Texte de reflexion

Des exemples concrets d’émancipation

Plusieurs actions pour augmenter la capacitation des jeunes et femmes habitants le quartier de Beaubrun-Tarentaize 

Notre démarche de pédagogie sociale part des besoins et envies des personnes du quartier et de la façon dont elles les formulent. Nous visons à créer les conditions pour permettre l’élaboration collective de réponses à ces besoins et envies, en redonnant la dignité, la légitimité et la force, pour que tous et toutes prennent en main la construction et le fonctionnement des projets décidés et s’impliquent dans les décisions.

Voici cinq exemples concrétisant cette démarche générale de notre association.           

1- Une cantine solidaire à Beaubrun: « le Terrain des saveurs »

Pour nous, l’Amicale, Vrac, Terrain d’Entente, tout a commencé autour des bacs de jardinages cultivés durant cet été de canicule de 2022 par l’Amicale.

En Septembre, un repas a été cuisiné collectivement à partir de cette récolte, et partagé ensemble. Ce qui nous a permis d’imaginer cette cantine à partir de nos expériences et nos constats.

L’Amicale fait un bilan positif des expériences de cuisine collective avec les habitants et de repas partagés autour d’événements interculturels. Elle s’inquiète du confort des étudiants du CFA qui se retrouvent dehors avec un sandwich,  quelque soit les intempéries, s’ils ne sont pas inscrits à la cantine de leur établissement.                                                                                                                                                                                                            Terrain d’Entente: Notre travail, avec le collectif solidarité alimentaire, autour de la question de l’alimentation de qualité accessible à tous, a permis des réalisations importantes:  la culture en plein champ, le maraîchage au Lycée Montravel, avec Coop Sol 42, ( soit 241 heures avec 21 personnes); notre implication dans la dynamique de VRAC (5 à 6 femmes assurent le temps de distribution chaque mois), l’expérience des paniers solidaires avec l’AMAP de Beaubrun (qui a concerné 13 familles sur un semestre).

Toutes ces actions nous ont aidé à identifier de manière toujours plus ajustée les besoins du quartier en matière d’alimentation. Les femmes qui se sont impliquées ont gagné en sentiment de légitimité, en confiance, et sont prêtes à s’investir sur d’autres projets, notamment ce projet de cantine solidaire de quartier.

« Ce projet de cantine correspond à un besoin sur le quartier. Beaucoup de personnes sont très pauvres autour de nous, elles se nourrissent avec les colis alimentaires, certaines sont sans famille, très seules. La cantine va nous permettre de nous retrouver autour d’une même table. »

 Une charte a été réalisée dans le cadre du café des femmes et soumise à la directrice du l’Amicale.

Nos objectifs :

Nous voulons une Cantine solidaire :

–  Pour des personnes en difficulté financière, seules, qui ne cuisinent pas un repas équilibré par jour. Tout en créant un cadre où chacun puisse se sentir « comme chez soi »

–  Pour des enfants qui n’ont pas pu être inscrits à la cantine scolaire. Pour apprendre à goûter à tous les aliments, dont les légumes

–  Pour les étudiants au CFA qui n’ont pas accès à la restauration scolaire.

 –  Un lieu de rencontre et d’échanges multiculturels, intergénérationnels

 –  « Une cuisine du monde » de façon à sortir des discriminations alimentaires.

 –  Lutter contre le gaspillage, avec la valorisation des surplus, des invendus : favoriser les commerçants du quartier.

 –  Développer une alimentation saine et locale. S’appuyer sur les partenariats construits avec l’AMAP de BEAUBRUN, VRAC, le Terroir.  Les produits de notre maraîchage collectif sont cuisinés, à l’occasion des cantines, depuis Septembre 2023.

–   Une reconnaissance des capacités d’organisation du travail des femmes, de leurs aptitudes professionnelles. Et faire de nouveaux apprentissages pour mener ce projet de cantine dans sa globalité.

 –   Un prix solidaire et conscient de façon à permettre l’accès de cet espace aux plus démunis. 

Pour évaluer la faisabilité, nous, les femmes de Terrain d’Entente, avons réalisé une période d’essai où nous avons privilégié l’ invitation des partenaires du quartier pour faire découvrir ce projet. Le bilan est très positif.

Nous avons pu réunir plusieurs partenaires des structures dont toutes ne se connaissaient pas!

Malgré les conditions de cuisine pas encore très favorables, nous avons été  en mesure d’assurer 25 repas. Aujourd’hui, nous pouvons accueillir jusqu’à 40 personnes!

Toutes les femmes qui se mobilisent pour que ce projet aboutisse, vivent avec des revenus insuffisants, beaucoup d’entre elles ont recours aux colis alimentaires de manière régulière. Elles acceptent malgré tout d’assurer gratuitement ce travail. Certaines apportent régulièrement de chez elles, des compléments au menu pour en enrichir la saveur et la diversité.

Toutes sont prêtes à poursuivre cet effort dans la durée, en espérant ainsi assurer un service aux habitants qui répond à des besoins identifiés. En espérant ainsi être reconnues, trouver leur place avec tous les autres acteurs du territoire.

Les 15 femmes impliquées dans cette cantine solidaire, ont pris en main tous les aspects du fonctionnement : la gestion des inscriptions, l’achat des dentées, la confection des repas, la gestion financière, les liens avec les différents acteurs du quartier. Sarah a suivi avec succès une formation pour maîtriser les normes HACCP et Terrain d’Entente a pu l’embaucher sur cette fonction de coordinatrice depuis octobre 2023.

Cette forte mobilisation contribue aux transformations indispensables pour vivre mieux tous ensemble dans notre quartier. Nous ne pouvons que saluer les capacités très grandes de ces femmes qui sont moteur dans des actions qui enrichissent notre quotidien.

Nous espérons pouvoir à terme rassembler chaque semaine, autour d’une même table, partenaires, habitants, cuisinières.  

Des temps de concertation sont prévus une fois par mois avec l’équipe des cuisinières. Nous avons pu prendre les décisions suivantes:

–  Les bénéfices réalisés permettent une gratification pour chaque cuisinière. Elle bénéficie de bons d’achat qu’elle peut dépenser au moment des distributions mensuelles de VRAC et choisir des produits de qualité. (La somme attribuée a été décidée collectivement.)

–  Nous avons constitué une association collégiale dédiée en Octobre 2023 appelée « Terrain des saveurs« . Ceci permet plus de clarté pour les adhésions de ceux qui fréquentent la cantine et d’avoir un compte en banque associatif.

–   Nous sommes impliquées dans le montage de la caisse sociale de l’alimentation, certaines participent aux Assemblées de cette caisse et transmettent au groupe les avancées pour avoir leur retour. Nous organisons les évènements qui rassemblent les collectifs, les individus, pour faire valoir et avancer ce projet stéphanois. Plusieurs repas ont été organisés en lien avec tout le collectif impliqué dans ce projet de caisse:  en janvier en partenariat avec la Fabuleuse Cantine, en Juin à l’Amicale de Tardy, en Octobre à la Ricamarie et le prochain fin Novembre au Salon Tatou Juste. Chaque fois 10 femmes sont concernées pour chacune 8 heures de travail + 3 heures de courses. 

Les heures de travail nécessaires à la tenue de la cantine                                                                                                                                                     Pour la coordinatrice: Elaboration du menu et des quantités à adapter, achat des denrées, recherche des invendus auprès de producteurs tels « Le Terroir”, organisation du travail: nombre de personnes nécessaires, répartition des tâches (préparation du repas, organisation de la salle, accueil, rangement, nettoyage), gestion des réservations, communication. (8h)                                                                                                                                              Le travail des cuisinières : 5 personnes pour cuisiner: 3h pour 5 personnes soit 15h. 2 personnes pour organiser la salle, accueillir les convives, expliquer le fonctionnement, nettoyer et ranger: 2h pour 2 personnes soit 4 h                                                                                                                            Soit 27 h pour chaque ouverture de cantine qui concerne 8 personnes (avec la coordinatrice). Nous avons ouvert cette cantine depuis Novembre 2022, à raison de 2 fois par mois ( une fois en Juillet et fermé en Aout). 23 ouvertures et 621 heures de travail. 15 femmes impliquées.

Nous avons réorganisé ces temps de cantine dans les locaux des Moyens du Bord,à compter de Novembre 2023. Début Janvier 2024, nous emménageons une cuisine mise à disposition par l’AGASEF qui souhaite entreprendre un partenariat avec Terrain d’entente et Terrain des saveurs

Pour le maraîchage, nous travaillons en partenariat avec Coop Sol 42, une association impliquée dans le montage de la caisse sociale de l’alimentation. Depuis Mars 2023, 21 personnes différentes ont participées aux différents chantiers: au lycée horticole de Montravel pour la culture des plantes, de la graine à la mise en terre et au ramassage; sur les terres prêtées par des paysans: culture de pommes de terre et oignons, de la plantation au ramassage. Soit 241 heures de travail réalisé.

Une partie des légumes est vendue dans une épicerie sociale, une autre sur des marchés éphémères, à prix libre et une autre est cuisinée dans la cantine solidaire.

Ces moments de maraichage sont l’occasion pour nous toutes d’échange sur le travail de la terre, les conditions de culture avec le changement climatique, sur les conditions de travail et de vie des paysans, sur la qualité de la nourriture. Toutes choses qui nous redonnent de la dignité nous permet de mettre en oeuvre et de développer nos capacités, de retrouver notre place dans le collectif.

 

2- L’atelier  couture: « le Terrain des créativités ».

Deux couturières, Zaïa et Souhila, ont pris ce projet en main à la rentrée de Septembre 2022. A chacune de leur démarche, elles en parlent au café des femmes et on se met d’accord ensemble. (Le café des femmes accueille chaque semaine 20 à 25 femmes, dont une quarantaine sont concernées tout au long de l’année, il permet que des projets collectifs aboutissent). Zaïa et Souhila ont cherché des machines à coudre de qualité, elles ont discuté les prix, et on a pu acquérir 3 machines pour démarrer ce projet. Elles ont fait connaissance avec « Pièce montée » pour acheter du tissus à un bon prix. C’est un magasin qui s’est ouvert sur notre quartier et qui vend tout ce qui est nécessaire pour la couture.

Elles ont  rencontré la directrice de l’Amicale de Beaubrun, qui a donné son accord pour nous héberger. Nous avons donc ouvert début Novembre 2022 cet atelier à raison de deux fois par semaine: le Lundi et le Jeudi de 14h à 16h.

Ces deux couturières sont responsables de l’atelier, et l’animent bénévolement. Dans notre quartier certaines personnes sortent très peu et sont très isolées. Nous souhaitons être ouvertes à toutes celles et ceux qui voudraient nous rejoindre. Nous souhaitons nous organiser entre nous et nous apprendre les unes les autres, développer et enrichir nos savoirs faire, devenir autonomes. Certaines savent coudre, d’autres faire du crochet, du tricot…Nous voulons faire reconnaître nos talents et notre créativité. Nos revenus sont très précaires, nous ne pouvons pas toujours acheter de quoi nous faire plaisir pour embellir nos appartements, changer de toilettes. Cet atelier couture rend possible certains de ces projets. Pour celles et ceux qui le souhaitent, pouvoir également apprendre les bases du métier de couturière qui faciliterait des possibilités d’insertion professionnelle.

Une autre couturière nous a rejoint en Janvier, elle est modéliste de métier. Nous espérons ainsi pouvoir réaliser de belles choses que nous pourrions vendre (Marcher de la création, Fête du 8 Mars, et d’autres événements avec l’Amicale) Nous sommes adhérentes de l’association VRAC et nous avons pu obtenir un petit espace pour vendre chaque mois, au moment de la distribution des commandes, ce que nous réalisons. Nous avons aussi participé à l’événement du 8 Mars sur la Place Roannelle.

L’une d’entre nous a créé un groupe watshap pour permettre les inscriptions, gérer la liste d’attente.  Elle communique au groupe les jours des ateliers. Nous avons demandé une adhésion de 5 euros pour l’année aux personnes intéressées ce qui nous a permis d’acheter un peu de tissus. Nous avons des temps de bilans réguliers, au café des femmes, pour améliorer notre accueil et notre mode d’organisation.

A l’occasion des événements du 8 Mars, nous avons organisé une journée porte ouverte le 13 Mars où des habitants nous ont rejoins. Plusieurs d’entre nous participent aux ateliers « parents ambassadeurs », animés par Florence Liotard qui transmet la proposition de nos ateliers dans les écoles du quartier. Nous avons été « victimes » de notre succès! Beaucoup de femmes souhaitent s’investir dans cet atelier. Nous étions trop nombreuses, avec seulement 3 machines à coudre, et nous avons dû réaliser une liste d’attente. Nous avons présenté notre projet au Fond de Participation des Habitants fin Mai 2023 pour nous permettre d’assurer l’achat de matériel supplémentaire et notamment des machines à coudre, pour ouvrir ces ateliers à plus de personnes, et offrir de bonnes conditions pour chacune et chacun. Nous avons été prise en compte dans cette demande. La somme accordée nous a permis l’achat de 6 machines supplémentaires et d’autres matériaux! Depuis la rentrée 2023, nous accueillons à chaque atelier 15 femmes. Nous imaginons développer d’autres activités en parallèle: l’apprentissage du crochet, du tricot, qui pourrait permettre à nos « anciennes » du quartier de nous transmettre leur savoir. Et devenir ainsi un atelier multi créatif !!!

Après avoir été  accueillies, à partir de Novembre 2023, à l’Amicale de Tardy, le Jeudi avec un atelier le matin et un autre l’après midi.  Nous emménageons  notre atelier en Janvier 2024, dans le local mis à disposition par l’AGASEF!

 

3 – Bilan du championnat FSGT, traditionnellement appelé foot entreprise.

Depuis 4 ans, une équipe composée de jeunes âgés de 14 ans à 20 ans évolue dans ce championnat tous les lundis de l’année quelque soient les conditions météorologiques.

L’année 2023 est la première année où le projet a été à son terme, nous n’avons eu à déplorer aucune sanction sur le comportement des membres de l’équipe.

Dès le début de cette année cette équipe a su s’auto organisée, et la présence de Ramzi n’a pas été centrale mais dans l’accompagnement, la ré assurance, l’encouragement . C’est un jeune adulte (partie prenante en tant qu’ado à Terrain d’Entente depuis plusieurs années) qui a choisit de prendre la présidence de cette équipe et qui a su assurer le rôle de coach et  a permis à chacun d’avoir une place précise au sein de l’équipe.

Tout ne fut pas simple chaque lundi mais, de façon progressive, en accordant du temps à la réflexion collective, chacun a pu s’engager à respecter les règles et les autres.

Depuis ces 4 années ce projet a concerné plus de 35 jeunes et c’est la première fois que le collectif n’est pas exclue avant la fin du championnat.

L’équipe a même fini première de sa poule lors de la première phase et elle évolue actuellement en division 1. Dans la pratique, nous avons pu noté pour beaucoup d’entre eux de considérables évolutions des comportements et d’échanges constructifs entre les membres des équipes rencontrées. Pour certains, ces relations se sont concrétisées par des échanges de CV entre les jeunes et les membres d’entreprises participant au championnat notamment avec Abeille: une compagnie d’assurances;  Coveris: une entreprise spécialisée dans le plastique; Renaud dans le commerce, ou en encore Décathlon dans le vente de sport. Certains travaillent actuellement dans ces entreprises.

Tout cela a commencé après une discussion en septembre entre les membres de l’association et les jeunes qui ont décidé  de se prendre en charge en prenant en main la responsabilité de ce projet et en payant eux même l’intégralité de la cotisation.

L’association à contribué financièrement au prêt de matériel et en assurant les déplacements.

Ce mode de fonctionnement a d’ailleurs été réinvestit sur d’autres projets tout au long de l’année, notamment avec les ados sur les projets autour des vacances. 

 

4 – Accompagnement de notre association par la Fabrique de la Transition

Terrain d’Entente est membre du CA de la Fabrique de la Transition qui rassemble actuellement 15 structures qui construisent des démarches alternatives sur le bassin stéphanois. Nous souhaitons tous ensemble contribuer à faire de notre territoire, un territoire résilient face aux impacts du dérèglement climatique et à l’érosion des liens de solidarité. Nous tentons de changer les modes de production, de décision, de consommation. Nous développons la mutualisation des expertises  et ressources. Nous tentons de générer la coopération entre nos membres avec de nouveaux projets, pour hybrider les réseaux existants, de façon à ce qu’ils se transforment en s’ouvrant à d’autres réalités, d’autres expertises. Nous tentons de faciliter l’émergence de nouveaux acteurs pour renforcer l’écosystème. 

L’objectif de cet accompagnement est de permettre à chacun des membres de Terrain d’Entente (salariés, habitant-es impliqué-es, membres du bureau) de s’approprier le projet associatif, les enjeux économiques, et la compréhension globale du fonctionnement actuel, et de chercher les modalités pour prendre les décisions tous ensemble de façon à ce que chacun-e se sente légitime pour faire des propositions…. Le co développement sera la base de ce travail : des groupes de « pairs » (notamment de femmes du quartier, d’ados) , accompagnés par une personne garante du cadre, vont essayer d’exposer et résoudre les situations/problématiques de celles et ceux qui le composent.

Après une phase de diagnostic (avec l’équipe salariée, les habitantes investies dans le COPIL, les membres du bureau), durant l’été, un besoin nouveau a été identifié: la nécessité de réaliser une plaquette de communication interne (pour les membres de l’association, ceux qui nous rejoindront) et externe (pour nos partenaires financiers et techniques, les élus)

 

Nous avons partagé un premier atelier en Octobre pour récolter des éléments pour assurer son contenu. Nous étions 15 ( les 3 salariés, les 3 membres du bureau, 10 femmes impliquées). Après l’AG du 27 novembre, à laquelle participeront Thomas et Alice de la Fabrique, nous travaillerons la suite de cet accompagnement au sein des différents « espaces » de Terrain d’entente. (café des ados, café des femmes, Copil).

 

Voici la restitution des réflexions lors de ce travail collectif : 

Les méthodes de Terrain d’entente: La pédagogie sociale.

On part de ce que veulent les gens. On décide ensemble et collectivement.  Apprendre ensemble.

La Co-éducation : nous prenons toutes et tous part à l’éducation des enfants et des jeunes

On fait ce qui ne se fait pas ailleurs, relayant les institutions là où elles sont absentes.

Faire avec, et aller vers. Être dehors, avec ceux qui ne poussent pas les portes

Entraide, Coopération, Auto-organisation 

Les valeurs de Terrain d’entente

L’accueil y est inconditionnel : quand on veut, quand on peut, on y participe à la hauteur de ses moyens.

C’est ouvert à tout le monde et particulièrement à celles et ceux qui n’ont pas de place ailleurs.

C’est un lieu d’émancipation. Le partage est au centre : partage d’idée, de café et de gâteaux, de travail, d’informations.

Une association qui  rassemble des personnes des quatre coins du monde.

Le soutien et l’apprentissage mutuel : tout le monde a quelque chose à apporter 

Les actions de l’association :

On associe, prend en charge, accompagne les enfants, les jeunes les adultes  en détresse

Le soutien scolaire, l’aide au devoir. Le café des ados. Le café des femmes,

Des vacances pour toutes et tous !

L’atelier couture – rendre le monde plus beau.

La cantine solidaire : un moment où manger ensemble par et pour le quartier !

Du maraîchage pour faire pousser nos légumes et découvrir le quotidien des paysan.nes

Des paniers solidaires, pour manger de bonnes choses accessibles

Ce que permet notre association :

On anime le quartier… Et on en sort !

On fait évoluer les choses, on agit sur ce avec quoi on n’est pas d’accord

Prendre de la hauteur sur le quotidien. Réfléchir ensemble. Dénouer les problèmes, trouver des solutions

C’est une bulle de sécurité. On sort de l’isolement. Soit et les autres !

On y est fière de ce qu’on sait faire, C’est un lieu où se redonner de l’espoir, allumer des étoiles,

On y fait l’impossible. On y trouve du courage, de la force pour continuer

Se défouler, se libérer, trouver du bonheur. Être bien ensemble et construire cet « ensemble ».

Révéler la force des femmes migrantes 

 

5 – Eté 2023, le projet « Plongée » 

Comment est né ce projet, à partir de quels constats ? 

L’espace Alfred Sisley à Montchovet (St-ETIENNE) et l’association Terrain d’entente à  Tarentaize( St-ETIENNE) sont des structures aux couleurs sportives, culturelles et citoyennes qui construisent avec les jeunes une large palette d’activités durant l’année et notamment lors des vacances scolaires.

Au début de l’année 2022, nous avons constaté qu’il existait un lien étroit entre les jeunes adhérents de ces deux structures, qu’ils se fréquentaient et qu’ils étaient nombreux à être scolarisés dans les mêmes établissements.

