En réponse à l’urgence sanitaire, à l’épidémie qui se développe, le gouvernement a imposé une nouvelle organisation à toute la société, de manière toujours plus autoritaire et répressive. A partir de l’école primaire, les enfants et les jeunes, et avec eux, tous ceux qui sont employables, tous ont été sommés de sortir de leur domicile pour la seule raison considérée comme nécessaire et indispensable: le travail ! Le reste nous a été interdit ou limité à sa plus simple expression: faire les courses, promener son chien ….
La vie culturelle, sociale, religieuse, affective… tout est terminé. La seule vie qu’on veut sauver est la vie biologique, celle du corps. Or, la vie ne se résume pas à un corps, il y a aussi les raisons de vivre.
Cette épidémie nous renvoie à la menace de mort. La maladie et la mort sont des réalités de l’existence que nous redoutons tous. Nous espérons échapper à des maladies graves, invalidantes, et nous avons peur de la mort! Nous cherchons même à faire reculer son échéance. Nous saluons à juste titre comme un progrès, une victoire, l’augmentation de l’espérance de vie (seulement dans certaines régions du monde, dans beaucoup d’autres, la mort frappe au quotidien avec une ampleur dramatique).
L’espérance de vie, il est bien question de cela aujourd’hui. Qu’espérons-nous vivre en fait? Que souhaitons-nous chaque jour pour nous, pour nos proches, pour notre vie en commun? Quel élan nous fait nous lever le matin, qu’est ce qui nous pousse à sortir de chez nous? Quelles envies nous mobilisent pour construire des projets, réaliser des actions?
Est ce que nos ambitions, nos aspirations se résument chaque jour au fait d’avoir à aller travailler, de retrouver le chemin de l’école? Et pour beaucoup d’entre nous comment considérons-nous notre travail, ou plutôt notre emploi?
Une promesse de dépassement de soi et d’accroissement personnel? L’opportunité de contribuer à l’évolution de notre vie sur terre, la possibilité pour chacun d’entre nous de pouvoir contribuer au bien commun? Ou bien seulement l’unique moyen de subsistance possible , un simple »gagne pain »? Beaucoup, beaucoup trop, pour qualifier leur emploi précisent « c’est juste alimentaire! »
Pour une majorité d’enfants et de jeunes, que représente l’école?
Une promesse de développement et de perfectionnement pour soi-même et avec les autres? La possibilité de savoir pour agir et d’agir pour s’émanciper et s’épanouir? La possibilité de mieux comprendre le monde, l’opportunité de découvrir l’altérité et de là considérer comme une richesse, un partage et non une menace et une réduction de soi même? Ou bien, malheureusement, une expérience douloureuse et humiliante d’échecs, de perte de considération et de confiance en soi?
Une majorité d’entre nous se retrouve contraint de se rendre à l’école chaque jour et d’exercer un travail sans adhérer véritablement à cet acte obligatoire. Chacun se plie à cette exigence mais à quel prix?
Le prix de dépressions, le prix du découragement, le prix du désespoir pour tous les « premiers de corvée » et les « derniers de la classe »!
Une masse impressionnante de nos concitoyens.
L’épidémie est une réalité que personne ne conteste. Mais son traitement actuel met en péril tout ce qui peut nous donner des raisons d’espérer, de sentir autour de soi du réconfort, de retrouver l’énergie et l’envie. Une atmosphère de mal être s’installe parmi nous. Une atmosphère qui nous épuise, qui nous oblige à puiser au fond de nous même des ressources pour tenter de tenir le coup et ne pas nous effondrer. Mais ces ressources demandent justement du soin pour se renouveler, elles nécessitent le lien aux autres, pour nous sentir bien vivants. Ces ressources se renouvellent lorsque la joie nous habite, lorsque le désir semble pouvoir devenir réalité, lorsque des possibles apparaissent dans un horizon atteignable.
Aujourd’hui, à l’occasion de ce deuxième confinement il nous est interdit ce qui est justement indispensable à nos vies: le lien, la rencontre, des moments « gratuits » où on se donne mutuellement de l’attention, le bonheur de construire avec d’autres, d’inventer, d’imaginer des possibles parce qu’on devient plus audacieux lorsqu’on se retrouve ensemble.
