. Encourageons ces élans pour développer ce qui est indispensable pour assurer à tous une vie plus digne.