Ils nous ont fait remonter leur envie de créer une action commune.

Nous avons organisé un séjour en bivouac, lors de la période estivale de l’année 2022, qui a en partie été financé par LJS.

Suite au succès de ce premier séjour, l’idée d’organiser un nouveau projet a émergé dans notre espace d’échange privilégié, le Café des ados. Cette fois-ci, la thématique retenue a été la plongée sous-marine. Le choix s’est porté sur Bormes-les-Mimosas, une région propice à la découverte de la faune et de la flore sous-marine. Ce séjour pouvait offrir une occasion unique à 10 jeunes issus des deux structures de vivre ensemble une nouvelle expérience de construction d’un projet et d’un partage du vivre ensemble.

Le séjour a été organisé dans un gîte en gestion libre, créant ainsi un environnement convivial et chaleureux favorisant les échanges et le renforcement des liens entre les jeunes. La plongée sous-marine a constitué l’activité centrale de ce séjour, permettant aux participants de découvrir la beauté et la diversité des fonds marins de la région. En s’initiant à cette activité, les jeunes ont eu également l’opportunité de développer des compétences d’équipe, de communication et d’autonomie. Ils sont impliqués dans la préparation des repas et l’organisation des activités, ce qui a favorisé leur responsabilisation et leur prise d’initiative.

De plus, nous avons constaté chez ces jeunes une forte addiction aux écrans et notamment au téléphone portable. Un des objectifs sous-jacents de ce projet était d’encourager les jeunes à décrocher de leurs téléphones et à s’engager activement dans des activités en dehors du monde virtuel.

Nous souhaitions créer des expériences réelles et immersives qui captivent l’attention des jeunes et les éloignent de leurs écrans. Ces activités physiques et interactives offrent une alternative stimulante aux divertissements virtuels et encouragent les jeunes à se re-connecter avec leur environnement, avec les autres participants et avec eux-mêmes.

En résumé, ce projet est né de la volonté des jeunes adhérents de l’Espace Alfred Sisley et de Terrain d’entente de collaborer et de réaliser une action commune. Les séjours en bivouac précédents ont renforcé leur motivation et ont permis de constater les bénéfices de ces expériences partagées. Le séjour sur la thématique de la plongée sous-marine à Bormes-les-Mimosas constituait une étape supplémentaire dans cette démarche, offrant aux jeunes l’opportunité de découvrir de nouvelles perspectives, de renforcer leur esprit d’équipe et leur autonomie, et de créer des souvenirs durables.

Objectifs du projet ?

Voici les 4 objectifs principaux du séjour :

  • Découvrir et explorer un environnement naturel différent de celui auquel les jeunes sont habitués : La plongée sous-marine permet de découvrir un monde sous-marin fascinant et méconnu, offrant ainsi aux jeunes l’occasion d’élargir leur horizon et de développer leur curiosité.
  • Favoriser la confiance en soi et l’autonomie : La pratique de la plongée sous-marine peut être intimidante pour les jeunes. Cependant, en surmontant leurs peurs et en développant leur maîtrise de la technique, les jeunes peuvent renforcer leur confiance en eux et leur capacité à prendre des initiatives et à agir en autonomie.
  • Renforcer l’esprit d’équipe et la solidarité : La plongée sous-marine est une activité qui se pratique en binôme ou en groupe, ce qui nécessite une communication claire et efficace, ainsi qu’un esprit de coopération. Les jeunes sont ainsi amenés à renforcer leur cohésion et leur solidarité en travaillant ensemble pour atteindre leurs objectifs. De plus, dans la vie quotidienne, les jeunes vont devoir faire preuve d’entraide afin d’accomplir les différentes tâches incontournables de la vie en groupe (ex: ménage, repas, vaisselle…)
  • Sensibiliser à la protection de l’environnement : La plongée sous-marine permet de prendre conscience de la fragilité de l’environnement marin et des enjeux liés à sa préservation. Les jeunes peuvent ainsi être sensibilisés aux gestes éco-responsables et à l’importance de préserver la biodiversité.

Description du projet :  

Ce projet a réellement débuté en 2023 lors d’une nouvelle réunion de concertation entre les jeunes de nos deux structures. Nous avons organisé 6 rencontres avant de partir en séjour :

  • Séance Baptême de plongée en février 2023 avec le CLUB DE PLONGEE DE ST ETIENNE
  • Séance recherche d’un lieu de séjour en février 2023
  • Séance débats sur la faune et la flore en mars 2023
  • Séance préparation du séjour en avril 2023
  • Réunion avec les familles en mai 2023
  • Séance préparation du séjour en juin 2023

Le séjour a eu lieu du 05/07/2023 au 09/07/2023. L’intégralité des jeunes ont obtenu leur diplôme de plongée et ont donc pu plonger à 15 mètres de profondeur.

Les activités prévues étaient:

  • VTT sur l’île de Porquerolles
  • Sortie plage
  • Visite de Saint-Tropez et de Bormes les Mimosas
  • Plongée sous-marine
  • Randonnée

Cette idée de séjour n’était qu’un outil quant à la transmission de valeurs. Le projet visait à susciter chez les jeunes, une prise de conscience sur l’importance et l’impact que peut avoir la nature et la plongée sous marine sur la personnalité de chacun.  

Le public :

  • Les groupes de jeunes étaient constitués de 4 garçons et 6 filles issus des quartiers stéphanois de Montchovet et de Tarentaize.
  • Des jeunes entre 16 et 19 ans en recherche d’autonomie et de construction vis-à-vis de l’adulte, la plupart encore dans un cursus scolaire, cependant, certains déscolarisés et sans situation professionnel.

Méthode d’évaluation et indicateurs choisis au regard des objectifs poursuivis ?

  • L’analyse des difficultés des jeunes est essentielle quant à l’évaluation du déroulement du projet. Le degré d’implication et les retours des jeunes sont des facteurs importants à prendre en compte pour évaluer le projet.
  • De plus, des objectifs plus opérationnels ont été fixés et un « grand bilan » a été fait lors d’une réunion partenariale entre les deux structures.

Quelques éléments de notre évaluation

  • Quels bénéfices pour le public (Plus-value éducative, mixité, Implication…)

La création d’une dynamique de groupe extraordinaire (entraide, solidarité et bienveillance) et une expérience de vie émancipatrice  liée à la plongée sous-marine (dépassement de soi, autonomie). Certain(e)s jeunes, ne savaient pas nager et ont pourtant réussi à aller au-delà de leurs limites en descendant à plus de 15 mètres de profondeurs. La plongée sous-marine est une activité réellement émancipatrice, les sessions ont permis aux jeunes de renforcer leur confiance en eux. 

  • Quels effets a produit ce partenariat ?

Le partenariat est toujours important pour nos deux structures car il nous permet d’avoir un regard complémentaire et neutre sur les jeunes que nous accompagnons au quotidien. De plus, cela permet aux jeunes d’obtenir une opportunité d’accompagnement individuel ci-besoin et d’échanger avec d’autres personnes. Ensuite, le groupe de Terrain d’Entente était composé principalement de garçons, contrairement au groupe de Sisley qui lui, était composé uniquement de filles, ce séjour inter-centre était aussi une occasion pour créer des expériences de mixité chez nos jeunes. 

  • Quelle(s) perspective(s)?

Nous aimerions d’ores et déjà construire un nouveau projet l’année prochaine, une nouvelle fois sur le thème de la nature.

 

 

Publié par Terrain D'entente dans Chanson, Texte de reflexion, 0 commentaire

Une démarche de pédagogie sociale par le « dehors »

Article publié dans les cahiers de l’action

« Terrain d’Entente nous aide à trouver notre place dans cette société qui ne veut pas de nous »

Depuis une dizaine d’années, l’association Terrain d’entente développe des activités à destination des enfants, des jeunes et des adultes, sur un terrain de jeu situé au cœur du quartier populaire de Tarentaize à Saint-Étienne (Loire). Ces activités s’inscrivent dans une démarche de pédagogie sociale qui implique une pratique et une posture d’accompagnement spécifiques. En cherchant à s’inscrire dans une présence régulière sur l’espace public à travers un accueil libre, inconditionnel et gratuit, l’association ancre également son action dans la perspective de développer une « éducation globale » à vocation émancipatrice.

Depuis 2011, notre association est présente dans le quartier de Tarentaize à Saint-étienne, où vivent un peu plus de 7 000 habitants et au sein duquel le taux de pauvreté s’élève à près de 48%1. Cette année là, des enfants nous avaient rejoint au cours de permanences administratives qui s’adressaient à des personnes nouvellement arrivées en France. Nous étions alors une poignée de militants (des travailleurs sociaux ou issus d’organisations politiques et syndicales) souhaitant contribuer à ce droit de tous de pouvoir circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État.

Nous avons tenté de répondre à cette demande en développant des ateliers de rue, aux pieds de leurs immeubles. Nous avons apporté quelques jeux d’extérieurs et nous avons rejoint les samedis après-midi des adolescents qui jouaient régulièrement au foot sur un petit terrain aménagé. En l’espace de quelques semaines, nous avons trouvé notre place. Les « habitués » nous attendaient et d’autres enfants d’ages différents nous rejoignaient. Des adultes sont également venus à notre rencontre en s’interrogeant sur la raison de notre présence et, comprenant qu’elle serait régulière, se sont réjouis de pouvoir désormais laisser leurs enfants sortir en toute sécurité.

Peu à peu, des mères nous ont rejoint avec leurs enfants en bas âge. Nous avons pu ainsi construire une communauté éducative avec différents adultes pour veiller sur les enfants présents avec un temps de présence régulier. Même jour, même lieu, même heure, tout au long de l’année, par tous les temps. Nous n’avons pas d’intention particulière sur ce qui devrait se développer. Nous accordons une grande attention à ce qui se manifeste, nous prenons le relais des parents qui nous confient leurs enfants, nous développons des activités à partir des envies, des préoccupations des enfants, des jeunes, des adultes.

Nous nous adressons à ceux qu’on ne voit nulle part dans les réseaux militants, ceux qui ne poussent plus les portes des structures sensées accueillir tout le monde, avec lesquels on ne fait pas société. De ce fait, leurs difficultés, leurs aspirations ne sont pas prises en compte.

Un terrain de jeu au cœur des activités de l’association

Les actions de l’association se déploient plus particulièrement sur le terrain de jeu situé au cœur du quartier, deux après-midi par semaine. D’autres rendez vous se sont construits au fil des années. À ce jour, nous sommes présents tout au long de la semaine.

Avec les enfants et les collégiens, nous partageons les ateliers de rue, des temps de soutien scolaire, nous encourageons l’accès aux activités sportives en club, à la culture, aux sciences, aux vacances. Un conseil des enfants est également organisé sur le temps des ateliers de rue, lorsqu’il est de prendre un décision collective (projets, sorties, vacances, conflits à régler, etc.).

Avec les jeunes, nous proposons un « café des ados » chaque semaine. On joue, on discute, on élabore des projets. Ce temps est l’occasion de prendre en compte les difficultés manifestées par ces jeunes et d’assurer des accompagnements indispensables pour régler avec eux leurs problèmes (recherche de stage, de formation, réorientation scolaire, réalisation de CV et de lettre de motivation, les infractions, les procès). Certains arrivent à s’organiser pour des demandes de financement en vue de partir en vacances.

Avec les femmes, chaque semaine, nous organisons un « café des femmes » ouvert à toutes. Le café prend la forme d’un temps de rencontres co-construit avec toutes celles qui y participent. Il est propice aux échanges d’informations, aux prises de décisions, aux confrontations d’opinions. Les informations qui circulent entre toutes permettent de nous adapter au mieux aux réalités et favorisent des prises d’initiatives.

Nous contribuons en outre à l’organisation d’activités diverses impliquant plus largement les habitants : tournois de foot intercommunaux, sorties vélo, participation sur le terrain à l’organisation des matchs de foot multi-âge, constitués d’équipes mixtes.

L’accueil se veut libre, inconditionnel et gratuit, pour l’ensemble des activités que nous proposons. Nous limitons ainsi les contraintes d’inscription et/ou d’adhésion. Il n’y a pas d’enjeu sur le fait de venir régulièrement ou non. Chacun nous rejoint quand c’est possible et utile pour lui. Nous sommes en revanche très impliqués dans notre relation auprès des familles que nous rencontrons. Nous n’hésitons pas à aller frapper aux portes afin d’insister pour que les enfants qui nous en font la demande puissent participer aux activités, pour prendre des nouvelles, pour tenter de régler un conflit qui risque de tendre les relations de voisinage. Nous nous efforçons, chaque fois que nous sommes présents, de créer un climat de sécurité et de bien être avec tous.

Lors des temps de soutien scolaire, nous sommes présents chaque semaine sur trois périodes de 2 heures. Sur un cahier, nous inscrivons les coordonnées des parents et leur nom, les enfants nous rejoignent quand cela leur est utile. Nous n’hésitons pas, néanmoins, à tenter un pas supplémentaire lorsque nous connaissons l’enfant et ses difficultés. Nous sommes prêts à le rejoindre là où il se trouve, y compris, le plus souvent, dans la rue. Chaque fois que possible nous l’encourageons à aller chercher avec lui le cartable à la maison, ce qui constitue une occasion de prendre des nouvelles de la famille. Nous consacrons le temps nécessaire à l’échange sur son ressenti par rapport à l’école, les éventuels sentiments d’injustice, de rejet, les inquiétudes quant aux résultats scolaires, mais aussi à la compréhension des exercices, aux recherches, à le rassurer sur les difficultés, à encourager les progrès.

Notre présence dans la durée, notre relation de proximité, contribuent à construire un lien de confiance et de reconnaissance réciproque avec les habitants qui participent à nos activités. Ce lien permet de nous engager dans des actions qui reposent sur des besoins réels, des aspirations manifestées. Nous cheminons ainsi avec les personnes concernées, en lien avec d’autres collectifs.

Ces actions permettent de prendre en compte des demandes plus spécifiques et de mieux appréhender la réalité particulière de chacun pour pouvoir y répondre de manière adaptée. Notre travail opère selon une logique d’aller-retour permanent entre le collectif et la personne. Le collectif permettant à chacun de retrouver l’énergie, l’envie, le sens de sortir de chez soi et de s’impliquer avec d’autres pour régler des problèmes concrets. Et chaque personne a besoin de réaliser des démarches pour trouver des issues favorables à sa propre situation.

L’inscription dans une démarche de pédagogie sociale : une aspiration politique

La présence sur l’espace public – le « dehors », que nous envisageons comme le lieu de tous – est au fondement de notre activité associative. Elle nous permet de déceler les modes de relations et des échanges, ainsi que les manques et les possibles de ceux qui vivent sur le territoire, à travers le partage de leurs préoccupations, de leurs aspirations et de ce qu’ils souhaitent faire avec nous. Il s’agit de construire une relation horizontale et égalitaire avec les habitants, en allant à leur rencontre et en faisant le premier pas.

Ce faisant, nous nous inscrivons et nous développons une démarche qui reste aujourd’hui – à notre sens – peu encouragée par les institutions du travail social. Celles-ci tendent à rester dans une logique surplombante, de conseil et d’orientation vis-à-vis des personnes traversant des difficultés multiples. Au risque de créer distance et méconnaissance réciproque.

Se revendiquer de la pédagogie sociale c’est affirmer la volonté de faire société tous ensemble, et que chacun puisse avoir les mêmes possibilités à décider de son devenir, à réaliser des projets en fonction de ses aspirations. C’est avoir un regard critique sur l’évolution des rapports de domination, d’écrasement d’une partie croissante de nos concitoyens qui deviennent ainsi toujours plus vulnérables.

Nous avons la conviction que pour construire une société, vivante, humaine, il faut prendre acte de la diversité, de la complexité, de l’interdépendance. Personne ne se construit tout seul, personne ne réussit seul quoi que ce soit. On se construit à partir du tissu social qui nous porte, nous encourage, nous reconnaît. Nous reconnaissons la vulnérabilité comme constituante de notre nature humaine, qui permet à chacun de pouvoir compter sur les autres et de compter pour les autres. Et de sortir de cette tension insupportable d’avoir à prouver qu’on est le meilleur, en cherchant à correspondre à ce qui est définit comme l’excellence.

Un pédagogue social est prêt à risquer de vivre des situations inconfortables, à prendre tout le temps nécessaire pour traverser les difficultés, pour que quelque chose de meilleur advienne. Parce que ce combat, ces tâtonnements, ces pas dans le vide, enrichissent nos existences à tous. Nous nous laissons habiter par les peines et les joies qui nous donnent une réelle détermination à nous engager pour changer la vie.

Une consolidation incertaine de la démarche

Malgré nos onze années d’expérience, nos perspectives de pérennisation de notre démarche restent encore, à bien des égards, incertaine. Nos relations avec les institutions intervenant au titre de la politique de la ville demeurent difficiles et nous n’accédons pas, à ce jour, aux financements proposés dans ce cadre. Nous ne disposons pas, non plus, de local en propre. Nos réunions d’équipes bi-hebdomadaires et les différentes actions qui nous organisons (soutien scolaire, café des femmes, café des ados, etc.) se déroulent actuellement dans une salle de réunion mise à disposition par le Conseil départemental des associations familiales laïques (CDAFAL) de la Loire. Cette situation accentue nos difficultés à être pris en compte comme des partenaires légitimes pour les différentes structures du quartier telles que l’Amicale, le centre social ou encore l’équipe d’éducateurs de prévention. Et nous défendons une posture qui ne fait pas consensus.

Au fil de ces 11 années, nos équipes n’ont pas cessées de se renouveler. Nos moyens financiers relativement limités nous ont obligés à développer des emplois précaires. Les rémunérations insuffisantes que nous pouvons proposer n’incitent pas, en effet, les salariés à s’inscrire dans la durée. Les jeunes recrutés dans le cadre du service civique ne sont pas toujours suffisamment qualifiés pour assurer une posture éducative étayante. Des jeunes en formation dans le champ du travail social réalisent des stages sur quelques mois seulement. Des adultes bénévoles nous rejoignent pour participer à certaines de nos activités, et viennent parfois de manière ponctuelle. Toutes ces personnes qui se succèdent ne connaissent pas forcément le fondement de notre démarche.

Il nous est dès lors indispensable de réaliser tout au long de l’année des temps de formation et d’analyse de nos pratiques auprès des équipes de l’association mais aussi des bénévoles. Avant chaque période de vacances scolaires, nous proposons une matinée pour réfléchir à notre pratique. En fonction de notre actualité (besoin d’un bilan des temps de soutien scolaire, besoin de s’approprier le concept de « pédagogie sociale », besoin de partager nos conceptions éducatives, etc.), nous nous retrouvons autour d’un texte, d’une expérience vécue, et nous tentons ensemble d’en tirer des enseignements. Ce temps constituent autant de points d’appui à notre collectif, tout en renforçant le sentiment d’appartenance.

Développer une perspective d’ « éducation globale »

Cette dynamique collective permet de développer des savoirs et des savoirs-faire. Mais cette expérience émancipatrice ne transforme pas fondamentalement le quotidien des familles. Elle trouve ses limites face aux causes des difficultés rencontrées par les habitants, résultant elles-mêmes de dynamiques et d’orientations politiques plus larges : chômage de masse, remise en cause des services publics, difficulté d’accès aux droits fondamentaux, cloisonnement des espaces sociaux, etc. Nous souhaitons ainsi que notre action contribue à ce que ces inégalités d’accès aux droits soient posées à l’ensemble de la société.

Cela nous amène à être à l’initiative de collectifs investis sur une diversité d’enjeux – notamment concernant l’accès aux vacances, l’accès à une alimentation de qualité, le travail des femmes de ménages, etc. – et, plus particulièrement, sur l’enjeu de la continuité éducative. Celui-ci renvoie à l’idée que nous sommes collectivement responsables de l’éducation et de la protection des enfants et des jeunes.

Lors du confinement du printemps 2020, nous avons poursuivi le travail que nous avons engagé avec des enseignants – inscrit dans l’approche pédagogique de Célestin Freinet – et des acteurs de l’éducation populaire sur la co-éducation, sous la forme de conférences téléphoniques. Nos échanges portaient notamment sur les difficultés engendrées par la mise en place l’enseignement à distance (également dénommée « continuité pédagogique ») tant vis-à-vis des jeunes et de leurs familles que vis-à-vis des enseignants. La difficulté de coordination et le cloisonnement entre les différents acteurs de l’éducation ont également été évoqués lors de nos échanges. Ces échanges nous ont de surcroît permis d’identifier certains besoins et d’organiser à notre échelle des actions de solidarités durant cette période, en réponse aux difficultés matérielles rencontrées (achats d’ordinateurs, photocopies de documents, « présence » téléphonique avec les plus en difficultés, etc.).

