Article de Presse

Familles, Ecole, Quartier, quel « Terrain d’Entente « ? Entretien avec la Revue Alternative Non violente

Josiane, tu as créé l’association Terrain d’Entente, dans un quartier populaire de Saint-Etienne, inspirée de la pédagogie sociale. Peux-tu nous décrire ce dont il s’agit et en quoi cette association vient en aide aux familles ?

Alors qu’on s’occupait d’une association d’aide aux adultes nouvellement arrivés en France, des enfants sont venus nous voir pour nous dire qu’il n’y avait rien pour eux. Les structures de loisirs étaient effectivement complètes, les inscriptions représentaient parfois trop de contraintes pour les parents… C’est à ce moment-là que j’ai découvert Laurent Ott qui a ouvert le champ de la pédagogie sociale en France. Il met en évidence le fait que de plus en plus d’enfants se retrouvent dans l’espace public plus ou moins livrés à eux-mêmes, pas suffisamment protégés par les adultes. J’ai aussi trouvé très intéressant son constat que les parents ne sont pas que des parents. Ils sont aussi des adultes avec plein de choses à régler pour eux-mêmes, qui ont des préoccupations quotidiennes. Pour lui, tous les acteurs du champ éducatif sont censés être collectivement responsables de l’éducation et de la protection des enfants. Gérer cette responsabilité collective m’a énormément interpellée. A cette époque, je venais de quitter le Conseil départemental en tant qu’infirmière puéricultrice et je m’inquiétais de l’évolution de cette institution qui devenait de plus en plus normative.

L’idée de la pédagogie sociale est d’aller à la rencontre des gens, de les retrouver sur l ‘espace public et de faire un immense effort de compréhension de ce qui se manifeste. Les gens vont m’apprendre des choses que j’ignore, et bien souvent vont livrer des difficultés qui relèvent de notre responsabilité collectives, qui sont nos affaires sociales, qui renvoient aux rapports d’inégalité, d’injustice, de dignité, d’accès aux droits pour tous. Le pédagogue social est amené à s’engager, s’impliquer avec les personnes pour tenter de résoudre ces situations inacceptables. C’est une tentative pour reconstruire une relation égalitaire, d’adulte à adulte, de construire ensemble une communauté éducative pour nous occuper des toutes ces affaires qui concernent le bien être et la sécurité des enfants, des jeunes, de construire collectivement les choses à partir de cette réalité.

On a donc créé Terrain d’entente en Avril 2011 dans un quartier dit prioritaire de Saint-Etienne. Au début on proposait des ateliers de rue aux enfants, avec des jeux diversifiés pour tous les âges, dans l’espace public aux pieds des immeubles . On est présent toute l’année, par tous les temps. En l’espace de 2-3 semaines, les parents sont descendus de l’immeuble, pour nous dire qu’il n’avait pas l’opportunité de jouer avec leurs enfants mais qu’avec des adultes présents sur cet espace public, ils se sentaient rassurés pour les laisser nous rejoindre. Cela leur évitera de garder leurs enfants enfermés à l’intérieur de chez eux. Notre volonté est d’accueillir les choses comme elles arrivent, sans intentions sur la façon dont les relations devraient évoluer, sur les actions à développer, mais avec une grande attention à ce qui se manifeste pour comprendre les aspirations, les besoins, les difficultés. On ne cherche par exemple pas à toucher les parents par le biais d’activités proposées à leurs enfants. Cela nous mène dans des espaces que je n’aurai jamais imaginé atteindre. Notre seul objectif est de rejoindre les gens. C’est beaucoup plus ajusté et moins coûteux en énergie car on n’est jamais déçu puisqu’on n’a pas d’objectifs à atteindre. On développe ainsi collectivement des savoirs et des savoirs faire

Combien de personnes êtes-vous à Terrain d’entente ?

