Texte de reflexion

Les familles renoncent à leur devenir

Les familles renoncent à leur devenir

nous traversons une période de dépression sociale.

 

« Tu avais raison Josiane, je lui ai téléphoné deux fois dans la même journée, j’ai laissé chaque fois un message pour lui dire de me rappeler d’urgence et l’assistante sociale vient chez moi mercredi! »

Hamina ne prend pas le temps de saluer les différentes personnes présentes au café des femmes ce jour là, c’est trop important pour elle de nous faire partager cette victoire. Elle a su se faire entendre auprès de l’association qui s’était engagée à prendre en compte sa demande, il y a plus de 3 semaines. Elle a obtenu que quelqu’un du service se déplace à son domicile pour chercher avec elle des solutions. Ca a l’air de rien, Hamina a téléphoné à l’assistante sociale qui a fixé un rendez vous pour là rencontrer.

Mais ce n’est pas une mince affaire l’histoire d’Hamina. Elle vit seule, elle est porteuse d’un lourd handicap physique et elle est mère d’un jeune de 21 ans qui souffre d’un autisme profond. Il est placé en établissement depuis son plus jeune age, mais depuis ses 18 ans, il est difficile de trouver pour lui une solution d’accueil pérenne. Ce secteur de soin est saturé de demandes. Hamina doit prendre le relais et l’accueillir chez elle tous les week end, et sur des périodes de vacances de plus en plus longues, ce qui est physiquement impossible à assumer pour elle. Malgré ses incessantes interpellations auprès de différents services depuis deux ans,  elle n’avait obtenu aucune proposition d’aide. Au fil de nos conversations, j’ai finalement réalisé  qu’elle avait renoncé à espérer être entendue et prise en compte dans sa demande. Elle s’était résolue à accueillir son fils, comblant ainsi les carences des établissements sensés le prendre en charge, sachant que, dans la durée, elle ne pourrait pas faire face à cette trop lourde responsabilité. « C’est comme ça Josiane, il n’y a pas de solutions…. »

Et aujourd’hui, avec notre présence et notre soutien indéfectible Hamina a remporté une victoire! Elle n’a pas lâché, elle a su dire ce qui était important pour elle et sa demande a été prise en compte. Une triste bataille qui a duré deux ans et où bien souvent elle a risqué de capituler.

 

Cette situation, où les familles renoncent, abandonnent leur propre devenir, nous en rencontrons toujours plus. Une forme d’usure à devoir toujours se battre, se justifier, à ne pas se sentir compris et pris en compte dans les difficultés. Une forme d’usure à devoir toujours demander et attendre une réponse qui ne vient jamais. Une forme d’usure devant la complexité des démarches administratives où le numérique tend à remplacer dans toutes les administrations la possibilité de rencontrer et de s’expliquer devant une personne. L’usure d’avoir toujours à supporter et subir l’indifférence.

Cette forme d’abandon, nous en sommes témoins pour des situations très diverses mais qui chaque fois sont très préjudiciables pour le devenir des familles. Pour ce qui concerne les orientations scolaires, où le fonctionnement des établissements  est complètement étranger à la compréhension de certaines familles ; pour ce qui concerne des retards de prestations de différents services administratifs où les agents sont injoignables ; pour ce qui concerne des conditions de travail dégradantes ou des recherches de travail qui n’aboutissent pas….. Parfois nous entendons certains enfants qui se plaignent de n’avoir pas pu consulter le médecin alors qu’ils étaient malades, de ne pas avoir de rendez vous chez le dentiste, alors qu’une dent cariée les font souffrir depuis plusieurs jours… « on n’a plus de CMU« .

 

C’est en fait un abandon, un renoncement systémique. Les agents des services sociaux eux mêmes, face à leur impuissance à apporter des solutions aux difficultés manifestées, renoncent à assumer leurs responsabilités et oublient de rappeler au téléphone alors qu’ils s’y étaient engagés, perdent parfois les dossiers, reportent les rendez vous…. alors qu’ils se doivent  de garantir l’accès aux personnes les plus fragiles au meilleur service. Le travail social est conçu pour contribuer à améliorer les conditions de vie, réduire les inégalités, défendre les droits.