Face à cette situation, une véritable « continuité éducative » aurait permis de mobiliser de manière mieux coordonnée les différents acteurs éducatifs.  Leur connaissance et leur lien avec les familles auraient pu donner des indicateurs en vue d’apporter un soutien adapté. Tous ces constats confirment le caractère indispensable à mettre en place des espaces de co-éducation sur les territoires, tous les temps de vie de l’enfant pouvant en effet contribuer à construire des opportunités d’apprentissage, de coopération, de mutualisation et d’entraide.

Afin de répondre à ces enjeux, la création d’un « labo de co-éducation » a été proposée à la rentrée 2021, avec la contribution de Frédéric Jésu, ancien pédopsychiatre de service public impliqué dans le champ des politiques sociales, familiales et éducatives et de Catherine Hurtig Delattre, enseignante investie sur ces enjeux. En s’appuyant sur une méthodologie d’élaboration de projets impliquant l’ensemble des acteurs intervenant dans la vie de l’enfant, des groupes de pires seront mise en place en vue de partager des réflexions et de renforcer la coordination.

Pour les acteurs de la pédagogie sociale, le but de l’éducation est de former un être apte à se gouverner lui-même. Nous devons pour cela unir toutes les compétences en vue d’y contribuer. Il s’agit, à notre sens, non pas de programmer l’égalité des chances mais de lutter pour l’égalité du droit pour tous à l’éducation.

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Les jeunes en galère et la pédagogie sociale

Depuis bientôt dix ans, Terrain d’Entente est présent sur l’espace public, au pied des immeubles. Nous avons d’abord rencontré des collégiens, puis des familles nous ont rejoint avec des enfants de tous les âges. Depuis trois ans, nous avons construit une relation avec les « jeunes du quartier ». Il nous a fallu tout ce temps pour créer un lien suffisamment solide pour mieux cerner leur comportement et surtout leurs difficultés, autant dire, leurs « galères ». Ce qui va être décrit est issu des réflexions et analyses de Ramzi, un pédagogue social engagé au sein de notre association depuis 4 ans. Dans cette description, nous sommes centrés sur les jeunes les plus en difficulté, notamment les garçons qui ont entre 16 et 20 ans.

Ramzi a su mobiliser énormément d’aptitudes pour savoir ainsi cheminer auprès de ces jeunes en souffrance. Pour gagner leur confiance, il lui a fallu rester impliqué et  loyal, il lui a fallu développer sans cesse sa capacité à s’adapter en faisant toujours le premier pas, à se remettre en question, à ne jamais céder à la tentation de juger. Il est porté par un objectif auquel il reste fidèle: construire un lien suffisamment fiable et solide pour que ces jeunes puissent trouver un appui pour se construire. Il est ainsi profondément ancré dans l’héritage de la pédagogie sociale que Paolo Freire nommait ainsi: « L’éducateur ne doit pas perdre sa capacité à s’indigner, il ne peut pas être neutre face aux injustices. Il doit entretenir l’espoir de pouvoir surmonter cet ordre injuste et d’imaginer des utopies réalisables« .

La posture de  certains membres de la communauté éducative

Grand nombre de sociologues qui étudient les phénomènes de délinquance s’accordent sur le même constat: l’approche préventive, éducative et sociale de la protection de l’enfance est passée sous silence dans les discours dominants au profit de l’accent mis sur son aspect judiciaire et sur la répression.

De façon générale, la relation « éducative » à l’enfant et au jeune de « quartier » est basée sur des rapports de domination. Les responsables d’établissement,  les policiers et bien d’autres adultes auxquels ils sont confrontés au quotidien, adoptent une posture très semblable. Dans la majeure partie des situations, face à ces mineurs l’adulte est celui qui sait! Il tient une posture haute dans cette relation. Il s’adresse à lui en endossant le rôle qu’il estime avoir à jouer. Confondant ainsi son devoir de protection, il s’arroge un droit de correction. Si l’enfant n’agit pas, ne pense pas, n’obtempère pas en fonction des attendus de l’adulte, il reçoit toute sorte de messages dévalorisants, disqualifiants, et bien souvent des sanctions. Il est renvoyé de manière systématique à sa position d’inférieur.

N’ayant pas le même langage que ces adultes, ces enfants restent victimes impuissantes de la façon dont la relation leur est imposée.

Ils sont considérés comme des « merdeux » et on les amène ainsi à se comporter comme tel. Ils se retrouvent emprisonnés dans une spirale où ils ne peuvent plus que réagir et non pas agir. Ces enfants et ces jeunes sont victimes de violences affectives, une violence invisible avec tout son cortège d’expériences de mépris, d’humiliation et d’échecs. Ils deviennent au fil du temps, hyper sensibles et hyper réactifs aux injustices qu’ils subissent.

Ca peut passer pas des petits rien presque insignifiants: un enfant demande des renseignements, et il lui est alors répondu: « comment tu t’exprimes? » « Tu dis d’abord bonjour! »… Avec cette double peine où il lui est reproché d’être dans la réactivité alors qu’il subit lui même, tout au long des journées, la réactivité des adultes.

L’impact de ces attitudes peut être dévastateur

Des petits rien cumulés jusqu’aux injustices avérées et ces enfants et ces jeunes plongent peu à peu dans la résignation. Cette façon de s’abandonner à son  propre sort, quand on n’a plus de fierté d’être soi même. Quand on n’ose plus faire les choses, parce qu’on a honte, et qu’on rentre dans cette spirale, où on « ose » de moins en moins…. C’est tout simplement et cruellement une perte de l’élan de vie. Nous connaissons son échéance ultime et nous là redoutons: la consommation de shit, puis de toutes sortes de stupéfiants.

Nous sommes face à des jeunes avec leur histoire d’abandon, leur vécu d’humiliation.

Nous en connaissons plusieurs qui vivent sous l’emprise des drogues, et sous l’emprise d’adultes encore plus malveillants. Ils deviennent alors victimes d’une forme de prostitution,  ivres d’alcool et de drogues, rémunérés pour leur participation au deal avec des doses de shit. Ils sont peu à peu vidés de leur volonté et de leur conscience. Les narcotiques provoquent des blocages neuro-psychiques qui empêchent  de rester suffisamment conscient de ses actes et de son comportement.

Les lieux où ces drames se perpétuent sont très identifiables. On retrouve ces jeunes dans des espaces où les habitants ne sont pas intégrés sur le territoire, des espaces qui concentrent la misère avec des  adultes qui n’ont aucuns moyens de réagir. Ces jeunes se retrouvent ainsi sans protection. Les actes d’incivilité, les actes de délinquance qui peuvent avoir de graves répercutions s’enchaînent et se multiplient. Les casiers judiciaires sont fréquents. Ces jeunes en viennent à perdre toutes leurs attaches. Parce que c’est trop dur d’être face à ce désastre qui s’enchaîne: ils finissent par capituler.

 

Privilégier l’approche préventive, éducative et sociale

A Terrain d’Entente, nous sommes particulièrement attachés à l’acte d’éduquer. L’éducation est une condition du développement humain, du développement social, du savoir vivre et agir ensemble. Nous nous efforçons de contribuer à la construction de ces enfants et ces jeunes, parce que nous sommes convaincus que tout enfant est censé réussir. La condition pour qu’il puisse y parvenir est qu’il puisse bénéficier d’une présence bienveillante et d’encouragements permanents.

Pour nous, le concept d’éducation rime avec protection et prévention mais aussi avec participation et émancipation.

« C’est parce qu’elle constitue un projet de développement, d’émancipation et de perfectionnement des individus et des groupes, pas seulement d’intégration passive à leur milieu, que l’éducation est un des principaux fondements des sociétés. (….) L’éducation  ne se résume pas à transmettre des connaissances, des normes et à inculquer le sens de leur respect, elle munit aussi les individus des capacités de les critiquer et de contribuer s’il y a lieu à les transformer« . (Frédéric Jésu  » Co éduquer. Pour un développement social durable »)

Nous nous revendiquons de cette éducation qui vise à développer les potentialités intrinsèques à chacun, qui lui ont d’ailleurs été  conférées en premier par son milieu d’origine.

 

« On développe un tel lien qu’ils n’ont pas peur de demander« . (sic )

Nous tentons effectivement de développer du lien, et notre première intention est de faire toujours le premier pas, de rester présent et attentif, de ne pas juger. Nos efforts sont centrés sur la construction de la qualité de ce lien. Avec la volonté de construire une relation de personne à personne, une relation qui soit la plus horizontale possible. Une relation où nous sommes suffisamment proches et impliqués pour considérer chaque enfant comme si c’était notre propre enfant, pour lequel on veut le meilleur, pour lequel on est prêt à aller jusqu’au bout. Prêt à se battre à ses côtés, prêt à ne jamais lâcher sa main pour qu’il puisse avancer, prêt à lui rester toujours fidèle, prêt à croire en lui encore et encore, prêt à tenter l’impossible pour le remettre debout.

Nous estimons que nous sommes collectivement responsables de l’éducation et de la protection de tous les enfants et de tous les jeunes. Nous exerçons ainsi, une démarche de  communauté éducative de manière effective, dans le quotidien.

La posture dans laquelle nous sommes engagés

« Et si au lieu de leur apprendre à parler, nous apprenions à nous taire? » (Fernand Deligny)

Etre adulte face à des enfants et des jeunes en détresse demande beaucoup de rigueur, et des efforts constants. Il est primordial et ceci requiert toute notre attention, de nous extraire de notre égocentrisme. Car dans toute relation que nous investissons dans la durée, ce qui nous mobilise en premier lieu, notre penchant naturel, c’est la satisfaction personnelle que nous en retirons. Nous avons tellement besoin de nous sentir gratifiés et valorisés! Il est très rare en fait que nous soyons  tournés vers une considération d’autrui qui soit désintéressée.

Nous sommes face à des jeunes avec leur histoire d’abandon, leur vécu d’humiliation. Des jeunes hyper sensibles, hyper réactifs. Des jeunes qui sont perdus, des jeunes qui nous échappent, des jeunes en danger. Des jeunes pour lesquels il faut prendre soin de la relation de manière à la rendre la plus sécurisante possible, la plus contenante, au prix d’une attention et d’efforts d’adaptation constants.

Tout ceci nous fait prendre personnellement de grands risques. Les jeunes nous font parfois vivre ce qu’ils n’ont pas été en mesure d’accepter de leur propre histoire. Nous risquons d’être amené à éprouver en miroir leurs insatisfactions, leurs déceptions, leur impuissance. Nous risquons de ressentir culpabilité et incompétence. Nous risquons de souffrir avec eux, en rejoignant ainsi leur détresse.

Mais l’évitement d’une difficulté n’est jamais la meilleure façon de là résoudre de manière durable. Au coeur de la difficulté on trouve souvent l’amorce de la solution. Alors, nous nous risquons.

 

Faire équipe pour rester mobilisé

Notre travail ne doit pas être incarné pas une personne mais par une démarche, une équipe.

Pour établir cette relation particulière, il nous est demandé au quotidien un « travail » sur nous même pour limiter toute réactivité. Nous devons devenir comme témoin de nous même, par une prise de distance indispensable par rapport à nos propres affects, tout en créant une proximité maximale pour rejoindre ces jeunes et essayer de comprendre avec eux leur vécu d’injustice. Une posture très paradoxale, un travail d’équilibriste!.

Pour préserver un certain confort, une sécurité suffisante pour nous même, nous avons besoin d’espaces pour penser notre travail. La qualité de la vie de l’équipe est essentielle, de façon à objectiver au mieux ces relations. La communication est centrale.  Il est indispensable d’échanger beaucoup, de créer un climat de confiance interpersonnelle, et de solidarité, d’apprendre à  coopérer.

L’équipe est un rempart contre nos difficultés personnelles, pour assumer ce qui nous dépasse où nous nous sentons démunis, pour ne pas se laisser envahir par les situations.

Nous faisons donc des apprentissages permanents qui nous permettent de développer entre adultes un discours cohérent et tenir ce qu’on a dit. Un cadre protecteur pour tous ceux qui viennent nous rejoindre.

Notre rôle également est de nommer les difficultés spécifiques de la vie de ces jeunes, pour espérer que les institutions  ne restent pas aveugles et sourdes aux risques de mise en échec. s nous efforçons de contribuer à plus d’égalité en cherchant à corriger les désavantages sociaux résultants des inégalités de ressources.

 

De quelle façon on agit dans la vie de ces jeunes?

Nous savons que les opportunités de rencontre rendent possibles d’autres trajectoires de vie.

Alors, qu’est ce qu’on fait avec ces jeunes?

Pour être suffisamment précis dans ce que nous tentons de décrire, il nous faut être concret.

Dans les expériences les plus emblématiques que nous avons partagées ensemble, on peut évoquer le processus qui nous a permis de constituer une équipe pour le foot à 7, avec l’exemple des certificats médicaux indispensables pour obtenir une licence. Les jeunes volontaires pour constituer une équipe étaient tous particulièrement motivés par cette perspective. Mais avec certains d’entre eux, 3 mois ont été nécessaires pour établir un certificat médical! Il faut préciser que les médecins généralistes refusent aujourd’hui les nouveaux clients et en règle générale, les familles que nous connaissons ont rarement un médecin traitant, un médecin de « famille ».

Pour un rendez vous médical, il faut désormais prendre contact sur  une plateforme téléphonique…. Ces jeunes ont fini par « avouer » qu’ils n’arrivaient pas à réaliser cette formalité!

Nous pouvons mesurer la qualité du lien qui nous unis à ces jeunes dans leur capacité à nous livrer leur vulnérabilité. Beaucoup d’entre eux sont pétris de peurs, de honte, qui les paralyse. Ce n’est pas le fait qu’une démarche administrative est rebutante qui empêche un jeune de la réaliser, mais son manque de confiance en lui, un blocage affectif. Tout risque de s’affronter à un refus, le renvoie à sa peur d’échouer. Certains jeunes souffrent d’un tel déficit de confiance qu’ils ne peuvent pas prendre le risque de se confronter une fois de plus à un échec. Une fois de plus serait une fois de trop! Ces jeunes développent une sentiment d’incompétence. Pour nous la réponse est de les ramener vers la victoire de manière symbolique.

Pour tout un chacun, on accepte de « perdre » parce qu’on a fait l’expérience de « gagner ». Quand on a toujours « perdu », il faut gagner énormément pour corriger l’incompétence apprise.

Il s’agit donc de reconstruire cette confiance, de faire cet apprentissage profond où on sait qu’on est capable, malgré les échecs.

Dans cet exemple précis, Ramzi a pris rendez vous auprès d’un médecin, avec les jeunes concernés, et a assisté à cette rencontre pour soutenir leur demande.

Nous sommes centrés sur les affects de ces jeunes qui vont mal: nous cherchons le plus possible à comprendre, à compatir. Ce cheminement demande une forme d’optimisme de la par des adultes, de savoir nous saisir de toutes les occasions pour leur manifester notre conviction de leurs capacités.

Nous devons proposer des buts clairs, commencer par ce qui est immédiatement accessible, pour reconstruire les choses à partir de petits pas.  Nous recherchons toute forme d’activités qui nourrissent, qui apportent du bien être, où on éprouve du plaisir, de façon à développer d’autres compétences. L’amusement permet de  développer des émotions qui nous nourrissent.

On encourage ainsi toute pratique susceptible de combler ce besoin de reconnaissance.

Le sport reste un puissant vecteur. Chaque pratique sportive est une opportunité pour faire l’expérience profonde de l’expire et de l’inspire. Ressentir ce mouvement de la respiration  qui nous relie à nous même et au reste du monde. Une reliance avec notre commune humanité et au vivant, qui nous sort du sentiment d’isolement,  qui devient une opportunité pour remettre ses problèmes face au monde.

On n’est moins enclin à prendre tout contre soi quand on a à son actif des expériences de réussites pleinement vécues.

Il s’agit ainsi d’investir toutes les forces qui contribuent à nourrir l’élan de vie, l’estime de soi.

On invite ainsi chacun à entrer en résilience, avec cette volonté de surmonter les choses en développant la capacité à demander de l’aide.

Personne ne peut réussir seul ce parcours. Et le problème pour les jeunes, c’est la perte de confiance en l’adulte. Pour reconstruire cette relation, il faut d’abord se sentir aimer, de façon inconditionnelle.

La résilience n’est pas innée, elle se construit avec des opportunités de rencontre. L’ego, la conscience que l’on a de soi-même, qui est au  fondement de notre personnalité, et la résilience, tout est lié. Pour nous,  « apprendre à se battre » permet de développer son intérêt propre et nous faisons le choix d’apprendre ensemble à « boxer avec les mots ».  Il s’agit d’apprendre à rester déterminé et de savoir trouver les mots pour argumenter, défendre la légitimité de la demande ou du positionnement.

Dans cette démarche très centrée sur l’individu nous ouvrons chaque fois que possible à la dimension collective. Nous invitons également à l’altruisme. En s’extirpant d’une problématique exclusivement personnelle, nous ouvrons d’autres possibilités de  surmonter les problèmes. L’ego est nourrit de ce sentiment de compter pour les autres, en développant l’empathie.

 

Nous restons parfois impuissants

Il nous reste malgré tous ces efforts, beaucoup de questions sans réponse.

Comment sortir de l’addiction, du réseau qui rend ultra dépendant ? Quelles priorités nous donner pour un jeune sous emprise de stupéfiants:  trouver des débouchés de formation  pour qu’il échappe à un placement qu’il redoute où bien ce placement lui offrirait-il une chance de sortir de cette dépendance? Parfois on peut juste signifier: « pour toi, il y a encore une main tendue », avec le risque de l’accompagner dans beaucoup d’échecs et peu de réussites, ne sachant comment pouvoir soigner tous les dégâts.

Nous tentons également de construire des partenariats et nous doutons parfois de leur pertinence pour l’intérêt du jeune. Certains éducateurs, dans le cadre de leur mission, doivent se placer du côté de l’ordre public, ils observent l’évolution des jeunes et doivent rendre compte de la dangerosité de leur comportement et envisager, si nécessaires, des mesures répressives. D’autres s’efforcent de préserver des espaces d’accueil inconditionnels en prenant en compte les besoins des jeunes et de leur famille. Nous restons donc extrêmement vigilants tout en souhaitant préserver ces liens parce que nous sommes convaincus des vertus de la communauté éducatives pour assurer à ces jeunes toutes les ouvertures possibles. Il est impossible de travailler de façon isolée.

 

Reconnaître la part de violence humiliante infligée à ces jeunes

Nous restons très préoccupés du comportement souvent discriminant des forces de police. Ils doivent faire appliquer la loi et reprendre les jeunes par rapport à leur conduite illicite. Hors nous sommes témoins de harcèlements arbitraires. Si on ne s’indigne pas, si on ne considère pas ces situations comme injustes,  ne risque-t-on pas de rentrer dans le discours « ferme ta gueule, baisse la tête ». Comment on défend, comment on protège?

Ces comportements discriminants aboutissent à une dangereuse pratique de la part des habitants dont certains prennent systématiquement la défense des jeunes tout en étant inquiets voire consternés des actes de dérive dont ils sont témoins. Un rapport à la loi qui se distord avec certaines familles qui cherchent à sortir leur jeune de la galère en niant le délit, en travestissant la réalité.

Quels enseignements peuvent en tirer ces jeunes, pour eux mêmes, dans leur rapport aux autres, à la place qu’ils n’ont pas dans la société ? Comment permettre à cette colère face à la façon injuste dont ils sont traités de pouvoir devenir un acte de revendication pour plus de justice qui devienne collectif? Comment apprendre à diminuer les impulsions, la réactivité, apprendre à contester?

Il nous faut reconnaître la part de violence humiliante infligée à ces jeunes dans ces attitudes répétées au fil des années. Les adultes, ont un devoir de protection, il est urgent de casser toute possibilité d’établir un rapport de force.

Une autre forme de violence peu reconnue également, celles des inégalités de ressources. C’est une réalité pour beaucoup de jeunes que  leur choix d’orientation scolaire implique des contraintes supplémentaires. Pour beaucoup le nouvel établissement va se trouver à une distance importante du domicile et nécessiter des trajets quotidiens qui peuvent durer deux heures par jours. On peut dire: « c’est pour tout le monde pareil ». Seulement on ne tient pas compte que tous les enfants ne sont pas égaux face à des réalités semblables. On ne peut pas ramener les difficultés que ces enfants traversent à l’expérience de tous les autres jeunes. Souvent ces jeunes ne choisissent pas leur orientation, elle se fait par défaut. Le principe d’égalité des droits ne peut être mis en oeuvre  dans un contexte d’inégalités sociales. Comment rendre compte de ces difficultés spécifiques  pour espérer que les institutions ne restent pas aveugles et sourdes aux risques de mise en échec?