On a un salarié à 35h au SMIC, parfois des services civiques. Depuis 11 ans, on est dans une immense précarité, nos revenus sont insuffisants. Ca nous rend très vulnérables. Et puis on a a une poignée de bénévoles mais c’est très fragile. C’est une présence très exigeante, pas toujours très gratifiante, parfois tendue… Par contre, la force du collectif nous donne l’énergie d’entreprendre des choses ensemble.

La pédagogie sociale, c’est une pédagogie de l’urgence sociale. C’est dire qu’on est là où ça va le plus mal, pour interpeller, pour mettre en évidence. Ca permet de rendre visible ce qui est caché et de mettre en route…

Comment est vécue la relation à l’école pour ces familles ?

Mon ressenti c’est que dès l’école maternelle, ces parents sont confrontés à des difficultés, à des incompréhensions, à des confrontations souvent douloureuses où on leur signifient qu’ils ne correspondent pas aux attendus. Les enseignants veulent bien faire, mais trop souvent ce sont des rendez-vous loupés. Et pourtant l’école occupe une place centrale dans les préoccupations des familles. La démarche 1001 territoires nous avait permis d’échanger sur un pied d’égalité entre parents, enseignants, structures d’éducation populaire… et puis ça s’est épuisé, petit à petit les rôles « sachant / ignorant» ont été repris. Les parents sont souvent essoufflés par un quotidien de galère. La « charge mentale » est colossale, il ne reste pas beaucoup de place pour s’occuper de l’éducation des enfants.

Georges, tu travailles au sein d’une grande institution, l’Education Nationale ? Peux-tu nous décrire de quel point de vue tu te places dans cette institution ?

Je fais fonction de direction dans une SEGPA au collège, auprès d’enfants en grande difficulté scolaire. Ces enfants n’ont pas réussi à être dans les clous à la fin de la scolarité primaire. Sociologiquement, on a beaucoup d’enfants dont les familles sont très démunies. L’un des marqueurs de l’échec scolaire, c’est la misère sociale, c’est aussi l’éloignement avec la langue française. L’école française est bâtie sur la base de la maitrise du français. Un gamin loin du français, c’est un gamin loin de l’école…

Pour beaucoup de parents avoir leur enfant en Segpa, c’est vécu comme un échec. Quand ces familles s’inscrivent, j’essaye d’accueillir cette « non-volonté » d’être là, leur peur, leur honte. Quand l’enfant rencontre des problèmes de discipline, j’essaye de mettre les parents dans le coup, avec nous « institution ». Ils ont fait de leur mieux pour éduquer cet enfant, l’échec est commun car l’institution elle aussi est en difficulté. Institutionnellement, l’école a un catalogue de « peines », mais elle n’a pas vraiment de regard sur où est la transgression… Les normes réglementaires c’est bien, mais un peu de créativité est possible aussi !

Josiane, tu as lancé avec d’autres une démarche autour de la coéducation à Saint-Etienne ? Peux-tu nous dire en quoi cette démarche te semble essentielle notamment avec pour les familles auprès desquelles tu es présente quotidiennement ? Quel sens y donnes-tu ?

L’école porte une charge lourde et intenable. Elle ne peut pas tout pour les enfants. Je suis convaincue qu’on irait tous bien mieux, si tous les acteurs du champ éducatif cohabitaient en toute intelligence. Les parents font certes face à des réalités sociales difficiles et complexes, mais sont prêts à collaborer. Dans tous ces espaces d’éducation, les gens ont des compétences et des connaissances. Isolé on est très en souffrance, et souvent impuissants, alors que réunis, on est plus en capacité d’assurer une cohérence éducative qui tient compte de la diversité des besoins des enfants et de leurs aptitudes. On pourrait réunir notre forces, avec la participation active des parents.

Georges, quelle vision as-tu, au sein de l’institution Education nationale, de l’accompagnement des familles dites précaires ? Est-ce qu’une démarche de coéducation te semble possible ?