Aujourd’hui, on observe ce qui se passe pour beaucoup d’entre nous lorsque ces ressources s’épuisent : pour les familles que nous connaissons bien à Terrain d’Entente, la dépression s’installe, les maladies invalidantes se développent, les démarches pour construire au mieux le quotidien deviennent trop pesantes, beaucoup renoncent, tout en mesurant les conséquences irréparables de cet essoufflement.
Il aura suffi d’un organisme de quelques nanomètres pour engendrer une crise économique et sociale d’une ampleur inconnue jusqu’alors en temps de paix. Depuis Mars une part grossissante de la population se trouve confrontée à une baisse dramatique de ses revenus, à une dégradation de son quotidien. La violence sociale s’ajoute à la violence de la situation sanitaire de manière fulgurante. Des violences se surajoutent à d’autres violences et la culpabilisation individuelle est prégnante dans tous les discours des autorités gouvernementales. Le soupçon est également jeté sur une catégorie de la population, les plus pauvres!
Dans le budget de l’ARS, une partie est désormais consacrée à l’éducation aux gestes barrière pour les habitants des quartiers prioritaires de la politiques de la ville! Il est question pour eux d’un apprentissage au lavage des mains et au port du masque.
Le manque de financement de tous les services publics qu’on nous impose, les restrictions budgétaires, la politique délétère de l’hôpital-entreprise, ces responsabilités là qui incombent aux décideurs politiques, il n’en n’est presque pas question .
L’attention et le soin portés aux êtres humains comme aux territoires ne sont plus les priorités.
« Travaille et rentre chez toi! »
En ce qui nous concerne, à Terrain d’Entente, nous nous efforçons de continuer à prendre soin de ces familles qui vont de plus en plus mal. Nous avons pu préserver le soutient scolaire durant tout ce mois de Novembre, et nous avons augmenter nos périodes de présence. Les enfants étaient nombreux à venir nous rejoindre, et nous n’avons refusé personne. Nous avons su préserver ce qui nous est toujours apparu comme essentiel, l’accueil libre et inconditionnel. Les enfants ont accepté les nouvelles contraintes: le gel hydro alcoolique, le masque, l’évitement de la mobilité dans la salle, le retour au domicile après les leçons.
La présence soutenue d’adultes durant ces différents temps d’accueil a permis de prendre soin et attention à chacun de ces enfants. Ce qui nous a tous mobilisé: que chaque enfant, chaque jeune s’investisse avec enthousiasme et plaisir dans les apprentissages. Et nous constatons pour beaucoup d’entre eux des progrès réels. Pour certains de ces enfants qui auparavant, n’osaient pas prendre le risque de démarrer un exercice scolaire pour ne pas avoir à affronter un nouvel échec, ces enfants là rentrent enfin dans un processus d’apprentissage. Ils manifestent du plaisir à mieux comprendre et de la curiosité à connaitre et à savoir d’avantage. Nous avons réussi ensemble à construire un climat propice à la concentration, à la réflexion, à l’appropriation du savoir. Nous constatons une fois de plus que c’est la relation, l’attachement, l’encouragement qui créent la motivation, l’envie.
Du côté de la jeunesse, les ados ont continué à nous solliciter pour réfléchir à leur orientation, les possibilités d’être accueillis en stage s’amenuisent avec à nouveau le risque de vivre l’échec avec tout son cortège de tensions intra familiales. D’autres trouvent encore le courage de nous confier leur détresse et nous sommes extrêmement préoccupés pour certains, de l’évolution de leur parcours.
Cette démarche d’aller au coeur de la réalité, de la difficulté, de la détresse des enfants, des jeunes, des adultes est l’unique possibilité de retenir la main de celui qui souffre et d’avancer à ses côtés pour éviter qu’il ne s’effondre, pour rester debout et vivants ensemble!.
Le premier geste humain envers un autre est le soin. Un geste qui ne doit rien à la morale mais à la nécessité, car l’état de nature, l’état premier des humains c’est la vulnérabilité. Sans le soin primordial au nouveau né, il n’y aurait pas eu d’humanité, pas d’aventure humaine, parce que la vulnérabilité est la condition du vivant.
Dans ce climat autoritaire et répressif, dans ce climat qui développe la peur, le découragement et la dépression, il est urgent d’inventer, et démultiplier des espaces de bien être ouverts à tous. C’est surtout ça notre urgence sanitaire actuelle.
Josiane GUNTHER le 3 Décembre 2020