Comment restons-nous fidèles à la démarche de la pédagogie sociale?

A Terrain d’Entente, nous cherchons à prendre en compte la diversité de tous ces jeunes qui nous rejoignent  et à construire des temps qui correspondent aux envies de chacun.

Le collectif est une richesse qui rend possible des actions où chaque personne volontaire peut devenir partie prenante. Il permet ainsi des apprentissages, il met en évidence des aptitudes qui renforcent l’estime de soi, la reconnaissance réciproque, le sentiment d’exister avec les autres et de compter pour les autres. Mais le collectif peut représenter également des expériences difficiles, où chacun ne trouve pas forcement sa place, et peut vivre parfois des expériences disqualifiantes. Il est forcement contraignant, ce qui peut être une lourde difficulté pour des personnes vulnérables, dont le parcours est parsemé d’échecs. Il est essentiel que personne ne soit en risque de « disparaître » dans le groupe, il est indispensable de prendre en compte chacun.

Nous nous efforçons de construire des temps spécifiques avec des groupes restreints, à partir des envies, où il est possible de construire entre chaque membre un climat sécurisé, une relation de confiance et de reconnaissance réciproque. Dans ce que nous entreprenons, nous évitons au maximum le risque de vécu d’échec pour quiconque, nous sommes attachés à la restauration et au bien être de chacun. Nos actions, sont donc centrées sur la construction d’une qualité d’attention à chacun.

C’est à la recherche de nouvelles formes de coopérations et de retissages de liens sociaux autour de l’éducation des enfants et des jeunes qu’il est urgent de s’atteler pour faire face aux menaces d’effritement de la cohésion sociale.

 

Josiane GUNTHER et Ramzi NEZZAR le 21 Janvier 2021

 

 

 

 

 

 

 

 

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Lorsqu’on a moins de droits que les autres, comment accepter d’avoir les mêmes devoirs?

« Ha ça, c’est sûr, ça serait bien que le goûter devienne un temps de partage! »

C’est un jeune de 14 ans qui parle ainsi. Il a des pépites dans les yeux quand il évoque cette perspective.

C’était au début de nos rencontres aux pieds des immeubles, à l’occasion de nos premiers ateliers de rue les samedis après midis. Notre premier goûter avait été catastrophique, les chocos avaient volés, certains même piétinés dans la précipitation des jeunes  à réclamer leur part!

A l’époque, nous nous adressions essentiellement à des garçons adolescents qui nous ont rapidement encouragés à revenir pour construire ensemble ces temps de « partage ».

Au début de nos rencontres, les coups et les insultes pleuvaient. Mais chaque fois que nous savions nous interposer dans ces rudes bagarres, en y accordant le temps nécessaire, les maux savaient s’exprimer, on apprenait ensemble à trouver les mots justes pour donner du sens à ces colères explosives. Ils nous ont rapidement sollicités pour intervenir dans ces conflits. Ils ont fini par nous demander de venir plus souvent et de rester plus longtemps.

De ces jeunes dont on parle trop souvent avec un discours empreint de crainte, de mépris, d’une multitude de présupposés qui ne sont jamais vérifiés mais toujours affirmés avec conviction. On leur reproche d’être à l’origine de tous ces désordres sociaux, ces incivilités qui nous les font rapidement considérés comme délinquants.

Moins on a de relation, d’expériences partagées, moins on a de connaissance, et de compréhension. S’ouvre à nous alors un champ très libre pour les phantasmes générateurs de peurs et de rejets. Cette tendance facile à penser de façon simplifiée et schématique.

Il faudrait donc les éduquer! Instaurer fermement  des règles pour apprendre « le cadre » à ces jeunes qui ne respectent rien ni personne »! Un « cadre »  posé de façon autoritaire et strict pour leur apprendre les rudiments des règles du vivre ensemble. On voit qu’ils crachent par terre, qu’ils profèrent des insultes, qu’ils narguent les adultes.

Mais qui fait l’effort de connaître un peu la réalité de leur quotidien? Qui s’interroge des conséquences de cette vie de galères?

Un jeune que je rencontrais régulièrement en prison me posait un jour cette question. « Comment on fait quand on est une famille très pauvre, qu’on a été nul à l’école, ,qu’on vit dans un quartier où il y a de la violence, de la délinquance? »….

Qui est capable de répondre ?

Comment on fait quand les collèges excluent des collégiens pendant plusieurs mois et qu’ils précisent qu’ils n’ont plus rien à faire dans un établissement scolaire ? Comment on fait quand on a raté plusieurs semaines d’école suite à une situation familiale explosive et qu’il n’est pas possible d’envisager le redoublement parce qu’il y a trop d’élèves par classe ?! Comment on fait quand on a 11 ans, et qu’il est indispensable de contribuer à l’organisation familiale dès la première heure du jour et qu’on reçoit des sanctions et des menaces d’éviction scolaire parce qu’on arrive en retard à l’école ? Comment on fait quand les structures du quartier organisent un départ en vacances pour 7 alors qu’on est 40 à l’espérer ? Comment on fait quand on démultiplie les démarches de recherche d’emploi et que c’est toujours « non ?

Qui peut répondre ?!

Ils sont pourtant nombreux, les chercheurs, les intellectuels à nous proposer des pistes pour comprendre et tenter de trouver des manières adaptées de répondre. Parce que la responsabilité de toute la communauté éducative est de chercher d’abord et sans relâche, à comprendre ce que manifestent ces jeunes !

Fernand Deligny (1) a été l’un des pionniers pour rechercher sans relâche ce qui dans son propre comportement empêchait que la rencontre se produise, que le lien se construise. C’est d’abord ça le travail éducatif, considérer ses propres limites et défaillances pour mieux cheminer avec l’autre, pour se laisser transformer par ses attitudes qui peuvent nous déconcerter, provoquer un sentiment d’insécurité. Pour rejoindre sa souffrance et tenter de là traverser avec lui.

Christophe Dejours (2) nous invite à nous laisser coloniser par le doute. Parce que « le réel se fait connaître par l’échec« , parce que « la souffrance guide l’intelligence« .

Dans un entretien sur la question de la violence des banlieues, Christophe Dejour répond « la violence du non travail »!

L’accomplissement de soi dans le champs social, passe par le travail. Inscrire notre existence dans la société passe par le travail et la reconnaissance de notre contribution à l’intérêt commun. Pour ces jeunes, il n’y a plus d’espoir d’apporter cette contribution à la société, ce qui pourrait les inscrire dans la communauté des hommes. Ils sont privés de la possibilité d’espérer le travail.

Pour supporter cette situation, résister à cette souffrance de se sentir exclus, certains s’efforcent d’organiser des stratégies de défense. Il s’agit pour eux de renverser le rapport au travail. Ils inversent cette humiliation d’être récusé du rapport au travail dans l’affirmation que rien n’est plus humiliant que d’accepter de travailler.

Cette attitude de défiance se construit dès l’école. Les difficultés d’apprentissage, les efforts très contraignants sont possibles à condition que se profile la promesse d’une émancipation grâce au travail. Pour eux, le travail scolaire devient donc le symbole de ce qu’il faut rejeter. Ne pas se soumettre à la discipline, s’opposer au travail scolaire, à l’enseignant, à tout ce qui représente ce qu’il est interdit d’espérer pour eux même.

Ce rapport d’humiliation du fait de l’exclusion produit des comportements par lesquels ils s’endurcissent pour supporter tout ça: il faut devenir insensible à toute forme de message qui rappel le rejet. Est un homme celui qui est capable d’assumer la souffrance et de l’infliger à autrui. Tout ce qui représente cet ordre qui ne leur laisse aucune place est la cible de leur haine. L’ennemi est tout ce dont on est définitivement privé. C’est une idéologie défensive, une exaltation de la violence comme valeur. Ils ne sont pas victimes du système, ce sont eux désormais qui vont faire peur et qui vont humilier. Etant exclus de toute participation aux règles de la collectivité, ils rentrent dans « un rapport de force » et non plus un rapport de droit. Le « rapport de droit » est d’avance perdu pour eux tout le temps et partout.

Christophe Dejours estime que nos réponses sont inadaptées, inopérantes. Du côté de l’action sociale, l’objectif des éducateurs est d’attaquer ces défenses pour les déconstruire, ce qui amplifie d’autant la radicalisation de ces défenses.  La réponse sécuritaire et répressive ne fait également qu’aggraver les choses. La terrible dérive de ces réponses est de n’avoir bientôt que l’armée comme solution pour aller cogner sur ces gosses afin de les mater.

Il faut retrouver les voies qui permettraient à chacun d’apporter sa contribution à la vie sociale par le travail. »La centralité du travail est vitale pour chacun. »

Ceux qui échouent à l’école sont les exclus de demain. 1,9 millions de jeunes sont ni en emploi, ni en formation, ni en recherche, ni en accompagnement. Comment  peuvent-ils s’insérer? Notre pacte républicain est en danger si on ne réduit pas ces écarts: lorsqu’on a on moins de droits que les autres, comment peut on accepter d’avoir les mêmes devoirs?

« La coopération, l’explication, la compréhension sont une plus grande source de réussite que la compétition, le langage des initiés. Il faut une école inclusive avec un système d’évaluation qui encourage. Promesse d’une élévation du niveau pour tous, ce qui n’est jamais du nivellement par le bas.

Pour le vivre ensemble en société, il faut scolariser ensemble toute la jeunesse. L’école, c’est le temps du commun. » (Jean Paul Delahaye) (3)

Terrain d’Entente est engagé sur cette question de l’école. Les enfants des milieux populaires souffrent à l’école parce qu’il n’y a pas suffisamment de prise en compte et d’effort de compréhension de leur réalité. Le corps enseignant a la responsabilité de l’ouverture de l’école sur le quartier, de l’organisation de la rencontre avec les familles. Mais cette institution ne peut pas réaliser ce travail seule et de manière isolée.
Nous souhaitons engager  un chantier, dans la durée, pour rechercher comment offrir les meilleurs conditions pour construire une communauté éducative qui assure de manière effective notre responsabilité collective dans l’éducation et la protection des enfants et des jeunes, avec les différents acteurs du champ éducatif, les parents. C’est une condition incontournable pour permettre à chaque enfant de faire des liens entre les différents espaces dans lesquels il évolue et de trouver ainsi du sens et de la cohérence dans les apprentissages organisés de manière différente à l’école, en famille, dans le milieu associatif.

Les enfants dont la structure familiale ou sociale a été brisée peuvent devenir créateurs si on leur donne un lieu de parole, autant qu’ils peuvent devenir délinquants quand leur énergie ne trouve aucun lieu d’expression. Terrain d’Entente cherche à offrir une structure affective et sociale autour de ces jeunes. Nous prenons le risque de nous laisser déstabiliser, jusqu’à nous sentir parfois avec eux, à la limite du danger et nous puisons ensemble d’impressionnantes ressources. Il faut pour cela endurer les nombreuses expériences d’échec, et s’obstiner à ne pas lâcher. Il est nécessaire de développer une attitude de bienveillance et de compréhension. Nous mobilisons toute notre énergie pour créer un climat apaisant pour accueillir ces tempéraments tendus, blessés, hyper réactifs. On sanctionne le moins possible, on accueille, on écoute, on s’efforce de comprendre.

Ainsi, ces mêmes jeunes ont su se saisir de l’opportunité que leur offrait un nouveau dispositif, le Fond de Participation des Habitants, qui aide au financement de différentes actions. Ils ont rédigé un projet de départ en vacances, et préparé ensemble la rencontre à la commission d’admission pour expliquer leurs motivations. Ils souhaitaient partager quelques jours entre copains. Ils se sont saisi de la seule opportunité que nous pouvions leur offrir: une semaine à la Ferme des Fromentaux, en Haute Loire.

Pour ces jeunes, ce séjour a été « une première fois » sur de nombreux aspects. La vie dans une ferme, le travail du quotidien, la « rencontre » avec la nature….

Malgré cet aspect déstabilisant, ils ont eu, durant tout le séjour, une attitude coopérative et positive.

Ils se sont intéressés aux activités, (conduite du tracteur, traite des chèvres….). Ils ont participé à toutes les tâches ménagères (repas, vaisselle, rangement) qu’ils avaient eux mêmes organisé en se répartissant le travail à partir d’un tableau qui établissait des tours de rôle.  Ils ont respectés les horaires qu’on avaient décidé avant le séjour. Ils ont eu un très bas niveau d’exigence concernant les activités, s’inquiétant du coût et des possibilités de l’association. Les soirées ont été l’occasion d’échanges authentiques autour de leurs préoccupations.

Aujourd’hui, ces jeunes ont souhaité organiser un « café des ados », un lieu pour se retrouver avec une présence adulte pour les accueillir .

Aujourd’hui les structures sont nombreuses à investir beaucoup d’énergie pour dénoncer le danger des écrans et faire des campagnes de prévention, de sensibilisation pour apprendre les  bonnes pratiques. Sachant que les écrans sont pour beaucoup la seule source de plaisir qui est vécue dans la solitude, sans aucun garde fou, les structures du quartier que nous avons sollicitées pour organiser ensemble cet accueil, nous ont toutes répondus:  « on ne peut pas tout faire! »

Nous avons donc ouvert ce café et une trentaine de jeunes nous rejoignent chaque jeudi. Nous réfléchissons ensemble à différents espaces pour discuter, se divertir. Des projets se pensent. Tout semble possible, mais un problème se profile: nous ne sommes que deux pour les accueillir! Nous risquons rapidement de toucher nos limites pour tenir cet accueil dans la durée.

Notre détresse à nous, c’est d’être trop peu nombreux, et de disposer de moyens insuffisants  pour construire une action à la hauteur des aspirations de ces jeunes qui réclament juste un peu d’espace et d’attention.

Josiane GUNTHER Mai 2019

(1) Fernand Deligny, né en 1913, une des références majeure de l’éducation spécialisée

(2) Christophe Dejours, psychiatre, psychanalyste et professeur de psychologie français, spécialiste en psychodynamique du travail et en psychosomatique

(3) Jean Paul Delahaye, Inspecteur général de l’éducation nationale honoraire. Ancien directeur général de l’enseignement scolaire.

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Se mettre en danger, pour ne pas renoncer à changer sa vie

Nous traversons parfois, avec les adolescentes, des périodes extrêmement éprouvantes. De ces moments qui nous donnent l’opportunité de comprendre de façon plus aiguë, plus intense, les enjeux actuels.

Certaines d’entre elles multiplient les conduites à risque et se mettent véritablement en danger. Elles se laissent brutaliser sans broncher sur l’espace public, elles fument, elles boivent… Elles se « cramen » ! Et nous nous retrouvons face à notre impuissance.

En équipe on consacre de longues heures, à réfléchir, à ne pas comprendre, à tourner en rond… Eh puis, au fil de ces échanges, un peu de sens apparaît, et il s’ouvre à nous, souvent, quelque chose de tellement violent !

Ces filles, elles passent leur énergie à manifester que leur cadre de vie les asphyxient, et elles sont prêtes à y laisser leur vie. Elles y ont déjà un peu perdue leur âme. Elles ne peuvent pas faire autre chose que de manifester qu’elles ne peuvent pas juste obéir à ce qu’on leur impose, de toute façon, de ça aussi elles ne peuvent qu’en mourir, que s’éteindre.

Parfois, on arrive à parler, on trouve un peu les mots. Juste pour dire qu’elles ont raison de ne pas renoncer à ce qu’elles sentent au fond d’elles mêmes, que c’est extrêmement courageux, qu’elles sont vraiment « quelqu’un » de savoir faire ça. Mais le manifester de cette façon, l’issue fatale et inéluctable, c’est de s’exploser dans le mur.

Parfois, certaines répondent : « je ne sens rien ! » Petites filles qui s’asphyxient, qui se coupent d’elles mêmes. Alors on se risque à parler de soin, de prendre soin, de protection, on recherche ensemble des lieux adaptés, des espaces de sécurité et de bienveillance, en s’efforçant d’explorer de façon large toutes les issues possibles.

Le lien est fragile et ténu, le dialogue est vraiment difficile, mais on ne lâche pas ces mains qui prennent le risque de se tendre et de croire à autre chose. On s’efforce de trouver l’issue pour que chacune trouve le sens, l’envie surtout, pour construire son devenir, mais c’est tellement dure. Il faut être auprès de chacune pour lui donner une chance d’y arriver, mais bien souvent, elle nous échappe.

Nous savons que tout commence par un immense effort de compréhension. Aucune n’agit dans le but de faire souffrir qui que ce soit dans leur entourage, mais parce qu’il y a des choses qu’elles ne peuvent pas supporter et il faut qu’on le comprenne avec elles pour qu’elles puissent le comprendre elles mêmes. Il y a des moments très douloureux mais nous restons centrés sur ces enfants et parfois, on peut sentir qu’elles commencent à y croire un peu.

Ces jeunes filles, elles trouvent l’énergie et le courage de faire un pas dans le vide en prenant tous les risques, trop de risques…

Pour nous, pédagogues sociaux, tout ce chemin parcouru ensemble est une opportunité de faire aussi un pas pour notre propre émancipation. Sortir de la domination, c’est toujours un arrachement, c’est violent pour le dominé et le dominant, ça ne peut pas être autrement. Sortir de la domination, c’est ne jamais renoncer à la petite voix intérieure qui dit « non. » Sortir de la domination, c’est prendre tous les risques, même celui de mourir pour préserver ce qui est vivant en nous, ce coeur qui bat d’une manière unique. Ce qui est vivant en nous, c’est ce qui est libre de toutes les obligations, les croyances, les idéologies et qui rend possible un nouvel espace où il peut se créer autre chose qui nous permet à tous un pas de plus et qui peut tout transformer, parfois même radicalement.

Ce que manifestent toutes ces jeunes filles, comme elles le peuvent, c’est la capacité de refuser tout ce qui peut réduire nos vie, la capacité de se révolter, une pulsion de vie. C’est très semblable aux différentes bataillent qui se mènent un peu partout pour refuser l’inacceptable et tenter de construire autrement pour plus de justice et d’égalité. C’est proche par exemple du combat mené par les grévistes, employés dans toutes ces entreprises qui ferment et se délocalisent alors qu’elles font des bénéfices, mettant ainsi en péril des milliers de familles.

Ce que manifestent ces jeunes filles c’est ce que nous avons su inventer en prenant des risques chaque fois que nous savons écouter la petite voix intérieure qui dit « non » et qui nous pousse à nager à contre courent, pour ne pas être mort.

Ce que manifestent ces jeunes filles, c’est très semblable à ce que tous ces grands hommes et femmes qui ont marqué l’histoire ont du faire : un pas dans le vide. Beaucoup ont pris le risque de perdre leur vie pour chaque fois tenter de remettre le monde humain en ordre. Toutes ces actions qui prennent des formes différentes en fonction du contexte et qui sont des occasions pour nous tous de nous émanciper de toutes les dominations et de ne pas renoncer à nos rêves.

 

Josiane GUNTHER Août 2018

 

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Travaille et rentre chez toi !

 En réponse à l’urgence sanitaire, à l’épidémie qui se développe, le gouvernement a imposé une nouvelle organisation à toute la société, de manière toujours plus autoritaire et répressive. A partir de l’école primaire, les enfants et les jeunes, et avec eux, tous ceux qui sont employables, tous ont été sommés de sortir de leur domicile pour la seule raison considérée comme nécessaire et indispensable: le travail ! Le reste nous a été interdit ou limité à sa plus simple expression: faire les courses, promener son chien …. 

La vie culturelle, sociale, religieuse, affective… tout est terminé. La seule vie qu’on veut sauver est la vie biologique, celle du corps. Or, la vie ne se résume pas à un corps, il y a aussi les raisons de vivre. 

Cette épidémie nous renvoie à la menace de mort. La maladie et la mort sont des réalités de l’existence que nous redoutons tous. Nous espérons échapper à des maladies graves, invalidantes, et nous avons peur de la mort! Nous cherchons même à faire reculer son échéance. Nous saluons à juste titre comme un progrès, une victoire, l’augmentation de l’espérance de vie (seulement dans certaines régions du monde, dans beaucoup d’autres, la mort frappe au quotidien avec une ampleur dramatique). 

L’espérance de vie, il est bien question de cela aujourd’hui. Qu’espérons-nous vivre en fait? Que souhaitons-nous chaque jour pour nous, pour nos proches, pour notre vie en commun? Quel élan nous fait nous lever le matin, qu’est ce qui nous pousse à sortir de chez nous? Quelles envies nous mobilisent pour construire des projets, réaliser des actions? 

Est ce que nos ambitions, nos aspirations se résument chaque jour au fait d’avoir à aller travailler, de retrouver le chemin de l’école? Et pour beaucoup d’entre nous comment considérons-nous notre travail, ou plutôt notre emploi? 