La coéducation est une des choses que notre société est en train de rater. On ne s’occupe pas des enfants. La fonction d’adultes n’existe plus. Bien sûr la coéducation est nécessaire, ni l’école, ni les familles seules n’y arriveront. Si société ne réfléchit pas sur notre responsabilité à tous, on n’y arrivera pas. Il faut voir la difficulté à trouver stage de 3 jours pour nos jeunes ! Et inversement après le confinement beaucoup d’enfants ont disparu, ils ne sont plus dehors. Les parents les préfèrent dedans, devant un écran, que dehors…

La coéducation, ça a l’air intéressant sur le papier, mais n’y a-t-il pas des limites, des difficultés à accepter le cadre d’intervention de l’autre, et à accepter les différences dans la prise en charge ou l’accompagnement de ses familles ? Comment les « cadres » respectifs de chacun peuvent cohabiter voire s’enrichir ensemble ?

Josiane : Bien sûr, les tensions sont inévitables. Mais la coéducation c’est surtout de l’enthousiasme. Cela créé une dynamique pour ne plus subir l’écrasement. Cela permet de se sentir davantage acteur de son travail, de son champ d’action. Quand on est isolé, on est facilement en souffrance et on ne produit que très peu de choses adaptées et efficaces pour les enfants, pour leur éducation et pour leur protection. Alors que, réunis autour d’une même table, c’est évident qu’on est capable de faire du bien meilleur boulot.

Frédéric JESU, qui est pédospychiatre, formateur, nous a invités à faire cette démarche par étape, en commençant par des rencontres entre pairs : les enseignants ensemble, les parents ensemble… Lors de la rencontre des différents groupes de pairs, il faut voir l’enthousiasme des différents acteurs à se projeter sur un autre possible, à ouvrir leur regard. Je me souviens aussi de l’enthousiasme de ces mères qui avaient envie d’aider à l’école pour que tout se passe bien… Par contre, le cadre, la posture est nécessaire pour que chacun ne se sente pas jugé par les autres, se sente l’autorisation d’être comme il est, et d’avancer dans un objectif commun, celui du bien-être des enfants, celui qui encourage les enfants dans leurs efforts, à l’écoute de leur désir. La carte à jouer, c’est la place des familles dans toutes ces instances…

Par contre, loin d’être idyllique, c’est même plus qu’insatisfaisant aujourd’hui. Je ressens un tel écrasement des uns et des autres, les acteurs n’ont plus la maîtrise de leur expertise car ce n’est pas prévu par les institutions, par les financeurs… Ca peut devenir dramatique dans les quartiers. On a tout à gagner à tenter des expériences.

Georges : L’évolution de la société, avec des machines qui ont remplacé les cantonniers, les caissières… a créé un délitement dans les liens, dans ces liens qui faisaient éducation auprès de nos enfants. L’éducation, ce n’est pas que l’école et les parents…

Josiane : J’ai beaucoup aimé le livre de Fatima Ouassak, politologue et habitante de Roubaix, qui a écrit « la puissance des mères ». Elle parle du pouvoir des femmes qui bien qu’invisibles la plupart du temps et cantonnées à des tâches du quotidien, sont capables de se mobiliser pour leurs enfants et de dénoncer les violences. Elles sont capables d’interpeller la société sur des questions graves liées à leurs enfants. Elles sont des acteurs politiques.

Georges : Je renvoie souvent aux parents leurs compétences à prendre soin de leurs enfants, sur des choses qui peuvent paraître basiques, laver les vêtements de leurs enfants par exemple, car ça n’est jamais valorisé, alors que ça n’est pas rien dans leur quotidien.

Quel serait le modèle de société, le modèle institutionnel idéal pour faire avancer la prise en charge des problématiques de précarité chez les familles de manière constructive ?