Comment peut on imaginer qu’il soit possible à tous ces agents des différentes institutions de devenir aussi négligents et de faire preuve de tout ce manque de rigueur dans leur travail?

Parce que ces adultes brisés ne vont jamais se permettre de les harceler jusqu’à obtenir gain de cause. Non, ces adultes brisés renoncent, ils ne se plaignent pas, ils ne manifestent aucune réaction intempestive, ils s’éteignent silencieusement. Ils perdent peu à peu toute volonté d’améliorer leur vie, ils s’éteignent dans leurs propre estime d’eux mêmes.

Les situations de vulnérabilité se caractérisent toujours  par des moments où les individus ne trouvent pas dans l’organisation sociale, une prise en compte de leur difficulté.

Nous assistons ainsi à des renoncements en chaîne qui produisent une profonde dépression sociale. Ce sentiment d’impuissance est perçu aussi bien par les familles que par les agents des services sociaux. Il semble  impossible de pouvoir changer les choses.

 

Les pédagogues sociaux prennent aujourd’hui le relais de ces institutions qui se fracturent. Nous sommes très vigilants  pour repérer ces signes d’abandon de toutes ces familles qui perdent confiance dans notre organisation sociale et qui ne comptent même plus sur leur propre ressource.

Nous sommes de plus en plus présents pour interpeller les différents services et les inciter à finaliser les démarches. Ce travail devient essentiel.  Nous sommes présents, chaque fois qu’on nous en fait la demande. Et nous percevons chaque fois ce sentiment d’humiliation pour toutes ces personnes qui n’ont pas la maîtrise des us et coutumes de ces administrations,  qui n’ont que des bribes de compréhension du fonctionnement général de ces services et qui se retrouvent face à leur impuissance à ce que leurs démarches aboutissent. Mais ensemble nous retrouvons notre capacité à nous mobiliser, nous retrouvons notre combativité.

 

Mais ce n’est pas le seul combat dans lequel la pédagogie sociale a décidé de s’engager pour faire face à la conséquente dégradation des institutions. Pour l’essentiel les acteurs de la pédagogie sociale s’impliquent avec tous ceux pour lesquels aucun avenir ne semble plus envisageable dans ce système libéral qui s’attaque avec méthode et continuité à l’état social. C’est un engagement dans la durée pour ouvrir des perspectives à chacun et construire l’avenir avec tous. C’est un combat, et nous remportons de plus en plus de victoires.

Nous avons obtenu par exemple que la Mairie installe une barrière de sécurité pour protéger les enfants d’un boulevard très dangereux et ce après un an et demi de lettre pétitions, d’articles dans le journal, de la construction collective d’une barrière artisanale. Après avoir obtenu ainsi satisfaction, nous nous sentons aujourd’hui légitimes à interpeller les élus de la commune pour leur faire part de notre expertise à identifier les besoins du quartier.

Ce  que nous avons appris à faire surtout, durant toutes ces années à construire ensemble des liens de connaissance et de reconnaissance mutuelle, c’est justement d’ identifier, de comprendre tous ensemble,  les envies, les besoins des uns et des autres, et de nous mobiliser collectivement pour construire des projets pour y répondre. Ce sont chaque fois des occasions de reconnaître les capacités, les compétences, les ressources de toutes ces familles en capacité à se mobiliser et à donner le meilleur d’elles mêmes lorsqu’un espace qui fait sens pour elles est ouvert à tous. Nous pouvons ainsi mettre en valeur cet esprit de combativité qui renaît dans ce contexte, et qui permet de construire et de créer parce que nous sommes ensemble pour le vivre.

C’est possible de reconstruire notre capacité à nous organiser collectivement de façon à ce que chacun devienne partie prenante des projets en cours, à partir de ses ressources propres. Nous en sommes une manifestation vivante, c’est possible, mais avec des conditions. Il est nécessaire d’abord de comprendre et apprendre la réalité de ce que vivent les familles en construisant une relation au rythme de chacun, en donnant du temps au temps Il est nécessaire de respecter le temps des personnes, qui nous rejoignent quand c’est possible et utile pour elles. Il est nécessaire de s’inscrire ensemble dans la durée.