Une promesse de dépassement de soi et d’accroissement personnel? L’opportunité de contribuer à l’évolution de notre vie sur terre, la possibilité pour chacun d’entre nous de pouvoir contribuer au bien commun? Ou bien seulement l’unique moyen de subsistance possible , un simple »gagne pain »? Beaucoup, beaucoup trop, pour qualifier leur emploi précisent « c’est juste alimentaire! » 

Pour une majorité d’enfants et de jeunes, que représente l’école? 

Une promesse de développement et de perfectionnement pour soi-même et avec les autres? La possibilité de savoir pour agir et d’agir pour s’émanciper et s’épanouir? La possibilité de mieux comprendre le monde, l’opportunité de découvrir l’altérité et de là considérer comme une richesse, un partage et non une menace et une réduction de soi même? Ou bien, malheureusement, une expérience douloureuse et humiliante d’échecs, de perte de considération et de confiance en soi? 

Une majorité d’entre nous se retrouve contraint de se rendre à l’école chaque jour et d’exercer un travail sans adhérer véritablement à cet acte obligatoire. Chacun se plie à cette exigence mais à quel prix? 

Le prix de dépressions, le prix du découragement, le prix du désespoir pour tous les « premiers de corvée » et les « derniers de la classe »! 

Une masse impressionnante de nos concitoyens. 

L’épidémie est une réalité que personne ne conteste. Mais son traitement actuel met en péril tout ce qui peut nous donner des raisons d’espérer, de sentir autour de soi du réconfort, de retrouver l’énergie et l’envie. Une atmosphère de mal être s’installe parmi nous. Une atmosphère qui nous épuise, qui nous oblige à puiser au fond de nous même des ressources pour tenter de tenir le coup et ne pas nous effondrer. Mais ces ressources demandent justement du soin pour se renouveler, elles nécessitent le lien aux autres, pour nous sentir bien vivants. Ces ressources se renouvellent lorsque la joie nous habite, lorsque le désir semble pouvoir devenir réalité, lorsque des possibles apparaissent dans un horizon atteignable. 

Aujourd’hui, à l’occasion de ce deuxième confinement il nous est interdit ce qui est justement indispensable à nos vies: le lien, la rencontre, des moments « gratuits » où on se donne mutuellement de l’attention, le bonheur de construire avec d’autres, d’inventer, d’imaginer des possibles parce qu’on devient plus audacieux lorsqu’on se retrouve ensemble. 

Aujourd’hui, on observe ce qui se passe pour beaucoup d’entre nous lorsque ces ressources s’épuisent : pour les familles que nous connaissons bien à Terrain d’Entente, la dépression s’installe, les maladies invalidantes se développent, les démarches pour construire au mieux le quotidien deviennent trop pesantes, beaucoup renoncent, tout en mesurant les conséquences irréparables de cet essoufflement. 

Il aura suffi d’un organisme de quelques nanomètres pour engendrer une crise économique et sociale d’une ampleur inconnue jusqu’alors en temps de paix. Depuis Mars une part grossissante de la population se trouve confrontée à une baisse dramatique de ses revenus, à une dégradation de son quotidien. La violence sociale s’ajoute à la violence de la situation sanitaire de manière fulgurante. Des violences se surajoutent à d’autres violences et la culpabilisation individuelle est prégnante dans tous les discours des autorités gouvernementales. Le soupçon est également jeté sur une catégorie de la population, les plus pauvres! 

Dans le budget de l’ARS, une partie est désormais consacrée à l’éducation aux gestes barrière pour les habitants des quartiers prioritaires de la politiques de la ville! Il est question pour eux d’un apprentissage au lavage des mains et au port du masque. 

Le manque de financement de tous les services publics qu’on nous impose, les restrictions budgétaires, la politique délétère de l’hôpital-entreprise, ces responsabilités là qui incombent aux décideurs politiques, il n’en n’est presque pas question . 

L’attention et le soin portés aux êtres humains comme aux territoires ne sont plus les priorités. 

« Travaille et rentre chez toi! » 

En ce qui nous concerne, à Terrain d’Entente, nous nous efforçons de continuer à prendre soin de ces familles qui vont de plus en plus mal. Nous avons pu préserver le soutient scolaire durant tout ce mois de Novembre, et nous avons augmenter nos périodes de présence. Les enfants étaient nombreux à venir nous rejoindre, et nous n’avons refusé personne. Nous avons su préserver ce qui nous est toujours apparu comme essentiel, l’accueil libre et inconditionnel. Les enfants ont accepté les nouvelles contraintes: le gel hydro alcoolique, le masque, l’évitement de la mobilité dans la salle, le retour au domicile après les leçons. 

La présence soutenue d’adultes durant ces différents temps d’accueil a permis de prendre soin et attention à chacun de ces enfants. Ce qui nous a tous mobilisé: que chaque enfant, chaque jeune s’investisse avec enthousiasme et plaisir dans les apprentissages. Et nous constatons pour beaucoup d’entre eux des progrès réels. Pour certains de ces enfants qui auparavant, n’osaient pas prendre le risque de démarrer un exercice scolaire pour ne pas avoir à affronter un nouvel échec, ces enfants là rentrent enfin dans un processus d’apprentissage. Ils manifestent du plaisir à mieux comprendre et de la curiosité à connaitre et à savoir d’avantage. Nous avons réussi ensemble à construire un climat propice à la concentration, à la réflexion, à l’appropriation du savoir. Nous constatons une fois de plus que c’est la relation, l’attachement, l’encouragement qui créent la motivation, l’envie. 

Du côté de la jeunesse, les ados ont continué à nous solliciter pour réfléchir à leur orientation, les possibilités d’être accueillis en stage s’amenuisent avec à nouveau le risque de vivre l’échec avec tout son cortège de tensions intra familiales. D’autres trouvent encore le courage de nous confier leur détresse et nous sommes extrêmement préoccupés pour certains, de l’évolution de leur parcours. 

Cette démarche d’aller au coeur de la réalité, de la difficulté, de la détresse des enfants, des jeunes, des adultes est l’unique possibilité de retenir la main de celui qui souffre et d’avancer à ses côtés pour éviter qu’il ne s’effondre, pour rester debout et vivants ensemble!. 

Le premier geste humain envers un autre est le soin. Un geste qui ne doit rien à la morale mais à la nécessité, car l’état de nature, l’état premier des humains c’est la vulnérabilité. Sans le soin primordial au nouveau né, il n’y aurait pas eu d’humanité, pas d’aventure humaine, parce que la vulnérabilité est la condition du vivant. 

Dans ce climat autoritaire et répressif, dans ce climat qui développe la peur, le découragement et la dépression, il est urgent d’inventer, et démultiplier des espaces de bien être ouverts à tous. C’est surtout ça notre urgence sanitaire actuelle. 

Josiane GUNTHER le 3 Décembre 2020 

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Ce temps long du confinement : Le journal de Terrain d’Entente

« L’annonce du confinement a été un choc, on ne s’y attendait pas. On a traversé des catastrophes mais pas sur notre période actuelle ». (Fathia)

Le temps a été suspendu. Une expérience inédite s’est imposée à nous tous. Face à une menace mortelle, nous avons du renoncer à tout ce qui construit notre quotidien qui nous a alors échappé. Nous avons du arrêter des activités qui assurent le maintient de notre existence, lui donnent du sens. Si cette remise en question radicale a concerné toute l’humanité, elle n’a pas été vécue de la même façon en fonction de la situation sociale de chacun.

Terrain d’Entente s’est efforcé de rester intègre par rapport à ses principes. Aujourd’hui, il nous semble indispensable de donner la parole à ses différents acteurs pour évoquer cette période. Il s’agit des différents membres de l’équipe et d’habitantes du quartier de Tarentaize-Beaubrun.Nous espérons que ce partage nous donne la possibilité de tirer des enseignements de ce que nous avons subi pour envisager autrement notre avenir.

Fathia: Le décès de la maman de Nabila, c’était horrible. C’est ce qui m’a marqué le plus. Elle s’est retrouvée seule pour faire son deuil. C’était inhumain de là voir pleurer de son balcon et de ne pas pouvoir là tenir dans nos bras. Sinon je sens que ça a rapproché les familles. Ca a crée des liens plus forts entre les parents et les enfants. Tu te découvres. J’ai retrouvé également des souvenirs en triant mes affaires. J’avais le temps. J’ai senti un élan de solidarité. Pour une fois, on était tous dans la même situation, tous pareils. Avec l’humain qui avait vraiment sa place d’humain. Des relations où ce n’est pas l’hypocrisie qui domine. De ne pas pouvoir être en lien avec les personnes ça permet de comprendre à quel point on y tient. Les gens te manquent, tu mesures plus ce qui a de la valeur dans la vie. La famille, l’amitié. Des relations qui sont précieuses. J’ai senti beaucoup d’émotions autour de moi la première fois qu’on s’est retrouvées. On a été mis face à la réalité. La vie, et la mort…. On le sait mais ça a permis une plus grande prise de conscience. Dans le quartier, un petit collectif s’est organisé pour que personne ne soit oublié. Le mari de Nabila y a participé. Une somme d’argent a été récoltée entre les habitants, durant toute la période du confinement, pour proposer des colis alimentaires à ceux qui n’avaient plus rien. Cette solidarité s’est prolongée durant toute la période du ramadhan. Des familles préparaient chaque jour des repas que des bénévoles de la mosquée distribuaient. Le regard des gens a changé. On est tous pareils avec les masques. Le port du voile qui était choquant auparavant a trouvé sa place comme une mesure de protection nécessaire aujourd’hui. Ca fait du bien la fin de ce racisme! Ce que je retiens surtout du Covid c’est le développement des solidarités ».

Une annonce que nous n’avons pas su anticiper: le coronavirus s’est propagé partout dans le monde! De l’épidémie annoncée en Chine, nous découvrons que la pandémie va immobiliser toute l’activité humaine! La veille du discours présidentiel qui annonçait l’injonction à l’auto enfermement, nous étions sur le terrain avec les familles, c’était un Samedi. Nous avions prévu des petites mesures d’hygiène: de l’eau, du savon pour encourager les enfants à se laver les mains. Les verres et le goûter étaient restés au garage. Le lundi tout le monde devait rester confiné chez soi!

Zahia: « Je vais vous exposer mon ressenti sur la situation actuelle qui est inédite et déroutante à la fois. CONFINEMENT. Un mot que beaucoup de gens ne connaissaient pas , mais qui allait mettre tout le monde, oui le monde entier dans une situation de retrait social , physique et économique pour cause de crise sanitaire mondiale. Ce virus a fait des millions de morts dans le monde sans distinction de lieu,de race, de couleur, de richesse ou de pauvreté. Tous les continents ont été touché, toutes les populations ont vécu cette situation inédite et particulière. Confinement, un mot que je ne connaissais pas . On a tous été obligés de nous confiner, tout s’est arrêté! On aurait cru être dans un film américain d’apocalypse! On a pu remarquer que même les grandes puissances mondiales, les pays dotés des dernières et meilleures technologies n’ ont pas pu échapper à la contamination de ce nouveau virus . Un virus venu de Chine et qui a provoqué une pandémie mondiale, une contamination à laquelle personne ne s’attendait et n’était préparé. J’ai été choquée d’entendre tous les soirs vers 20h00 , le Professeur SALOMON qui venait nous annoncer , nous énumérer le nombre de morts par jour. L’ image de l’alignement des cercueils dans une longue fosse aux Etats -Unis à été impressionnante. Tout le monde : riche comme pauvre, adulte comme enfant, patron comme chômeur, toutes les nationalités , toutes les cultures et toutes les religions du monde ont été touchés. L’Humanité sans aucune distinction et cela doit nous amener à réfléchir sur notre façon de penser, sur notre rapport à l’ autre , sur nos dirigeants etsur notre avenir surtout. Rien n’ est acquis , l’ Homme restera toujours vulnérable sa connaissance, son intelligence, malgré le progrès . Il faut réfléchir sur le sens même de la vie et sur notre rapport aux autres. Une chose positive , c’ est que cette expérience nous a permis de réfléchir et de nous recentrer sur l’essentiel, et non sur des choses éphémères. BON COURAGE A TOUS ».

Devant la bonne volonté manifestée par le plus grand nombre, d’utiliser ce « temps libre » imposé pour apprécier les petits plaisirs de la vie familiale, nous avons vécu la première semaine comme une opportunité. Pour notre vie d’équipe, comme pour l’ensemble de notre collectif, nous avions enfin du temps! Ce temps qui nous manque toujours pour enrichir notre site de témoignages; pour finaliser des projets tous ensemble, en réfléchissant aux enjeux, en prenant en compte l’avis de chacun; pour s’astreindre à rédiger les bilans exigés par chaque financeur; pour organiser des vacances dignes de ce nom…. Nous avons mis en place des temps de réunion plus fréquents pour tenter de répondre à la complexité de ce nouveau contexte. Car pour construire des actions qui répondent aux besoins réels, et qui deviennent transformatrices, les temps consacrés à la discussion sont essentiels, déterminants. Nous avons besoin de la capacité de chacun à comprendre, analyser, proposer. Nous avons pris également le temps de téléphoner à chacun et à chacune. Nous avons partagé ainsi des moments d’intense intimité, à parler de nos conceptions de l’existence, de ce qui avait du prix à nos yeux, et de ce qui était ressenti comme une difficulté… Des échanges en vérité qui renforcent les relations. Très paradoxalement, malgré la conscience d’avoir à traverser un moment difficile, inédit et plein d’incertitudes, les premiers jours ont été vécus comme un souffle un peu nouveau. Nous avions le sentiment, en acceptant de bonne grâce cette lourde réduction de nos libertés, cette limitation volontaire de nos déplacements et de nos relations, de participer à cet effort collectif pour vaincre cette maladie inconnue. Nous trouvions notre place dans cette épreuve qui nous concernait tous. Nous étions comme tous les autres. La question des lieux de prières fermés à tous concernaient les citoyens de toutes les confessions. Il n’y avait plus ce discours sur les musulmans qui, par leur pratique, semblaient pour certains, contrevenir aux valeurs de la République. Nous devenions un peu égaux.

Bertrand: « Guerre », « confinement », « Gestes barrières » et « mesures de distanciation sociale »… Autant, à titre personnel, le confinement m’a permis de vivre un temps unique de repli familial tourné vers des choses plus essentielles, avec un rythme de vie beaucoup moins épuisant. Autant en ce qui concerne mon engagement à Terrain d’Entente, au fil des jours, je m’épuisais à ne rien faire et trouvais de plus en plus difficile le fait de ne plus faire vivre les projets de l’association, les actions qui faisaient mon engagement. Les termes utilisés par notre système gouvernant pour justifier la gestion de la crise, étaient aux antipodes de ce que peut / veut proposer l’association : • « Confinement » alors que nous faisons le choix d’être dehors de manière inconditionnelle. • « gestes barrières » et « Mesures de distanciation sociale » alors que l’association lutte depuis 9 ans pour casser ces barrières et processus de distanciation déjà existant et enclavant socialement les habitant-e-s des quartiers. • « Guerre » alors que nous appliquons des principes de non-violence et sommes convaincus que la guerre ou l’affrontement visant la destruction ne sont en rien précurseurs de paix ou retour au calme. Ceci, cumulé aux nouvelles lois en vigueur interdisant ou limitant drastiquement nos déplacements sur l’espace public, la mise en place de nos actions devenait impossible. Cependant, les difficultés sociales que vivent des personnes fréquentant l’association étaient toujours d’actualité et le manque de services proposés sur le quartier devenait inquiétant. Ainsi, les premières semaines, nous avons essayé de concevoir nos missions à distance par le biais d’appels et conférences téléphoniques. C’était loin d’être suffisant, on captait les difficultés rencontrées par chacun mais restions impuissants à pouvoir y apporter des réponses collectives. Seules les projections sur des périodes futures soulageaient mon implication au sein de l’association : organisation de l’été et de l’année prochaine. On pouvait alors imaginer des jours plus libres. Finalement, juillet et août seront bien plus compliqués à projeter puisque à priori les voyages à l’étranger seront annulés. Il faudra revoir nos prévisions de fréquentation à la hausse, sans être sûr d’avoir des moyens supplémentaires…

Claire: Les trois premières semaines du confinement, la commission vacances a continué de se réunir. Nous avons eu trois réunions téléphoniques, grâce à Ramzi qui organisait ce temps : Bertrand, Ramzi, Fatiha, Stéphanie et Claire. Nous avons bien travaillé durant ces réunions, prévisions des séjours, du nombre de personnes, établissement des budgets : locations, transports, loisirs, nourriture… bref, tout comme l’an dernier, sauf que nous n’étions pas dans la même pièce mais chacun chez soi !ça nous faisait du bien de se retrouver au téléphone, et aussi de mettre en forme des projets pour l’été 2020, même si nous n’étions pas du tout certains que tous seraient possible avec ce satané virus. Une grande occupation a été aussi de chercher des idées de sites où l’on trouvait des activités pour les enfants qui puissent être réalisées avec ce que l’on a à la maison, des sites d’activités sportives à la maison pour les adultes, les enfants.

Au cours de nos longs entretiens téléphoniques, nous avons entendu aussi d’autres témoignages. Plusieurs de ces pères et de ces mères allaient devoir poursuivre leur travail: vider nos poubelles, remplir les rayons des super marchés, assurer le ménage et la désinfection des locaux, se rendre auprès de nos aînés pour en prendre soin. Les « premiers de corvée » n’ont pas eu de répit, bien au contraire. Les annonces en boucle des morts qui augmentaient, des hôpitaux saturés, des malades qui ne pouvaient pas tous être accueillis en réanimation, ont eu raison de notre premier élan de bonne volonté.