Josiane : On voit effectivement des situations familiales s’aggraver. C’est une vraie question politique. Les services publics chutent, les questions sur la recherche de l’emploi créent de vraies tensions. La situation des plus précaires évolue dramatiquement… Et pourtant ces familles sont de véritables forces vives, elles s’arqueboutent pour tenir et ne pas s’enfoncer. Il faudrait réhausser les plus bas revenus, redonner le sentiment de dignité pour que chacun puisse subvenir à ses propres besoins par son travail… Chacun a besoin d’être reconnu par un travail, avec des revenus suffisants pour vivre. Il faut sortir du néo-libéralisme.

Georges : il y a un pan institutionnel défaillant à qui redonner de la force, de la formation, notamment aux soins psys, aux diagnostics précoces pour cerner la difficulté de l’enfant, accompagnement des enfants et les parents dans leurs difficultés… Quand il faut attendre un an pour avoir un RDV de bilan, les familles sont déboussolées, abandonnées. Il manque des professionnels pour prendre en charge ces enfants… Il y a un prix à payer pour le soin et l’éducatif. Il y a des besoins, et des relais nécessaires : des éducateurs, des psychologues, des policiers, des magistrats, des structures d’accompagnement social…

Entretien réalisé par Arianne Fabien Septembre 2022 (Dossier N° 204)

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L’émission de France Inter Vendredi 22 Février

Je reçois un appel téléphonique de Sandrine OUDIN, journaliste à France Inter, responsable de l’émission « Les bonnes ondes ». Elle m’explique qu’elle a découvert notre site et s’est enthousiasmée de notre démarche, elle souhaiterait nous rencontrer mais elle imagine que l’hiver, nous ne sommes pas présents  sur le terrain. Je lui réponds que nous sommes présents tout au long de l’année, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige. 

Nous prenons rendez vous le mercredi 13 Février. Elle m’apprend qu’une équipe de journalistes de  France Inter sera présente très prochainement  à St Etienne pour interroger le mouvement des « gilets jaunes » et  tenter de comprendre la réalité et les questions qui se posent sur notre territoire.

« Les bonnes ondes » ont pour principe de saluer les initiatives positives qui sont actives dans les différentes régions du territoire. A St Etienne, l’attention de France Inter a été retenue par ce qui se construit dans notre collectif depuis près de huit ans!

De nombreux adultes de notre association se sont donnés rendez vous ce jour là. Malgré la peur de parler au micro de Sandrine OUDIN, ils souhaitaient  être présents pour témoigner du sentiment d’abandon partagé par beaucoup. Plusieurs ont trouver le courage de prendre la parole. 

 « C’est un quartier à part, c’est un quartier pauvre ». « Vous voulez dire qu’il n’y a rien ». « Oui, il n’y a rien pour nous« . « La vie est très dure, on coule, on n’arrive pas à remonter à la surface« .   

Ils ont souhaité dire également ce que  nous savons construire tous ensemble années après années,  ce qui nous redonne de l’espoir, ce qui nous aide à tenir le coup parce que nous n’avons plus le sentiment d’être seuls pour faire face aux difficultés qui s’aggravent.

« Terrain d’Entente c’est gratuit, ça ne nous coûte rien du tout. Grâce à Terrain d’Entente, toutes les familles sortent, sinon il n’y a rien. C’est une sorte d’oxygène pour moi. Terrain d’Entente a rempli le gros trou dans ma vie ». 

Les enfants ont su dire ce qui était important pour eux, se retrouver avec d’autres, sortir de la solitude, être moins souvent devant cette télévision où l’on s’ennui beaucoup.

« Ils nous aident  à s’aimer avec les autres, ils font des activités avec les moyens du bord« .   

Sandrine nous a consacré un après midi. Malgré les contrainte de son émission, en 5 minutes, elle a su mettre en valeur ce dont Terrain d’Entente est témoin depuis toutes ces années.

« Des gens prêts à se mobiliser quand ça a du sens pour eux« .  

Un grand merci pour ce travail.