Nous ouvrons ainsi des espaces de possibles. Nous sortons ensemble de cette dépression sociale. Et nous retrouvons tous notre dignité et notre fierté à savoir inventer, innover, créer.

 

Josiane GUNTHER le 29/06/17

 

 

 

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Pour un travail social alternatif.

Depuis plusieurs années, dans tout le champs de l’action sociale, on voit apparaître de nouveaux mots. Dans le cadre de la réorganisation des services, on parle aujourd’hui en terme de « management ». Le bilan d’activité est devenu le « rapport annuel des performances ». On parle en terme de « flux » et de « stocks » à propos des personnes non contractualisées au RSA.

Cette façon de nommer notre contexte de travail, détermine une façon de penser et de comprendre la réalité, conditionne et justifie de nouvelles pratiques.

L’objectif est que le travail devienne mesurable, comparable d’un service à l’autre, à l’aide des chiffres. On se doit d’optimiser chaque poste de travail pour réduire les coûts. Nous évoluons désormais, dans ces différents services, avec la même logique du management d’entreprise.

La voie hiérarchique dans chaque institution devient de plus en plus contraignante, chaque agent est sommé de respecter les directives, de se soumettre aux différents protocoles pour appliquer les dispositifs, penser et établis sans aucune concertation. Toute prise d’initiative pour chercher des réponses aux difficultés qui se manifestent de façon croissante, est devenue désormais impossible. Ce qui conduit à un sentiment d’impuissance, de dépossession, qui produit peu à peu des formes de démissions, de désengagement dans le travail. Mais le plus grave, la colère légitime des agents, se retourne bien souvent contre les personnes en demande d’aide qui sont de plus en plus perçues comme incompétentes et responsables de leur situation. Leurs demandes mettent les agents qui les accueillent en difficulté. Dans de nombreuses situations il n’y a plus d’aide concrète possible.

Les institutions socio-éducatives ne trouvent plus de solutions aux problèmes sociaux actuels. Pire, elles les aggravent en acceptant une individualisation toujours plus croissante des réponses qui tend à isoler les personnes dans des situations sociales difficiles.

L’exclusion d’une partie de la population mène au repli et à l’isolement de celle-ci, a une méfiance des uns envers les autres.

Cette idéologie, concernant la notion de la responsabilité individuelle dans les situations de détresse, gagne du terrain. Il n’y a plus de lecture politique et critique de la société. Pendant ces trente dernières années, le travail social a été malmené à tel point qu’il a perdu pour une bonne partie l’essence de sa création.

Le sens du travail social est de favoriser l’émergence de nouvelles lois de protection contre les situations de vulnérabilité. Chaque agent est un observateur privilégié des évolutions de la société, il doit remplir une fonction de vigilance et d’alerte. Il lui appartient, de faire remonter auprès des pouvoirs publics les besoins repérés, et de proposer des évolutions.

 

Le néolibéralisme s’attaque avec continuité et méthode à l’état social. Tout devient un coût, renvoie à un budget. Et le travailleur social doit se mettre au service de ce projet libéral.

 

Ces différents constats sont suffisamment alarmants et inacceptables pour nous donner l’énergie pour chercher et tenter de construire une alternative.

Il existe dans différents points de notre territoire, des actions qui se situent hors les murs. Des actions pour aller à la rencontre des gens, pour occuper l’espace publique, pour être présents dans ces espaces oubliés, délaissés. Ces actions sont portées par ceux qui se nomment les « pédagogues sociaux ». Ils ont créés, au fil des années, des espaces de rencontre notamment à Longjumeau avec « Intermèdes Robinson », à Grenoble, avec « Mme Rutabaga », à St Etienne avec « Terrain d’Entente ».

Le terme de pédagogie sociale évoque toute une histoire socio éducative. C’est une pédagogie engagée, une pédagogie de l’action.

Il est inspiré des pédagogies, de Yanus Korczak avec la république des enfants, de Célestin Freinet et les classes coopératives, Paolo Freire et la pédagogie des opprimés.