Amel: « Les deux premiers jours de confinement ont été très difficiles. J’étais malade, j’avais besoin de me reposer. Les enfants n’avaient pas l’habitude de rester enfermés à la maison. Quand ils voulaient sortir je leur disais « si vous sortez, vous allez m’apporter la mort! ». J’ai eu mal de les retenir, surtout les adolescents pour lesquels c’était le plus difficile. Les deux plus grands avaient envie de faire des jeux sur la play en même temps, ils étaient beaucoup en conflit. Peu à peu, on a trouvé un mode d’organisation. Dans notre appartement, nous n’avons pas de balcon. Il y a une petite cour pour tous les habitants de l’immeuble, mais nos enfants n’y allaient pas. Ils ont passé un mois, sans voir le soleil! Puis leur père les a sortis un par un, pour qu’ils prennent un peu l’air. Le sport à la maison, c’était difficile, on avait peur de déranger les voisins. Durant deux mois, je n’ai pas vu mes voisins. J’ai fini par leur envoyer un mail pour prendre de leur nouvelle. Les réseaux sociaux m’ont aidée. Il y a plein de choses à partager. J’ai apprécié tous les liens que j’ai eu avec les autres grâce à face book, « whatsapp » , le partage de vidéo avec les femmes de terrain d’entente. On se passait le « bonjour » avec l’association « vélo en quartier ». J’ai beaucoup écouté les informations pour savoir ce qu’il se passait dans le monde. Entendre que peu à peu, il y avait moins de morts, ça m’a rassurée. Je ne me suis pas sentie en difficulté pour aider mes enfants dans leurs devoirs, mais il y en avait trop, avec des limites de temps imposées pour réaliser certains exercices. On me demandait de chronométrer ma fille qui est en CE1!. On n’arrivait pas à tenir les temps. J’étais inquiète. Ca remplissait toute la journée, j’étais pas préparé à faire tout ça. Et j’avais autre chose à faire: le ménage, la préparation des repas pour 6 personnes. Je me suis organisée. J’imprimais tout le travail scolaire le matin. Mais nous nous sommes retrouvés en panne de cartouche. Mon mari a parcouru toute la ville, dans plusieurs grandes surfaces, il est allé jusqu’à Andrézieux et finalement il a trouvé la dernière cartouche, mais elle était en couleur, ce qui nous a coûté plus de 40 euros!. Il l’a achetée, on n’avait pas le choix. Le matin je faisais le travail de la maison pour toute la famille, et l’après midi , le travail de l’école qui nous prenait 6 heures par jours. C’était très dur de devoir sortir avec un virus qui circule. Les rares fois que je suis sortie, c’était très calme. Il y avait très peu de personnes dehors. L’air était lourd. Je sentais que beaucoup de morts circulaient. J’arrivais pas à marcher. Je suis sortie avec un masque, des gants, j’avais peur de toucher quoi que ce soit. Je ne savais pas vraiment comment ce virus se transmettait. J’avais trop de questions sans réponse. J’avais peur d’ouvrir les fenêtres avec le virus qui circulait, c’était étouffant. Mon mari sortait une fois par jour. L’enfermement était très dur pour lui. Au début il s’est occupé de faire des réparations dans l’appartement. Il aime beaucoup bricoler, mais on n’a pas de place pour ça. Tous les examens que je devais passer pour mes problèmes de santé ont été annulés. J’ai été rappelée au bout de plusieurs semaines. Mais certains examens n’ont pas pu être encore réalisés, il faut attendre encore, après le déconfinement. Je n’ai toujours pas eu de rendez vous. Ce qui m’aurait aidé, c’est d’avoir une maison avec un jardin pour que les enfants puissent profiter de l’extérieur. Le confinement nous a donné le temps de réfléchir. A tout ce à quoi on tenait, de ce qu’on avait « avant ». Notre liberté de sortir. On n’en tenait pas compte avant: le plaisir de partager le trajet de l’école avec les enfants, de voir les gens….Tout ça nous a manqué. Le confinement m’a donné le temps de réfléchir sur ce qu’il y a de mieux à faire. Nos réunions au café des femmes, c’étaient des moments ensemble. Des moments de partage, d’échanges pour savoir ce qu’il se passe. Il faut changer notre vie après le confinement. Je voudrais faire beaucoup de sport pour prendre soin de ma santé. Je voudrais avoir la liberté de sortir pour faire des choses pour moi même et pour les autres. Pour aider. Donner de mon mieux. Laisser de bonnes traces. Est-ce que j’ai fait du mal? Est-ce que j’ai demandé pardon? Est-ce que j’ai fait du bien? Quel est le sens de ma vie? On réfléchit pour mieux donner. Le virus est venu comme ça, il attrape des innocents qui n’ont rien fait. On réfléchit chaque jour à la mort, on se dit qu’on va mourir dans son lit. Mais mourir comme ça c’est trop difficile. Chaque jour je priais pour ne pas mourir dans le corona. J’ai vu comment ils traitaient les morts avec du désinfectant. Ils les mettaient ensuite dans un sac en plastique. Pas de famille pour entourer le défunt. Pas d’amis. C’était l’armée qui s’occupait d’emporter les corps et qui circulait la nuit. Personne ne savait qui était dans les camions. Si c’était mon père, je ne sais pas dans quel camion il est! C’est comme s’ils jetaient les morts. Les morts, ils ne méritent pas ça! Dans ma religion, il faut les traiter au mieux, les honorer. Aujourd’hui, c’est le déconfinement et je ne me sens pas libre. L’état nous dit « vous allez sortir 3 semaines en test » Qu’est ce que ça veut dire « en test »? C’est pas normal de faire prendre des risques aux gens! Le virus il est toujours là! C’est pas logique de « tester » les gens! Allez, sortez! Tout le monde va dehors! Et le virus, il est où? Est ce qu’il y a des médicaments? Est ce que c’est sûr que toute la France est désinfectée? Tester les gens? Ils attrapent le virus et ils meurent. Certains n’ont plus de symptômes. Qui peut savoir que telle personne est porteuse du virus? On ne doit plus s’embrasser, plus se serrer la main. On sait que les chinois ne se serrent pas la main. Mais le virus il vient de là! Au début, ils disaient que les enfants sont porteurs du virus. C’est pour ça qu’ils ont arrêté l’école. Mais aujourd’hui ils ouvrent les écoles. Moi, je suis une personne malade. C’est sur qu’ils vont se toucher les enfants! Un porteur de virus touche une table, et c’est bon! Le virus vit 3 heures sur un meuble. Le masque est une protection. Le lendemain ils disent que non! C’est juste les personnes malades qui doivent se protéger d’un masque. Je ne comprends pas: le masque, c’est une protection pour moi ou pour les autres? Est ce que le masque suffit? Ils disent: « il faut porter des gants ». Quand je suis allée à l’hôpital pour faire soigner mon fils qui s’était blessé, les soignants m’ont interpellée en m’expliquant que les gants c’étaient des conducteurs du virus! Il fallait prendre du gel. mais il y avait des ruptures de stock! J’ai donc touché des portes, sans pouvoir me nettoyer avec du gel, et je suis rentrée chez moi le virus à la main! J’ai finalement pu acheter du gel en pharmacie qui coûtait 4 fois plus cher! Les gens de la STAS, les soignants, ils ont une protection transparente sur le visage. Pourquoi eux et pas nous? Pourquoi l’Etat n’a rien fait? Les masques qui sont distribués dans la rue ne sont pas protégés d’une enveloppe en plastique, et les gens mettent ces masques exposés à l’air libre, directement, sur leur visage! Est ce que c’est vraiment une protection? J’ai peur.

Nous avons été également témoin d’un drame. Une grand mère que nous connaissions tous et qui nous a quittés, suite à un arrêt cardiaque. Les règles du confinement ont interdit toute manifestation d’empathie pour sa famille, aucune visite, aucune présence n’ont été possible. Un enterrement provisoire a été assuré, sans savoir à quel moment cette dame pourra retrouver sa place parmi les siens en Algérie. Un deuil qui n’a pas pu se faire. L’une de ses filles en a subit un très lourd préjudice. Le souffle s’est transformé en sentiment d’oppression, la peur s’est installée dans de nombreux foyers. Sortir de chez soi devenait un vrai supplice. Alors nous avons continué à faire ce qui nous mobilise depuis toujours: rester « présent », accorder beaucoup d’attention à ce qui se manifeste, pour tenter d’y apporter des réponses.

Aïda : Durant cette période de confinement j’ai été en contact avec les pré-ados via les réseaux sociaux, nous avons créer un groupe afin de pouvoir partager des informations aux jeunes ou bien parler tous ensemble des difficultés qu’ils pouvaient rencontrer pendant le confinement. Il y a eu pour eux deux gros problèmes : le premier est le fait de ne pas pouvoir sortir. Eux qui étaient très souvent dehors ont mal vécu le fait d’être « enfermé » (Cilia : « chui comme une folle chez moi en plus il fait beau sa mère dehors »). Le deuxième problème: l’école à la maison, suivre les cours à distance, les multiples devoirs donnés par les professeurs à rendre rapidement même pendant les vacances! et les difficultés qu’ils ont rencontrées pour les faire (Asma : « J’en ai marre, je te jure je suis fatiguée, j’ai fait beaucoup de travail en plus taleur j’ai eu cours, en plus j’ai fait des exercices, j’ai trop fait pour aujourd’hui! ») (Mehdi : « c’est trop les devoirs même pendant les vacances ils nous en donnent plein ») . Grâce à ce contact que nous avons gardé via les réseaux, certains jeunes ont demandé de l’aide pour pouvoir faire leurs devoirs que nous avons tenté à distance, nous avons pu tous ensemble faire des jeux pour se divertir et pendant un moment oublier la situation dans laquelle nous étions.

Marion : Au fur et à mesure que les semaines passaient je tenais à proposer aux familles des activités pour les jeunes enfants. Ayant une connaissance plus particulière des tout-petits je me suis lancée dans une chasse aux activités. J’ai alors recueilli un grand nombre d’activités, que je mettais « en forme » pour qu’elles soient simples à réaliser. L’équipe transmettait ensuite ces activités aux familles. J’ai eu quelques retours « Il en faudrait pour les plus grands » «C’est génial je peux faire des activités avec mon enfant je n’en fais jamais, il est petit ». Ces remarques intelligentes m’ont poussé à élargir mon éventail de propositions ! Plus tard, avec les écoles qui donnaient toujours plus de devoirs, les activités que j’envoyais n’avaient plus trop de sens, à part surcharger les familles encore plus dans leur culpabilité de ne pas trouver le temps pour faire des activités. Du coup mes recherches ont été réalisées pour pouvoir porter des activités simples pendant les « terrains » !

Fyala: « Le 16 mars la France est confinée, les enfants doivent rester à la maison mais restent en contact avec l’école grâce à Internet pour suivre le contenu des leçons et devoirs. Chaque jour, les devoirs tombent comme de la grêle! Chaque enseignant exige des élèves ( mes enfants : PS-CM1-6eme- seconde, terminale) un travail fait et rendu pour chaque matière. Les deux grands travaillent seuls dans leur chambre. Ce n’est qu’après quelques jours que je me rends compte que je ne vois presque plus ma fille, qui est en terminale, sortir de sa chambre. Je lui pose la question, elle me répond quelle est débordée, le travail demandé est plus lourd que d’habitude, et qu’elle doit toujours être à jour dans son travail et présente quand il y a classe virtuelle. Pour les deux plus jeunes je m’ appuye sur mon mari . Il est chargé de télécharger leur travail scolaire. L’imprimante n’arrête pas: elle imprime les leçons et les exercices chaque jour et pour tous les enfants! Au bout de quelques jours l’imprimante n’a plus d’encre. Nous ne trouvons plus de cartouche sur le marché, il faudra attendre une semaine pour en trouver à nouveau. A la maison les enfants se bagarrent entre eux pour avoir le PC ou l’ordinateur pour le travail de l’école mais aussi pour tuer le temps en regardant des séries , des films ou jouer. L’ordinateur ne supporte pas, il surchauffe et s’arrête. Les jours passent, ils se ressemblent , enfermés entre quatre murs les enfants se lèvent tard ils dorment jusqu’à midi mangent et font leurs travail en traînant les pied , le soir tombé je remarque qu’ils ne dorment plus au heures habituelles. Ils veillent jusqu’à l’aube. Je n’arrive pas à coucher la plus petite avant minuit. Le matin je trouve la cuisine en désordre se sont les enfants qui se mettent à cuisiner à trois heures du matin quand ils ont un petit creux ou pour se faire plaisir . De mon côté j’essaye du mieux que je peux de suivre la scolarité de mes enfants qui sont en CM1 et 6eme. Je trouve que c’est dur, ça me stresse et me fatigue. La maîtresse de mon fils a mis peu à peu en place une classe virtuelle une fois par semaine. Je compte sur ma fille pour mettre le code de la réunion sur l’ordinateur tandis que moi je me transforme en policier pour faire régner l’ordre lors de la conversation : interdit de déranger, de parler et surtout ne pas se bagarrer! C’était vraiment un moment de tension chez nous pendant une heure . Pour le travail de ma fille qui est en petite section de maternelle, j’ai baissé les bras. Bien sûr je travaillais avec elle mais à ma façon. Son maître m’a téléphoné pour m’encourager à suivre le travail numérique. Alors j’ai fais de mon mieux je l’ai inscrit a « educartable » et depuis nous travaillons ensemble. Aujourd’hui le confinement est terminé les enfants vont reprendre le chemin de l’école. J’espère que tout ira pour le mieux pour eux, pour moi et pour le monde entier. AMEN. »

Ramzi : Il était évident que le télétravail pour lutter contre l’exclusion et la misère des uns et des autres allait être un coup « d’épée dans l’eau ». C’est pourquoi en discutant en équipe et avec les familles, nous avons pu identifier diverses besoins pour lesquels les jeunes pouvaient contribuer en donnant un coup de main en ces temps difficiles. Ainsi après sondage auprès des jeunes via les réseaux sociaux, je leur ai proposé d’aider des personnes vulnérables et plus particulièrement sur la tache des courses alimentaires pour éviter aux plus fragiles de se mettre en danger. De manière très spontanée la stricte majorité m’ont répondu : «Ramzi on est chaud ( partant) ». Adem ajouta « mais on va pas faire ça gratuit ». D’autres étaient un peu plus direct Mehdi :« je gagne quoi moi je suis pas un pigeon» Certains étaient sur d’autres réflexion du type « c’est sûr ces gens font zerhma (exprès) d’être dans la merde, ils ont pas besoin nous ». Ou plus simplement Fares « je veux bien aider si tu me fais un tour de vago (voiture )». Après discussion j’ai donc invité les uns et les autres à tenter l’expérience dans la mesure où ils avaient plus de temps que d’habitude en cette absence d’Ecole. Face à cette sollicitation la stricte unanimité des jeunes que j’avais contactés étaient près à être solidaires. Dès lors il nous fallait juste trouver les modalités d’organisation collective afin de créer une sorte de communauté d’entraide. Le leitmotiv était « frère y a rien à faire faut bien servir à quelque chose ». Malek D’autant plus que dès la première semaine et l’entrée en vigueur rapide de l’interdiction de tout déplacement non justifié, plusieurs jeunes du quartier avaient déjà subit des amendes de 135€ pour non respect du confinement car ils étaient dehors seulement au quartier. A ce moment-là avec les jeunes, nous étions d’abord beaucoup en contact via les réseaux sociaux. Je leur envoyais régulièrement des petites vidéos de sport à faire chez soi, des clips de musique véhiculant des messages éducatifs ou simplement marrants. Certains se plaignaient en effet des amendes. Malek me dit « les keufs s’ils auraient notre âge c’est sûr ils auraient pris des amendes comme nous » Adem lui répondait : « frère de toute façon on les paiera jamais ». Un autre jeune a profité du confinement pour construire avec des potes un projet musique. Il s’est donc mis à faire lui-même du rap. Younes m’envoyait ces petit extraits en me disant « regarde ma musique est mieux que tout le monde mais je suis pas connu». Une phrase de résilience! Cela me faisait penser à cette urgence de valoriser ces jeunes et en même temps de les encourager à persévérer dans leurs efforts. Nous avons donc demandé à ces jeunes de nous aider à aider les autres afin qu’on puisse nous mêmes les aider en retour durant les vacances d’été. Bon nombre d’entre eux ne vont en effet pas pouvoir sortir du quartier. Cette entre aide a donc commencé dès la deuxième semaine du confinement et perdure encore à l’heure actuelle. Concrètement et dans le respect des normes sanitaires ( masque, gel hydro alcoolique, distanciation sociale, attestation de déplacement), deux fois par semaine, je prenais avec moi un à deux jeunes pour faire les courses à des personnes très vulnérables que nous avions identifiées en amont ( assez âgées ou malades voir sans moyen de locomotions) sur le quartier de Tarentaize. Avec les familles je préparais une liste de course et je la partageais entre jeunes qui étaient en autonomie, même s’ils pouvaient compter sur moi en cas de difficulté. Grâce à ces petites expériences j’ai pu voir à quels points ces jeunes étaient compétents et qu’ils pouvaient réellement aider. Youcef savait où était placés la plus part des produits en grande surface, chose que seul j’aurais mit 4 fois plus de temps à trouver. Il me disait même : « t’inquiète quand il faut être op je suis op ( opérationnels) ». Ichem qui était réticent au départ à l’idée d’aider « gratuitement » m’a fait cette remarque dès sa première intervention « Ramzi c’est pas normal dans cette vie on laisse des grands mères porter des bouteilles de gaz toutes seules ». Dans ce cadre au service de l’intérêt général, les familles étaient ravies de laisser sortir leurs adolescents qui en avaient cruellement besoin. C’est ainsi à travers ces petites solidarités que plusieurs adolescents ont pu trouver une place certes ponctuelle, mais qui avait du sens pour eux. En retour les personnes vulnérables ont pu ouvrir leurs portes à ces jeunes avec une confiance qui augmentait au fil du temps. J’ai encore cette image de cette dame qui donne de l’argent liquide à un jeune qu’elle ne connaît pas. Cela est à mon sens porteur pour l’avenir.

Notre volonté tout au long de ces semaines, a été « d’ouvrir des fenêtres », tenter de sortir du malaise de plus en plus envahissant. Les « vacances de printemps » approchaient, on venait d’apprendre que le confinement se prolongeait jusqu’au 11 Mai! Une perspective très inquiétante pour les enfants, beaucoup ne sortaient plus de leur appartement. Comment allaient-ils supporter cet enfermement dans la durée? Nous avons alors décidé de proposer des distributions de jeux, livres, coloriages pour apporter un peu de nouveau dans ce quotidien où les repères dans le temps devenaient plus diffus. Notre premier rendez vous au coeur du quartier a nécessité une semaine d’organisation! Dans cette fameuse »Attestation de Déplacement Dérogatoire », personne n’avait envisagé que les enfants pourraient avoir d’autres besoins que de manger, dormir et faire leurs devoirs. Nos échanges téléphoniques avec des agents de la Mairie, du Commissariat, et de la Préfecture, ont permis de faire reconnaître cette initiative comme nécessaire.

Bertrand: Las de ne pouvoir rien faire, nous avons adapté notre position à cette période, en passant du « faire avec » au « faire pour ». En effet, après avoir identifié des besoins prioritaires, nous avons imaginé quelques actions qui pourraient y répondre et nous permettre d’être présents sur le quartier : • accompagner certaines personnes dans l’incapacité d’effectuer leurs achats de premières nécessité • organiser des temps de distribution et d’échange quasi hebdomadaire de jeux de société, livres, puzzles, coloriages, attestation de sortie et matériel scolaire,… • transmis 22 ordinateurs sur le quartier à des familles dont les enfants n’arrivaient plus à suivre le travail demandé par leurs établissements scolaires. Je fus agréablement surpris par l’implication de nombreuses personnes et organisations qui ont accompagné de manière sincère et désintéressée nos différentes actions : • les brigades de solidarité de Saint-Etienne pour les récoltes de dons et la mise à disposition de militants qui nous accompagnaient à préparer et mener les distributions; • la fondation Abbé Pierre pour les fonds exceptionnels attribués à l’achat d’ordinateurs, de jeux de société et aide vitale; •une partie du personnel de la médiathèque pour avoir transmis des livres de très bonne qualité, en quantité; •la présidente de l’amicale Laïque de Beaubrun qui a effectué près de 3 000 copies; •ENVIE pour leur réactivité sur cette période de vie pourtant au ralenti, qui nous ont mis à disposition les ordinateurs.

Claire: La recherche de masques a mis à contribution des gens qui ne se connaissaient pas, certains ne connaissaient pas Terrain d’Entente et cela nous a donné l’occasion de nous présenter ! La solidarité a joué à fond, ceux qui ne pouvaient pas en faire car n’avaient plus de tissu, ou d’élastiques, nous donnaient un autre contact. Avant le 11 mai, nous avions 170 masques, donnés par : Philippe Léonard (110) le collectif Masquesaintetienne (50), et des couturières voisines qui ont trouvé tout naturel de donner de leur temps et de leur talent pour en confectionner aussi : UN GRAND MERCI à tous !!

Marion : La distribution commence avant tout par une réflexion, une installation, une organisation. J’ai pu aider à installer plus précisément trier encore et encore, les jeux, les livres dans une cohérence d’équipe jamais au complet pendant ces temps-là. Pour la dernière distribution toute l’équipe était présente et nous avons pu apporter du sourire sur des visages, des rires d’enfants, des discussions, des retrouvailles ! Je suis contente d’avoir participé à ce renouveau du quartier Tarentaise ! Malgré le fait que mon visage ne soit pas très connu, les gens me parlaient, me demandaient des conseils, me souriaient ! Je voyais comme une libération dans les visages, une libération de pouvoir sortir chercher des jeux, croiser les voisins !

Martin: Je n’ai participé qu’à la dernière distribution donc je ne peux pas m’exprimer sur celles d’avant. J’ai quand même ressenti une grande joie qui cachait une grande peur, il y avait la joie de se retrouver, de revoir ses amies, de pouvoir échanger des nouvelles mais il n’y avait qu’un seul sujet de discussion “Le confinement” et toutes les douleurs qui en ont découlé. Certaines des familles ont été “démolies” mais ces distributions ont peut être été le début d’une longue rémission qui soignera les cicatrices de cette crise.

Sur les trois temps de distributions réalisés, nous avons senti une belle évolution. Les rares enfants qui nous ont rejoins la première fois sont arrivés avec des manteaux d’hiver! Ils n’avaient pas remarqué qu’on avait changé de saison! Ils ne manifestaient que peu d’enthousiasme face à nos propositions. Cet appétit de vivre, tous ces élans qui les caractérisent s’étaient peut être un peu émoussés? Par contre les pères étaient beaucoup plus présents que durant nos rendez vous habituels. Ils sortaient pour laisser leur famille à l’abri! La deuxième semaine, nous avons retrouvé des mères, et des enfants plus demandeurs! Plusieurs avaient rapporté des jeux à échanger avec d’autres. Ils savaient que ce partage permettrait de vivre des journées plus lumineuses. Des dons ont ainsi circulé entre nous. Notre dernière rencontre nous situait déjà dans « l’après confinement ». Nous étions tous plus détendus. Plusieurs familles se sont un peu attardées pour discuter entre elles, et pour rire aussi!. Certaines ne s’étaient jamais croisées dans le quartier depuis toutes ces semaines.

Bertrand: Bien que ces actions aient été très bien vécues par tout le monde, j’étais mal à l’aise dans ce rapport de faire pour et ce manque de concertation avec la communauté que forme habituellement l’association. J’ai hâte de retrouver nos relations antérieures et ces rapports collectifs et démocratiques entrepris depuis toutes ces années.