Pour entendre l’émission :  https://www.franceinter.fr/emissions/la-solution-a-tout

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Article de BastaMag sur Terrain d’Entente

« Dans un quartier populaire de Saint-Etienne, des « ateliers de rue » sont proposés régulièrement aux enfants. Leur principe : un accueil libre, inconditionnel et gratuit. Sur cet espace en milieu ouvert, les enfants, parfois accompagnés par leurs parents, sont invités à prendre des initiatives et à coopérer. Ces ateliers s’inspirent d’une pédagogie sociale visant à expérimenter de nouvelles façons de vivre et d’éduquer collectivement, avec tous les âges et à partir de toutes les cultures. Cinq ans après leur mise en place, ces pratiques d’émancipation, qui recréent aussi du lien entre adultes, gagnent du terrain, mais sont peu soutenues par les politiques. Un « café des femmes » a également ouvert. Reportage.

Difficile de trouver l’espace de jeux du quartier de Tarentaize, bordé par un boulevard urbain d’un côté, abrité par une grande médiathèque de l’autre. A mesure que l’on s’approche, les cris des gamins disputant une partie de foot recouvrent le bruit des voitures ralliant Saint-Étienne. Aux abords du terrain, des enfants affluent pour aider à déplier les tapis de jeux fournis par l’association Terrain d’entente. Des sourires gagnent les visages à la vue des diabolos, jeux de société, slackline (sortes de cordes pour funambules), instruments de jongle et autres coloriages… Depuis cinq ans, l’association propose des ateliers de rue, les mercredi et samedi après midi, tout au long de l’année. Avec un principe clé : l’accueil est libre, inconditionnel et gratuit.

« Les enfants partent et viennent librement, les différents jeux sont à leur disposition », relate Josiane Reymond, fondatrice de l’association. « C’est parti d’une demande des enfants, qui nous disaient qu’il n’y avait rien pour eux. » Tarentaize, à l’ouest de Saint-Etienne, est considéré comme l’un des quartiers les plus en difficulté de la ville, avec un taux de pauvreté dépassant les 43% [1]. « Beaucoup d’habitants voudraient partir, nous sentons que les enfants souffrent, la vie est dure. Au lieu de regretter que les gens ne se mobilisent plus, nous avons décidé d’aller à leur rencontre. Nous sommes venus avec des tapis et des jeux, au pied des immeubles, en nous demandant : quelle légitimité peut-on avoir en n’étant pas du quartier ? » La réponse, l’association l’a trouvée dans la présence grandissante d’enfants lors de ces ateliers installés dans l’espace public.

Pour les enfants, ces ateliers de rue ne sont pas seulement un moment de jeu, mais aussi un temps pour évoquer leurs préoccupations et leurs envies. « Ils sollicitent notre présence pour certains conflits », observe Josiane. « Nous nous référons aux outils de la pédagogie sociale pour aider les enfants à construire des relations positives, traverser les conflits de façon à ce que chacun trouve sa place au sein du collectif. » Derrière le concept de « pédagogie sociale », on retrouve des figures comme le pédagogue Célestin Freinet [2]. Aller à la rencontre de quartiers délaissés, offrir une présence régulière, favoriser l’émancipation individuelle et collective, c’est l’engagement tenu dans la durée par les pédagogues sociaux. « Nous ne sommes plus dans la distance mais dans la proximité, nous ne sommes plus dans la défiance mais nous construisons au fil du temps des relations de confiance et d’estime réciproques », explique Josiane, qui s’appuie fortement sur les travaux de Laurent Ott, chercheur en travail social.