Chacun a su s’indigner face à une réalité sociale inacceptable, et s’est efforcé de construire des collectifs qui soient émancipateurs, source de transformations sociales, pour améliorer les conditions de vie des populations les plus à la marge des sociétés et leur assurer une vie digne, une conscience, une reconnaissance, une place.

Cette approche porte sur la critique de la réalité sociale, la nécessaire transformation de la société.

Nous sommes au fondement du travail social.

Laurent OTT a initié en France ce mouvement de pédagogie sociale depuis 20 ans. Avec la volonté de rejoindre et de s’engager avec les personnes les plus en difficulté pour construire plus de justice, retrouver des liens d’entraide et de solidarité, construire ensemble du commun. Faire société.

Laurent OTT nous rappelle que c’est un problème de société qui nous concerne tous, le fait que des familles soient exclues, marginalisées, oubliées des structures qui sont censées accueillir tout le monde.

 

Il nous faut donc exercer de façon effective notre responsabilité collective dans l’éducation et la protection des enfants, sur chaque territoire. Il nous faut rejoindre les personnes exclues là où elles vivent.

Il s’agit d’offrir un temps de présence de façon régulière, même jour, même lieu même heure et de s’engager auprès des personnes que nous rencontrons dans la durée.

Il nous faut chercher à transformer avec les personnes concernées ce qui est inacceptable: l’exclusion de tous les secteurs sociaux, économiques, politiques et culturels des familles les plus pauvres, et toutes ses conséquences qui peuvent être dévastatrices.

 

Comment cette démarche particulière se manifeste?

La tâche de la pédagogie sociale, n’est pas de transmettre des contenus culturels, mais de s’occuper de la manière de dépasser les problèmes émergents des personnes en vue de leur développement et de leur intégration.

Le pédagogue social travaille sur le terrain public, dans la rue ou dans un parc en observant l’environnement qui l’entoure, tel un arpenteur. Il est là, en posture de récepteur : il voit, il entend, il reçoit des impressions. Ces impressions lui permettent de mieux appréhender ce milieu pour une transformation de celui-ci par ses occupants.

Il est un « visiteur », il a conscience qu’il n’ est pas chez lui, qu’il est ignorant de beaucoup de choses. Son travail est de comprendre et d’apprendre la réalité de ce que vivent les familles en construisant une relation au rythme de chacun, en donnant du temps au temps.

Cette posture permet la rencontre. Peu à peu, au fil des semaines, la parole se libère. A partir des besoins, des envies manifestés, des projets d’actions se mettent en place.

Ces actions collectives permettent parfois de régler des problèmes concrets. Elles sont l’occasion de développer pleins de savoirs et surtout mettent en évidence des savoirs qui ne sont pris en compte nulle part. Ensemble on sort de l’impuissance. Ensemble, nous avons fait un pas de plus dans la construction de rapports plus égalitaires et plus justes.

A partir de ces échanges, de ces actions, on comprend mieux la réalité. Ils permettent une remise en cause de nos à prioris, de nos préjugés, on construit ensemble des savoirs nouveaux. De là leur pouvoir émancipateur.

« Les habitants se forment dans les actes qu’ils posent au sein du collectif, les pédagogues se forment au contact des habitants. Chaque action est l’occasion de confronter ses représentations et ses acquis à une réalité complexe, et permettre des réajustements. Les temps mise en place en Pédagogie Sociale, sont l’occasion d’expérimentation de savoir être, savoir-faire, qui se formalisent par la répétition, l’échec, et la réussite. En cela, les espaces où se pratiquent la PS sont des espaces de formation continue et globale. » (Laurent OTT)

 

Nous sommes essentiellement centrés sur des actions collectives qui rendent possible certaines choses et mettent en évidence que le collectif est une force et une richesse. Nous construisons avec les familles des projets qui répondent à des besoins, des envies, qui règlent des problèmes concrets. Nous encourageons les enfants à partir des conseils qui ont lieu chaque semaine, de devenir partie prenante de nos temps de rencontre, en les accompagnants dans leurs projets pour qu’ils puissent aboutir.

Nous faisons ensemble société, nous sommes de plus en plus centrés sur nos intérêts et préoccupations communes.