Ramzi : Concernant les ordinateurs cela s’est fait à travers les nombreux appels téléphoniques. Mon coup fil se résumait à un simple « comment ça va en ce moment? ». Le plus frappant chez ces familles c’est qu’elles ne demandaient rien à personne et, malgré leurs précarités, elles étaient toujours prêtes à donner un coup de main. Zahia une maman de 5 enfants aidait une femme âgée et très malade depuis plus de 2 ans. Je lui ai donc proposé de l’épauler en ajoutant : « prends soin de toi » et là elle ma répondu « oui mais dieu compte le khir ( bien ) qu’on fait au autres pas à nous mêmes ». Pour d’autres comme Karima qui m’expliquait « smehli ( désolée) j’étais pas joignable car mes enfants font leurs devoir sur mon téléphone ». Safia:« ma formation pôle emploi d’habitude je la fais sur l’ordinateur là-bas maintenant je peux pas parce que ça marche pas sur le téléphone ». Ou encore Yakoub un lycéen en filière scientifique qui me dit « c’est chaud de faire mes devoirs vu que tout le monde chez moi utilise l’ordi ». Cela était valable pour l’ensemble des familles nombreuses qu’on connaissait. Collectivement, nous avons pu trouver des solutions. Yakoub me demanda s’il était possible d’imprimer des feuilles pour pouvoir réaliser son travail. Et des partenaires sur le quartier nous ont permis cela. Yakoub a pu récupérer l’ensemble de ses impressions et celles de ses potes. « Ahchum (c’est rien), c’est normal » Dans cette dynamique solidaire un autre jeune qui m’avait accompagné pour les courses a appris que la fondation Abbé Pierre allait nous permettre de financer des ordinateurs. « non, saha ( merci) Ramzi, propose aux autres, ils ont plus besoin pour moi c’est fini pour moi l’école de toute façon. ». Face à cette difficulté qu’a présenté le confinement pour l’ensemble de la population, ces quelques jeunes ont pu faire preuve de résilience au service de tous.

Bertrand: Durant mes interventions sur le quartier, j’ai perçu une évolution des visages d’enfants qui sur la fin du premier mois m’apparaissaient vidés et inertes, alors qu’au fil du deuxième mois et surtout après le début du ramadan ceux-ci me semblaient reprendre vie. Cela correspondait avec une pratique du confinement moins tendue, perceptible par le nombre de personnes dans l’espace public de plus en plus conséquent. Ce qui rassure sur les aptitudes à sortir d’une telle expérience, mais nourrit mon inquiétude profonde concernant les impacts de ces méthodes inadaptées à nos besoins sociaux pour celles et ceux qui ne sortent pas encore ou très peu. Quels seront demain les réactions des enfants d’aujourd’hui suite à cette expérience ? N’est-ce pas plus dangereux que les risques de contracter le COVID-19 ? De plus, le dé confinement est loin d’être ce que j’imaginais et notre retour « à la normale » est loin d’être clair pour notre association. L’évidence est que Terrain d’Entente doit continuer d’être présent malgré les mesures sanitaires, mais comment allons-nous pouvoir effectuer des gestes de protection? Comment être « collectivement responsable » à 1 mètre de distance ? Avec un masque et à moins de dix regroupés au même endroit ? Nous devons revoir notre organisation afin d’adapter nos problématiques sociales à la protection sanitaire des personnes les plus vulnérables. Et pour le coup, il ne faudra pas faire pour, mais bien refaire avec.

Les prix des produits de première nécessité ont doublé tout au long de cette période. Les familles ont du s’affronter à une nouvelle difficulté. Le manque d’argent pour subvenir aux besoins élémentaires. Dans ce territoire, comme dans bien d’autres, le quotidien est devenu difficilement supportable. Les discours des représentants de l’état se sont contredits à plusieurs reprises. Toutes les contraintes subies ont mis à mal l’équilibre de vie familial. Un sacrifice qui a coûté trop cher. Les discours présidentiels et de ses représentants ont perdu toute crédibilité. Dans ce contexte d’urgence sanitaire, il nous faut réinventer d’autres façon de faire et de se retrouver collectivement. Nous souhaitons maintenir ce qui fait sens pour nous dans l’acte d’éduquer: la co construction collective de notre environnement, de la vie du groupe. Et créer ensemble un espace sécurisant où les interactions sont possibles, où il est possible de vivre du collectif. Tout ceci ne peut se réaliser que dans la relation, le dialogue, et les ajustements permanents. Nous devons être des personnes ressources et organiser un espace où les enfants puissent s’échapper, rire, et être en sécurité. Nous ne voulons pas oublier les besoins et les droits des enfants. Le droit de jouer, de parler entre eux, d’exprimer leurs émotions, de manipuler des objets. Leur bien être psychique est aujourd’hui, notre principale préoccupation. Notre responsabilité d’adultes est de rendre la situation la moins anxiogène possible. Les protocoles sanitaires sont drastiques, ils nous semblent incompatibles avec le bien- être des enfants. Il nous faut prendre ce risque d’être présents avec eux, sur le terrain. Etre vigilants avec eux. Nous nous devons d’accompagner la dynamique de groupe dans le sens de la protection de tous. Nous souhaitons donc donner aux enfants les moyens d’apprendre des réflexes de protection et de bienveillance sanitaire vis à vis de soi même et des autres, qu’ils puissent s’approprier en dehors de notre présence. Plutôt que d’imposer des « gestes barrières », nous souhaitons leur transmettre des attitudes de précautions respectueuses des personnes les plus vulnérables. Les enfants doivent comprendre leur responsabilité dans la possibilité de transmission du virus. Plutôt que d’inspirer de la peur et de la culpabilité, nous souhaitons nous engager ensemble dans l’apprentissage de « prendre soin les uns des autres ». Les enfants doivent pouvoir reprendre prise sur un réel qu’on ne leur a pas suffisamment expliqué, et mettre des mots sur cette période de confinement qu’ils ont subi. On ne sait pas à ce jour ce qu’ils ont compris du virus et de cette obligation au confinement prolongé. Il est indispensable de parler, d’écouter et de partager notre position: notre prise en compte de leur besoin de jouer avec les autres, d’être dehors, notre envie de construire avec eux des temps de rencontre et s’interroger sur ce qu’il est possible de faire et de ne pas faire. Sur l’espace Jean Ferrat, qui est un espace public, ouvert à tous, nous avons organisé un conseil des enfants pour se poser ensemble certaines questions déterminantes: Comment on peut se dire bonjour? Rechercher des activités où on ne se touche pas. Comment s’organiser pour éviter de se retrouver à plus de 8, 10, sur le même périmètre? Comment éviter que tout le quartier soit malade? Nous en avons également discuté avec l’ensemble des familles. Ce temps a été également l’occasion de partager nos analyses avec ceux avec lesquels nous avions engagés des chantiers et d’envisager « l’après ».

La communauté éducative:

Des militants de la pédagogie Freinet, des acteurs de l’éducation populaire, ont organisé différents échanges sous forme de conférence téléphonique. Nous avons pu mettre en évidence que le projet affiché de la « continuité pédagogique » dans cette période de confinement mettait en difficulté trop de familles et d’enseignants. L’école s’est retrouvée isolée, à devoir construire quelque chose d’impossible. Alors que la « continuité éducative » aurait permis d’engager de nombreuses institutions. L’absence de coordination entre les différents secteurs de l’éducation, leur cloisonnement ont paralysé les initiatives. Les tentatives pour briser cet isolement sont restées marginales, alors qu’il était indispensable d’inventer des modes de « présence » auprès de ceux pour lesquels la situation est devenue rapidement anxiogène. Les injonctions institutionnelles ont concerné seulement l’école, laissant une fois de plus à penser qu’on n’apprend que dans ce lieu… Certaines mères de familles consacraient plus de 6 heures par jour aux devoirs. D’autres ne pouvaient matériellement pas faire travailler les enfants. Les enseignants avaient le sentiment de faire intrusion dans les familles et d’imposer une manière de faire, irrespectueuse du cadre de vie familial. Les incompréhensions se sont multipliées. La connaissance et le lien avec les familles par les différents acteurs de chaque territoire, aurait pu donner des indicateurs pour apporter un soutien adapté à tous ceux que cet enfermement dans le temps long oppressait.

Nos différentes places – enseignants ICEM, professionnels de collectivité, et militants de la pédagogie sociale- nous ont permis de comprendre certains besoins. Des actions de solidarité se sont organisées sur le terrain, en réponse aux problèmes matériels. Mais elles sont restées très marginales au sein d’une école, d’une association.

Tous ces constats confirment le caractère indispensable de la mise en place de centres de communauté éducative pour assurer la continuité éducative, notamment en direction des familles les plus impactées par la précarité. Nous engager pour faire alliance et trouver nos complémentarités dans une même conception de l’apprentissage. Tous les espaces de vie de l’enfant peuvent contribuer à construire des espaces d’apprentissage, de coopération, de mutualisation et d’entraide. Des espaces qui dynamisent chacun, enrichissent le collectif et construisent des savoirs susceptibles de nous permettre à tous de percevoir, qu’en dépit de nos différences, nous sommes tous appelés à participer à la construction du commun. Il nous faut donner à tous un environnement culturel de qualité, des situations plus riches et stimulantes. Nous souhaitons prévoir pour la rentrée de septembre l’ouverture d’un chantier pour construire les modalités d’un travail collectif avec les différents acteurs du champs éducatif.

Projet d’une alimentation de qualité accessible à tous.

Une rencontre entre des membres de la Fourmilière et des adhérentes de Terrain d’Entente avait mis en évidence une préoccupation et une volonté partagées pour favoriser une alimentation de qualité pour tous, qui contribue à la préservation de l’environnement. Malgré tout, depuis l’ouverture de ce magasin coopératif, et différentes tentatives pour organiser la découverte de cet espace, aucune habitante n’est devenue coopératrice. La situation très précaire de ces familles est l’explication essentielle de leur absence de participation concrète. La dynamique que Terrain d’Entente a initié depuis 9 ans permet d’affirmer qu’il est indispensable d’aller à la rencontre des gens, d’être présents sur les territoires pour rendre possible des actions transformatrices. La précarité est un vécu si contraignant que la tendance pour toute personne qui là subit est de renoncer à des besoins fondamentaux comme l’alimentation de qualité, l’accès à la santé, à la culture… Le projet VRAC (Vers un Réseau d’Achat en Commun) est présent dans différentes régions du territoire, il favorise le développement de groupements d’achats de produits de qualité dans les quartiers prioritaires de la Politique de la Ville. Il permet l’implication des adhérent.e.s dans le fonctionnement. L’objectif est de créer des rencontres qui produisent du plaisir partagé et non de l’anxiété autour des questions d’alimentation, de santé et d’environnement. Plusieurs acteurs impliqués dans d’autres collectifs sont partie prenante pour rendre possible ce projet qui pourrait se développer dans différents quartiers de la ville. Cette démarche ne deviendra réellement soutenable que si nous posons d’emblée la question financière pour les ménages et la rétribution juste des agriculteurs. L’alimentation de qualité, la préservation de l’environnement, la reconnaissance des travailleurs de la terre, la relocalisation de la production alimentaire, doivent être considérées comme une question de santé publique.

Ce temps long du confinement a contribué à aggraver beaucoup de situations familiales, pour toutes celles qui subissent depuis des décennies toutes les violences sociales. Cette période a mis en évidence l’inégalité d’accès face aux apprentissages de manière si catastrophique que certains pédagogues ont lancé des cris d’alarme en évoquant des situation d’enfants « morts scolairement »! La satisfaction des besoins alimentaires du quotidien est devenue une question centrale dans trop de foyers.

Terrain d’Entente s’indigne de ce maintien d’une vie à minima, pour tous les « bénéficiaires des minima sociaux » et poursuit son engagement auprès des familles, avec différents collectifs, pour refuser que ces inégalités continuent de se renforcer. Un engagement parmi beaucoup d’autres pour contribuer à construire notre avenir commun sur une planète habitable pour tous.

Josiane GUNTHER Le 10 Juin 2020

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Le confinement vu de Tarentaize, à Saint-Etienne

« Nous sommes en prison. Nous sommes dans nos appartements, mais en prison… ».

Les familles sont nombreuses à vivre cette période de confinement avec ce sentiment d’enfermement. Beaucoup de ces adultes parlent dans ces terme en connaissance de cause : des membres de leur famille, ou parmi leurs proches voisins ont déjà fait un séjour en prison. En prison,  il n’est possible de téléphoner aux proches, de prendre une douche, d’avoir des vêtements de rechange…. seulement sur des jours et des horaires imposés de manière souvent vécue comme aléatoire. Il n’y a pour les détenus et pour leurs familles, aucune prise sur la moindre des décisions. Tous se sentent dépossédés d’eux mêmes. La logique des délais, des refus, des accords, leur échappe totalement, avec le sentiment de subir des traitement injustes et indignes.

Au départ, cette période de confinement a bien été comprise par tous comme le respect  de règles sanitaires établies  pour protéger la population d’une menace très objective. Les familles ont manifesté leur bonne  volonté de participer à cet effort collectif pour empêcher au mieux la diffusion de ce virus mortel. Elles ont respecté strictement toutes les injonctions: le temps limité des sorties, les gestes barrière… 

Beaucoup ont entrepris un grand ménage de printemps, impliquant tous les membres de la familles. Les adultes ont organisé leur journée de façon à  prendre en charge les devoirs des enfants pour soutenir, au maximum de leur possibilité, les efforts des enfants à « poursuivre » leur scolarité. Ils ont changé les habitudes familiales en cuisant à plusieurs, en inventant de nouvelles recettes, en partageant les repas tous ensemble, à la même heure … Chacun recherchant ainsi la meilleure manière de traverser ce moment particulièrement anxiogène. Certains pensaient même que ce petit virus avait prit le parti « de ne pas toucher aux enfants, aux animaux, à la nature, à tous « les innocents » en fait! ».  Il s’attaquait par contre à ceux qui étaient  responsables des graves défis que nous avons aujourd’hui à relever, notamment la régénération de notre environnement qui  subit des destructions d’une ampleur considérable. Ces sentiments, ces réflexions, nous l’espérons, permettront de tirer des enseignements pour tenter de construire un monde plus habitable pour tous.

Mais ce temps de confinement, qui se prolonge, construit au fil du temps le sentiment de subir un enfermement de type carcéral. On subit les annonces en boucle du nombre de morts qui augmente chaque jour et qui donne « une odeur de mort à l’air qu’on respire« .

On subit  la répression policière qui sillonne en permanence le quartier « j’ai l’impression que chaque fois que je passe la tête par la fenêtre, j’aperçois une voiture de police« . On subit des moyens matériels tellement réduits qu’ils sont insuffisants pour satisfaire les besoins les plus élémentaires. Celui notamment de pouvoir s’alimenter chaque jour et qui devient aujourd’hui un luxe. Le périmètre et le temps de déplacement réduits, l’absence de voiture pour de nombreux foyers, obligent à se servir dans les commerces de proximité dont les prix ont doublés ces dernières semaines.

Le travail scolaire est devenu très rapidement problématique. Les rares familles les mieux loties, possèdent un seul ordinateur dont l’usage doit être réparti entre plusieurs frères et sœurs tout au long des semaines, ce qui démultiplie  les occasions de conflits. Beaucoup de familles n’ont pas la possibilité d’imprimer les attestations de dérogations indispensables pour pouvoir envisager la moindre sortie.

Depuis 5 semaines de nombreux enfants ne sont plus sortis ne serait ce qu’une demi heure par jour. Et tous ces enfants se retrouvent trop nombreux à partager des espaces extrêmement exigus. C’est une évidence, un enfant a besoin de bouger, c’est le propre de cette période particulière de l’existence. Le mouvement reste le moyen indispensable aux enfants pour vivre  des expériences essentielles pour appréhender et comprendre le monde et ses règles. Des règles qui sont censées être égales pour tous…. 

L’inquiétude des familles augmente quant aux capacités  à devoir encore tenir dans la durée avec toutes ces contraintes et ces difficultés. 

Ces colères, ces découragements, dans le cadre de Terrain d’Entente, on les partage régulièrement au téléphone. Des temps privilégiés où on peut dire en vérité ce qu’on ressent, les injustices subies mais aussi les  aspirations, celles surtout d’ une société plus égalitaire, où on n’oublierait personne, où on saurait construire des liens de fraternité plus solides et plus sûrs. 

Des échanges qui permettent de comprendre ce qui peut aider à tenir le coup dans ce temps long qui nous prive de l’essentiel : les liens, l’entraide. 

Nous avons pu ainsi organiser des petits services pour assurer les courses pour les personnes les moins valides. Quelques jeunes du quartier se prêtent à l’organisation de ces tâches. 

Ce n’est pas simple de réaliser ce petit projet avec eux. Ils ont trop pris l’habitude d’entendre que non seulement ils sont bons à rien, qu’ils nous dérangent,  mais aussi  qu’ils ne comptent pas pour nous. Ces jeunes qui n’ont accès ni à emploi, ni à la formation, ni à l’accompagnement se sentent abandonnés à leur sort. Ces jeunes qui dealent en bas des allées et que la police ne contrôle même plus…Ces jeunes qu’on ne protègent plus.  Ils sont donc réduits, pour obtenir un petit pécule,  à propager tous ces produits illicites. « Ces jeunes à qui ont n’accorde même pas le minimum vital qu’est le RSA! »

Et certains, malgré tout,  sortent de chez eux pour installer avec nous une bouteille de gaz à la voisine qui vient de sortir de l’hôpital, pour faire le plein de la semaine à la grand mère dont le mari n’a plus aucune motricité…. Ces quelques gestes apportent une respiration à tout un quartier, parce qu’on est fier de « nos jeunes » sur lesquels il semble qu’on puisse compter dans cette période où le temps s’est suspendu, où tout semble paralysé. C’est un petit bout de dignité retrouvée pour l’ensemble du quartier !

A notre demande, un beau mouvement de générosité s’est propagé dans les réseaux militants proches, pour récolter des jouets, des jeux, des livres, des coloriages de façon à ouvrir, aux enfants, une petite fenêtre sur l’extérieur, pour passer le temps des vacances. 

Curieusement, le jour de la distribution, ce sont les pères dans leur grande majorité qui se sont déplacés. Ces pères dont on doute souvent de leur capacité à accorder l’attention nécessaire à leur famille. Sur cette période où il est dit à longueur d’antenne que le danger nous menace à tout instant, ce sont les pères  qui sortent et qui protègent leur famille en prenant tous les risques. Ils font les courses, ils vont au travail, et ils choisissent des jeux pour leurs enfants.

Ce petit évènement extrêmement banal a nécessité toute une semaine d’organisation pour qu’il soit rendu possible. Les pouvoirs publics approuvaient la légitimité de cette action en direction des enfants. Mais le cadre des  attestations de dérogation  ne permettait pas cette sortie, bien que  très momentanée, du confinement.                                                                                  Le fait de pouvoir vivre des moments de détente, de plaisir, de découverte n’a pas été considéré comme « nécessaire » et « indispensable ». 

Aujourd’hui, les enfants et les jeunes  restent  les grands oubliés et ceux des milieux populaires en subissent le préjudice le plus lourd. Si les enseignants ont su maintenir le travail scolaire, avec les moyens dont ils disposaient, ils ont pu faire l’expérience  que ce contexte renforçait considérablement les inégalités. 

Par contre, pour les institutions, aucune autre question ne s’est posée concernant les besoins particuliers des enfants.  

De nombreux pédagogues nous rappellent régulièrement que l’enfance est caractérisée par la curiosité, l’ enthousiasme, la puissance créatrice. Cet élan de vie qui reste un point d’appuie déterminant pour chacun d’entre nous pour poursuivre notre marche en avant tout au long de notre existence.

Ne sommes nous pas en train de mettre en danger ce qui est essentiel en ne réfléchissant pas à comment permettre à ces enfants, dans ce contexte, d’exister pour ce qu’ils sont?

L’enfant, tous les enfants et les jeunes, ne sont pas des adultes en devenir. Ils existent ici et maintenant. Cet élan de vie qui les caractérise, et le fait de devoir prendre soin d’eux devrait porter la société toute entière! Et ce dans toutes les périodes plus ou moins tragiques que nous avons à traverser.

Josiane Günther 

le 19/04/2020

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Prenons bien soin les uns des autres, prenons soin du vivant!

Nous nous retrouvons aujourd’hui devant une menace tragique et mondiale, une pandémie qui évolue de façon fulgurante. L’essentiel  est d’arriver tous ensemble à surmonter cette catastrophe  avec le moins de dégât humain possible. 

Nous avons à saluer l’immense travail des soignants qui se retrouvent chaque jour, devant des difficultés incommensurables pour faire face et pour lutter contre cette contamination mortelle, avec de très faibles moyens.