« Chacun possède un petit bout de l’histoire d’un enfant »

L’association Terrain d’entente propose de partir des idées des enfants, et de compter sur tout le monde pour les réaliser. Ce jour-là, Youssef, un jeune adolescent, reparle de son envie d’organiser une chasse au trésor. Saad, stagiaire chez Terrain d’entente, propose de l’aider avec d’autres enfants. « Des projets deviennent possible avec la participation de tous, notre petite équipe, les enfants, les adultes, souligne Josiane. A force de tâtonnements, on trouve peu à peu la meilleure façon de se retrouver collectivement. Nous organisons des « conseils » avec les enfants, pour discuter de la manière dont les choses se passent. » Un « bâton de parole » y circule entre enfants, seul celui qui tient le bâton est autorisé à parler.

A la différence des centres de loisir, le travail mené par l’association Terrain d’entente se mène dehors, sur l’espace public, sans aucune barrière de protection traçant une frontière entre intérieur et extérieur. « Souvent, quand on ne sait plus quoi faire avec un gamin, on le met dehors, observe Josiane. La sanction, nous la dégainons tous, mais ça ne règle rien : les gamins se sentent exclus, abandonnés. Être dans l’espace public nous rend d’une certaine manière plus intelligent. Nous finissons toujours par trouver une solution. » L’équipe organise au moins deux réunions par semaine pour faire le point. « Chacun possède un petit bout de l’histoire d’un enfant. Nous cherchons ensemble l’attitude la plus adaptée face à des gamins parfois très tendus. »

« Nous nous sommes efforcés d’entendre, de comprendre »

Josiane évoque l’exemple de Sonia*, une jeune fille de 12 ans, la plupart du temps agressive avec les autres enfants mais aussi avec les adultes. « Notre première intention a été le rappel au cadre, l’exclusion de certains jeux, ce qui a redoublé sa rage. Puis, nous nous sommes efforcés d’entendre, de comprendre. » Sonia s’est peu à peu confiée sur les problèmes de sa famille, sa détresse. « Nous avons partagé sa peine, son sentiment d’injustice, de ne pas se sentir aimée. Et comme la plupart des enfants lorsqu’ils se sentent entendus, pris en compte, elle s’est reconnectée à ses envies. » Sonia voulait construire un atelier coiffure et beauté. « Lors de cette première journée réalisée à son initiative, elle s’est montrée très attentive aux autres, s’efforçant d’intégrer tous ceux qui souhaitaient profiter de ce nouvel espace. Elle a pu manifester une autre et très belle, très touchante part d’elle-même. »

Face à des familles en difficulté, de plus en plus isolées, Josiane estime que l’éducation des enfants « concerne tout le quartier ». « Les parents ne peuvent pas consacrer toute leur énergie à s’occuper des enfants, ils ont plein de choses à tenir pour assurer le quotidien : de nombreuses démarches, des préoccupations, ils sont parfois épuisés. Notre présence auprès des enfants, deux après midis par semaine, constitue un petit relais auprès des parents qui le souhaitent. On se sent concernés et on agit ensemble sur les différents évènements qui traversent ces temps de rencontre. » Ce collectif permet de faire sortir les gens de chez eux, de créer des liens de confiance et de compter sur d’autres. « Certains nous disent que nous rendons les parents démissionnaires. C’est fou ! Personne ne s’inquiète des parents qui confient leurs enfants au centre de loisir. »

Originaire d’Algérie, Samia vient régulièrement avec ses enfants. « Je n’ai pas ma famille ici, et la solitude me pèse. Je restais souvent à la maison. Maintenant, nous nous connaissons avec les autres femmes du quartier, nous partageons nos joies et nos peines. » Une garde des bébés a également été mise en place le mardi après-midi dans le centre social du quartier, avec la possibilité pour les parents d’être présents. L’équipe assure également une présence régulière à la médiathèque de Tarentaize, apportant notamment une aide aux devoirs. Des sorties nature, théâtre ou cinéma sont aussi organisées.

« Il y a beaucoup de cafés pour les hommes, mais rien pour nous »

Depuis 2013, l’association a ouvert un café des femmes, à leur demande, qui se tient le vendredi après-midi dans le centre social. « Il y a beaucoup de cafés pour les hommes dans le quartier, mais il n’y a rien pour nous », témoigne Fiala, son bébé dans les bras. « Ici, nous parlons librement, nous n’avons peur de rien », poursuit son amie qui a déménagé dans un autre quartier, mais qui n’hésite pas à faire trente minutes de trajet en transports en commun pour participer à ce temps d’échange. Ce vendredi, elles sont une dizaine de femmes réunies autour d’un thermos de thé à la menthe et de gâteaux faits maison. Elles reviennent sur leur journée de travail, évoquent des galères administratives, rient à la vue des photos du tournoi de foot en soutien à la Palestine auquel elles ont participé. « On peut tout faire avec le voile, vous voyez ! », plaisantent-elles.

C’est la première fois que Djilalia participe au café des femmes. La voix fébrile, elle explique que son enfant de 13 ans vient d’être mis à pied huit jours par le collège suite à une bagarre. Elle est venue avec les courriers de l’école qu’elle n’a plus la force d’ouvrir, et ne sait pas à qui s’adresser pour l’aider. « Je n’arrive plus à dormir, souffle t-elle, il va passer en conseil de discipline. » Tour à tour, ces femmes qui ne la connaissaient pas une heure avant, lui apportent leurs conseils et tentent de la rassurer. « Toutes seules, on est trop fragiles », constate Josiane. Et parfois, l’espoir de pouvoir offrir un avenir meilleur à leurs enfants est bien ténu. Toutes s’accordent sur la nécessité d’organiser des rencontres avec des enseignants pour évoquer la scolarité, mieux comprendre les difficultés et leur trouver des solutions. Dans ce lieu, l’entraide et la solidarité ne sont pas que des mots, elles se vivent.

Peu de moyens, beaucoup d’« inventivité »

Si les idées et les envies ne manquent pas, l’association dispose en revanche de très faibles moyens financiers. A défaut de local, l’équipe investit ponctuellement le centre social ou la médiathèque en cas de pluie, et stocke le matériel dans un garage insalubre. « Le café des femmes est remis en question lors de chaque vacances scolaires car le centre social a besoin de ses locaux. Cela renvoie aux habitants de ces quartiers qu’il n’y a pas grand chose pour eux, seulement les miettes », soupire Josiane. Ne pouvant embaucher de manière pérenne, le turn-over dans l’équipe est fort [3]. Les autres énergies sont bénévoles. Josiane redoute de ne pas arriver à maintenir cette démarche dans la durée. Elle s’accroche cependant : « Avoir peu permet de développer l’ingéniosité, la créativité. C’est possible, si l’on appartient à un collectif. »

Cet usage collectif de l’espace public, tissé de solidarités, n’est pas propre à Saint-Étienne. Des initiatives similaires existent à Paris-Longjumeau avec l’association Intermèdes-Robinson, et dans le quartier de la Villeneuve à Grenoble, avec l’association Mme Ruetabaga (voir la vidéo de présentation ci-dessous). « Il est temps de multiplier ces initiatives, de construire des espaces de rencontre où l’on fait les choses ensemble », reprend Josiane. « C’est par le faire-ensemble qu’on retrouve le commun qui permet de se parler, de rétablir la confiance. »

Sophie Chapelle  »

 

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« Des ateliers de rue gratuits et à ciel ouvert à Saint-Étienne » Activ’Radio

« Zoom sur une initiative de quartier à Saint-Etienne : des ateliers de rue gratuits et en plein air. C’est ce que propose l’association Terrain d’Entente dans le quartier de Tarentaize.

Chaque mercredi et samedi après-midi, les bénévoles organisent de nombreuses activités dédiées aux jeunes de 2 à 17 ans. Théâtre, lecture, c’est l’occasion de donner à ces enfants souvent défavorisés le moyen de s’épanouir socialement. »

`Article d’ActivRadio sur Terrain d’Entente

 

 

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