Il est donc temps  de renforcer toutes les solidarités de toutes les manières possibles. De nombreux collectifs qui sont engagés auprès des populations les plus en danger, ont su être extrêmement réactifs dès l’annonce de notre obligation au confinement. Ils ont su interpeller les pouvoirs publics sur les questions essentielles d’approvisionnement, de mise à l’abri, de mesures d’hygiène et de protections élémentaires….De nombreux militants sont restés mobilisés et s’organisent chaque jour pour tenter de n’oublier personne.

Terrain d’Entente fait également le constat des forces de mobilisation qui émergent et se manifestent dans de nombreux foyers à Beaubrun /Tarentaize. Les familles, les jeunes inventent d’autres moyens de communication pour ne pas se retrouver totalement isolés, pour organiser toutes les formes possibles d’entraide .

Les jeunes qui sont souvent pointés du doigt pour leur absence de sens civique, pour leur mésusage de l’espace public…

Ces jeunes là sont prêts aujourd’hui à assurer les services qui vont devenir indispensables au quotidien des personnes les plus fragiles: les « anciens », les personnes handicapées…( les courses pour remplir le frigo, les médicaments à renouveler, les colis reçus à la poste…).

Il n’est pas certain que nous soyons en mesure  de trouver un mode d’organisation qui rende possible cette entraide. Le confinement restant la mesure la plus sûr de faire barrière au virus. Mais la bonne volonté de ces jeunes, dans cette période où le danger nous menace tous, nous permet d’espérer pour eux, à l’avenir, une véritable reconnaissance et une place. Plutôt que de maintenir notre réflexe de défiance et de mise à distance à leur égard, sachons considérer ce qu’ils savent nous manifester aujourd’hui, dans cette situation inédite, de leur volonté de participer et de contribuer  au mieux être de tous.

Depuis l’injonction au confinement, à Beaubrun/Tarentaize, via les réseaux sociaux, des messages quotidiens s’échangent,  des projets se dessinent. 

Plusieurs familles ont décidé d’inviter chacun, chacune à faire le tri dans les photos qui rappellent les souvenirs des moments que nous avons pu partager ensemble. Des évènements très divers: de la sortie « châtaignes », à la fête d’Halloween, des galettes sur le terrain à la fête du 31 Décembre, etc….!

Chacun, chacune va ainsi pouvoir enrichir notre site pour garder en mémoire ce que nous avons su développer tout au long de l’année. Des souvenirs qui vont nous aider à ne pas oublier que nous savons agir et  progresser ensemble. 

« On a le temps! »

Nous vivons dans un époque où tout s’accélère, où les questions d’efficacité se confondent avec la précipitation, le mouvement permanent, l’hyper activité. Ce temps de confinement obligatoire peut nous inciter à prendre le temps pour assimiler, s’approprier les expériences vécues, tirer des enseignements des actes que nous posons, des relations que nous construisons.

Dans ce retour aux souvenirs, nous allons pouvoir prendre le temps ensemble, d’apprécier, de mesurer ce que nous sommes en capacité de réaliser, pour poursuivre cette dynamique pour des jours meilleurs.

Pendant nos longs échanges téléphoniques, il est souvent manifesté par les unes et les autres,  la capacité à tirer bénéfice de cette promiscuité imposée. En famille, on retrouve le plaisir de cuisiner à plusieurs, de découvrir de nouvelles recettes, de faire des dessins, de partager les repas tous ensemble… On se parle plus. Ces relations plus intimes deviennent plus intenses. Quand on connaît l’exiguïté de certains appartements, tous ces témoignages forcent le respect.

Il est même prévu de tenter de réaliser notre « café des femmes » sous forme de conférence téléphonique! on serait ainsi à plusieurs à prendre des nouvelles des unes et des autres, à nous réconforter, à nous redonner du souffle.

Etre en capacité de trouver ce qu’il y a de positif dans les situations difficiles, c’est la force de tous ceux  qui ont à affronter un quotidien rude, parfois plein d’incertitudes, souvent menaçant. 

Aujourd’hui, nous avons besoin, plus que jamais, de nous nourrir de cette ressource là, qui rend possible de traverser ensemble bien des tempêtes.

Ce qui nous maintient en vie ce sont tous ces liens qui nous unissent grâce justement au fait d’avoir à prendre soin les uns des autres. Les personnes les plus vulnérables nous donnent à vivre ce qui est le plus essentiel à chacun pour pouvoir préserver son humanité. Sentir que l’autre, mon semblable a besoin de moi tout comme il est indispensable à mon existence.

En ces temps très troublés les informations sur les ondes nous révèlent les pires conséquences de la trajectoire néo libérale:  

 –    le témoignage poignant d’une soignante qui est condamnée à rester impuissante face à tous ceux qui se retrouvent seuls face à la mort, sans possibilité de pouvoir dire « adieu » à leurs proches  

 –    les projections du MEDEF qui, dans ce contexte, envisage de rendre les vacances obligatoires à tous ces travailleurs inactifs pour toute la période de confinement et prévoit dès cet été la relance massive de l’économie!

La relance de l’économie mondialisée des multinationales. Celle qui est responsable des déplacements permanents des biens et des marchandises à l’échelle de la planète. Ces transactions permanentes justement responsables de la diffusion du virus et de la pandémie qui s’est répandue à une vitesse foudroyante.

Pour arrêter ce jeu de massacre, nous avons des réponses concrètes. Sur tous les territoires des collectifs organisent  une économie de proximité qui peut devenir réellement opérante et contribuer avec efficacité à organiser un monde vivable pour tous. Toutes ces expériences construisent des actions à partir de problèmes identifiés, analysés collectivement. Elles font la démonstration qu’il est indispensable et possible de se réapproprier les enjeux de notre époque en agissant avec les autres. 

Toutes ces expérimentations qui se développent, nous permettent de mieux appréhender les modalités d’organisation des collectifs pour reconnaître et s’appuyer sur les ressources que  chacun pour développer des espaces adaptés aux enjeux d’aujourd’hui.

C’est au prix de tous ces efforts que nous pouvons espérer construire une vie qui réponde à la nécessité du respect du vivant, du respect de la dignité de tous.  

Prenons bien soin les uns des autres, prenons soin du vivant! 

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Pour que chaque enfant puisse trouver sa place

L’école est essentielle. Elle fournit à l’enfant des outils pour grandir, pour devenir indépendant, pour comprendre le monde qui l’entoure ».

C’est à l’occasion d’une rencontre entre parents d’élèves et enseignants qu’une mère, dont les 4 enfants sont scolarisés, a su trouver les mots pour traduire ce qu’elle espère de l’école pour le devenir des enfants. « Fournir à l’enfant des outils pour comprendre le monde qui l’entoure ». Cette personne donne à l’ensemble de la communauté éducative, l’opportunité de re questionner le sens des apprentissages, et d’identifier les savoirs à mobiliser pour ce projet d’envergure. Une aspiration de cette ampleur ne peut pas être la seule affaire de l’école. C’est une ambition qui nous implique tous.

Lire, écrire, parler, des aptitudes qui ont toujours été considérées comme les fondements de toute vie en société. Lire et écrire, c’est prendre du pouvoir sur sa propre vie, et sur tous ceux qui prétendent détenir la vérité. Savoir lire, c’est pouvoir vérifier, comparer, critiquer ; c’est pouvoir chercher soi-même l’information et accéder directement aux sources. Lire, c’est pouvoir voyager et rêver, découvrir le monde, les autres et soi-même. Écrire, c’est pouvoir exprimer ce que l’on pense et ce que l’on croit. La lecture et l’écriture sont ainsi pensés comme moyens de libérer le peuple de ses chaînes.

Mais aujourd’hui, lire et écrire sont devenus, pour des milliers d’enfants, une obligation fastidieuse, le début de l’échec, de l’exclusion. A l’école, en apprenant à lire l’enfant découvre aussi la concurrence et comprend que la réussite des uns ne prend sa valeur qu’avec l’échec des autres. Cette souffrance liée aux premiers apprentissages scolaires, cette méfiance qui se développe à l’égard d’autrui, ont des conséquences sur la construction de la personnalité et sur le comportement social de l’enfant devenu adulte.

Cette aspiration à comprendre et à maîtriser son destin, est devenue aujourd’hui, pour beaucoup trop d’enfants scolarisés, une contrainte inutile imposée par les adultes. Combien d’enfants rejettent l’écrit au profit de la télévision et autres écrans, sans d’ailleurs prendre la peine de consulter le magazine qui informe sur les programmes ?

La logique libérale a modifié le projet éducatif républicain. L’objectif final est d’adapter l’ensemble des formations aux intérêts du marché, contrairement aux belles valeurs affichées. Ce qui instaure une compétition féroce entre les enfants, les institutions, les éducateurs. Ce changement de trajectoire a été redoutablement opérant. Nos bases culturelles et politiques sont ébranlées, elles sont traversées par une crise des modèles éducatifs qu’ils soient familiaux, sociaux ou scolaires. Une crise aggravée par le recul des solidarités familiales et de proximité, par la baisse des moyens dont disposent les acteurs de l’éducation.

Le système scolaire est en plein paradoxe : il affiche un objectif de réussite pour tous les élèves à l’école , avec le socle commun de connaissances et de culture, et le choix pour tous de leur orientation. La loi de Refondation de l’écoleinsiste sur le caractère inclusif del’école, elle a l’ambition de se préoccuper de la réussite de tous. L’école est un service public pour tous les publics. Elle reconnaît que tous les enfants partagent les mêmes capacités d’apprendre et de progresser. Mais les actes posés par l’institution tendent à rendre impossible ces objectifs démocratiques: l’éducation à la compétition, les modalités d’évaluation, les conditions d’encadrement des élèves, les carences de la formation, le manque de personnel soignante te aidant etc…

Les enfants des milieux populaires sont majoritairement en difficulté d’apprentissage à l’école, ils subissent des orientations précoces qui les excluent de possibilités de réaliser des études en fonction de leurs aspirations.

L’école ne fait plus référence pour ces enfants qui vivent ce qui s’y passe comme sans rapport avec leur réalité, leur identité, leur culture, leur famille, leur condition de vie, leur avenir.

Les enfants qui n’ont pas été préparés à cette connaissance des codes et des attentes du système scolaire arrivent à l’école avec leur différence. Dès la maternelle ce projet les situe en difficulté, ils ne parlent pas bien, ils ne savent pas écouter et respecter les consignes… Le projet scolaire les sélectionne sur des compétences abstraites et organise un enseignement qui valorise le fait de pouvoir se projeter dans l’école et la société telles qu’elles sont. Ce système privilégie certains domaines au détriment des autres. Il y a un problème d’identification.

Ainsi, l’école n’arrive pas à atténuer les inégalités dues à l’origine sociale et culturelle, elle a même tendance à les amplifier. Chaque année, depuis 15 ans, plus de 100 000 jeunes sortent du système scolaire sans aucun diplôme. Et ceux qui échouent à l’école sont les exclus de demain. Des milliers de jeunes se retrouvent sans emploi, sans formation, sans accompagnement. Notre pacte républicain est en danger si on ne réduit pas les écarts. Lorsqu’on a on moins de droits que les autres, comment peut on accepter d’avoir les mêmes devoirs?

Ce n’est pas la capacité de l’enfant à comprendre qui est en jeu, mais la nécessité de connaître les normes spécifiques. Cette école n’offre pas, à certains enfants, matière à y trouver du sens. L’enfant peut réussir à l’école s’il sait faire des liens entre ce qu’il apprend dans les différentes sphères de sa vie, tant dans les principes éducatifs que dans les savoirs eux mêmes. Il est donc nécessaire de considérer l’enfant dans toutes ses dimensions.

Les enseignants ne peuvent pas faire la classe sans se soucier de la façon dont les élèves vivent la relation entre la culture qu’ils dispensent à l’école et celle de leur milieu familial. L’école doit tenir compte de l’environnement social.

Or, nous vivons dans une société cloisonnée, les différentes institutions, les structures associatives, sont trop souvent sans lien les unes avec les autres. Beaucoup d’enseignants ne connaissent pas le tissu social dans lequel vivent leurs élèves. Et ils ne prennent pas la mesure des difficultés. Certaines familles sont grande difficulté sociale, inquiètes, malmenées, préoccupées par un quotidien instable et incertain. Les enfants vivent dans un climat familial empreint de préoccupations quotidiennes multiples et parfois insolubles.

L’élève se retrouve dans une posture de conflit de loyauté qui bloque les apprentissages, et dans une double solitude. A l’école il ne peut pas parler de son environnement social, en famille il ne peut pas partager ses expériences scolaires.

Devant l’inadaptation croissante de l’école au monde d’aujourd’hui, un recours aux familles semble nécessaire. Pour identifier les besoins et adapter au mieux les pratiques, la parole des parents est indispensable. Une tentative se met peu à peu en place : la co éducation, l’ouverture de l’école aux familles. Il s’agit de construire une relation de confiance et de reconnaissance réciproque entre l’école et les familles.

Historiquement l’école a été conçue pour sortir l’enfant du cadre familial, et lui assurer le droit à l’apprentissage, au savoir, dans une visée émancipatrice, en opposition à l’influence de la famille.

Cette coéducation ne va donc pas de soi, elle se heurte même à de profondes difficultés. Dans la relation parents/enseignants les représentations envahissent et déterminent les relations. Les parents sont souvent saisis à partir de leurs défaillances et les professionnels sont encore hissés au statut d’experts. Et ils devraient pouvoir coopérer !

La question de la communauté éducative, de la place des parents reste très complexe à  construire et comporte des risques réels.

Face à ce qui met en cause le fonctionnement institutionnel, face au sentiment d’impuissance que les enseignants peuvent ressentir par rapport aux enjeux de « la réussite de tous les enfants »,  le risque de reporter la responsabilité à l’extérieur est permanent. Depuis de nombreuses années, des dispositifs fleurissent dans chaque commune, portés par différentes institutions,  pour organiser le « soutien à la parentalité »,  avec comme objectif essentiel de « responsabiliser » les parents dans leur fonction éducative, selon des modèles et des postures normés imposés.

La violence de cette injonction:  « Responsabiliser les parents », met en évidence le postulat de leur irresponsabilité. Ce climat de suspicion quant à la mauvaise tenue de la famille par les adultes, peut très facilement faire glisser sur ces parents  la responsabilité de l’échec d’une « école de la réussite pour tous ».  Ces parents qui ne répondent pas aux convocations, ces parents qui laissent les enfants sans surveillance, dans la rue, après l’école, ces parents qui utilisent sans discernement les écrans comme mode de garde pour leurs enfants, ces parents qui…..

C’est une posture adoptée de plus en plus systématiquement par les institutions responsables du champ éducatif. Elles font appel à la responsabilité parentale pour résoudre des difficultés pour lesquelles elles ne trouvent aucune solution adaptée. On évite ainsi de mettre en lumière l’origine des problèmes : les inégalités, source d’exclusion, qui continuent de s’aggraver.

Mais les familles ne sont pas moins compétentes qu’auparavant, elles sont par contre beaucoup plus isolées. Dans l’optique d’une transformation sociale, il est indispensable que la question de l’isolement de certaines familles devienne l’affaire de tous les membres de la communauté éducative.

Dans le monde enseignant, dans le monde associatif, de nombreuses voix s’interrogent sur d’autres alternatives pour l’école, ou plutôt avec l’école. Des alternatives qui relèvent le défi du devenir de chaque enfant.

Qu’est ce qui est important aujourd’hui pour que ces enfants puissent trouver une place dans le monde de demain, un monde que l’on voudrait meilleur, moins impitoyable, donnant une place à chacun?

Plutôt que de s’interroger sur les résultats des élèves, peut-on interroger sur les conditions d’enseignement et sur le projet d’école ? Il y a matière à s’ouvrir dans d’autres directions qui situeraient le projet scolaire et les élèves autrement.

Pour sortir du simple constat que l’école publique est un système toujours plus inégalitaire, nous devons créer une organisation pédagogique pour un système éducatif pour tous qui ne soit pas centré sur le tri et la sélection des meilleurs. Pour permettre à tous les enfants et les jeunes de devenir citoyens dans une démocratie, pleinement insérés dans la société. Favoriser l’inscription dans des projets qui dépassent le scolaire et redonnent du sens à l’humain dans son ensemble. L’avenir de tous sur la planète pourrait conduire un fil directeur.

Un des principes fondamentaux de la pédagogie sociale est de s’efforcer d’exercer de manière effective notre responsabilité collective dans l’éducation et la protection des enfants et des jeunes. Les différents acteurs du champ éducatif, les parents, sont invités à s’engager ensemble, à égalité pour se mettre à l’écoute des besoins et des aspirations manifestés par chaque enfant, chaque jeune et construire avec lui un cadre de vie adapté. Il suffit de se laisser guider par l’enfant lui même. A Terrain d’Entente, chaque fois que possible, nous accompagnons un groupe d’enfants dans une librairie du centre ville. Un bel espace dédié à tous ceux qui aiment lire, découvrir, apprendre. Un de ces moments magiques où nous nous laissons portés par l’enthousiasme des enfants, leur capacité d’émerveillement et surtout…. cette aspiration, cette envie de savoir, de connaître, de comprendre. Chaque enfant porte en lui ce puissant désir. Tous les enfants sont égaux face à cette profonde aspiration à voir plus loin, plus grand, à ouvrir de nouveaux espaces et à les partager avec d’autres. Il est impossible au système scolaire de porter seul cette lourde responsabilité d’accrocher ce désir, de lui permettre de s’épanouir et de porter tous ses fruits.

Pour tous ceux qui sont pris entre des idéaux et des contraintes institutionnelles, la question de l’éducation reste très complexe. Il est nécessaire de prendre en considération tous les acteurs qui tentent d’œuvrer tant pour la socialisation que pour l’égalisation des chances. Il s’agit non seulement de trouver des moyens de communication face à une population en grande difficulté sociale, mais d’adapter des pratiques éducatives face à des enfants inquiets, malmenés, préoccupés par un quotidien instable et incertain. Cette nécessité d’une approche globale de l’enfant dans son environnement familial et social relève de la responsabilité de tous les acteurs du champ éducatif qui doivent s’engager et s’impliquer dans ce travail s’ils veulent espérer de réels changements. Pour être dans de bonnes conditions d’apprentissage, l’enfant a besoin que se construise autour de lui une communauté éducative.

Il faut tout un quartier pour élever un enfant!

Cette invitation de l’ouverture de l’école aux parents peut nous permettre d’envisager une école différente,  plus humaine, et plus respectueuse de nos différences. Une école capable de se laisser interpeller par ce qui se vit autour d’elle, par ce que manifestent les enfants lorsqu’ils arrivent en classe. Une école qui sait écouter les difficultés réelles des familles et qui les prend en compte dans la façon de construire la journée à l’école, qui sait se saisir des ressources et en faire un appui dans les apprentissages.

C’est ce qui nous est proposé dans de nombreux travaux (cf. bibliographie).Il évoquent la relation école/famille en terme de parité d’estime.

Pour les acteurs de la pédagogie sociale, le but de l’éducation est de former un être apte à se gouverner lui-même, non un être apte à être gouverné par les autres. Nous voulons pour nos enfants toujours plus de formation afin qu’ils puissent affronter la terrible complexité du monde. Nous devons unir toutes les compétences pour y contribuer.

Josiane Gunther Janvier 2020

Bibliographie :

 – Frédéric Jésu, auteur du livre « Co éduquer: pour un développement social durable » Cet ouvrage est issu de l’expérience d’un pédopsychiatre de service public impliqué dans le champ des politiques sociales, familiales et éducatives. Il est destiné à étayer et à guider les initiatives des décideurs, politiques et administratifs, et des acteurs, professionnels et associatifs, impliqués de près ou de loin dans l’éducation des enfants et des jeunes. II s’adresse en particulier à ceux qui ont acquis la conviction que l’éducation ne peut et ne doit plus rester cantonnée dans des approches sectorielles et cloisonnées.

 – Catherine Hurtig Delattre, auteure du livre: « la coéducation à l’école, c’est possible » Réduire les tensions éducatives et relationnelles à l’école, au bénéfice de tous et notamment des enfants, de leurs apprentissages et de leur bien-être, est l’un des principaux objectifs visés par Catherine au fil de son ouvrage, qui s’avère constituer le premier véritable guide pratique de la coéducation à l’usage des enseignants et des parents.

– Jean-Paul Delahaye, Inspecteur général de l’Éducation nationale, auteur du rapport: « Grande pauvreté et réussite scolaire : le choix de la solidarité pour la réussite de tous » L’école face aux situations de grande pauvreté des élèves ; quatre leviers pour une politique globale au service d’un objectif unique : la réussite des élèves.

Publié par Terrain D'entente dans Texte de reflexion, 0 commentaire