Nous n’avons pas d’intention particulière concernant la façon dont ce collectif devrait évoluer, par contre nous accordons beaucoup d’attention à chacun pour comprendre au mieux les besoins, les envies et pour y trouver ensemble les réponses les plus adaptées.

Nous offrons juste un temps de présence. Même jour même lieu même heure, on peut compter sur nous, tout au long de l’année. Ce temps de présence est proposé de manière libre, inconditionnelle et gratuite.

Un accueil libre, où l’on vient quand on veut, et l’on part quand on veut. C’est le respect du temps des personnes qui nous rejoignent quand c’est utile et possible pour elles.

Un accueil inconditionnel, pour tout le monde. Notre collectif organise ses rencontres à partir du multi âge et du multiculturel. A l’image de notre belle France.

Un accueil gratuit, ce qui nous met dans un lien d’égalité. Chacun peut participer à nos rencontres en fonction de ses centres d’intérêts et pas selon ses possibilités financières. Ce qui contribue pour bonne part, à la possibilité pour chacun de s’engager et d’être partie prenante dans tous les projets menés.

 

Cette posture permet de percevoir peu à peu la façon dont les familles vivent les évènements qui traversent leur vie et de s’indigner ensemble face à ces situations d’abandon, de relégation, et d’en faire notre affaire.

Nous sommes au coeur de ce que la société produit de violent.

La violence se traduit essentiellement par la pauvreté qui s’aggrave et qui s’amplifie. Par la précarité, qui est pire que la pauvreté. La précarité c’est la peur du lendemain qui peut être pire, c’est l’absence de perspective d’un avenir meilleur, c’est le renoncement à des envies, des projets qui ont du sens, à des rêves, c’est le replis sur soi: « aujourd’hui, il faut faire confiance à personne et se méfier de tout le monde…. »

La violence c’est le désengagement des institutions qui empêchent que les démarches parfois incontournables à la survie de ces familles, puissent aboutir. A la CAF, à St Etienne, les rendez vous ne peuvent plus être pris dans l’urgence. Dans d’autres administrations, les RDV avec les AS ne sont pas possible avant 1 mois, voire 2. Et les problèmes administratifs et financiers qui continuent de s’aggraver.

La violence c’est les petits boulots indignes, en dehors de toute légalité. Pour ne citer que la réalité des conditions de travail des femmes de ménage qui acceptent des conditions insupportables (être prévenu à 6h du matin pour être opérationnel sur le chantier à 7h le jour même, ne pas être payé pendant le temps de déplacement qui peut aller jusqu’à une heure, ne pas avoir de pose de toute une matinée, la dureté du travail en lui même, les produits ménagés extrêmement polluants….) Ces femmes s’accrochent à ce travail. Le perdre serait tomber encore plus bas, ce serait prendre le risque de perdre des droits.

Et nous pouvons aussi nous émerveiller de toutes ces ressources qui se manifestent, de toutes ces solidarités qui se développent de manière totalement invisible. De cette capacité à surmonter la fatigue, le découragement pour organiser une soupe pour 150 personnes, se mobiliser avec d’autres pour réaliser des projets.

De savoir renoncer au programme de sa journée pour accompagner une mère encore plus en difficulté pour essayer de régler un problème.

 

Une forte relation de confiance se construit au fil du temps. Nous le devons à cette connaissance et cette reconnaissance. C’est également notre présence dans la durée, notre présence intense sur le quartier: du Mardi au samedi, tout au long de l’année, nous sommes là aussi les jours fériés, quand tout est fermé. Nous téléphonons très régulièrement: pour annoncer des sorties, pour prendre des nouvelles, pour évoquer des attentes plus particulières que les unes et les autres ont pu manifester.

Cette relation de confiance c’est peut être également construit sur la base de notre situation de précarité. A St Etienne, nous sommes présents au sein d’un quartier depuis 6 ans, et nous n’avons toujours pas de local. Nous dépensons une grande énergie, chaque année, pour obtenir des financements insuffisants qui ne sont pas pérennes. Nous subissons nous aussi cette absence de reconnaissance, cette incertitude du lendemain, cette instabilité de notre équipe qui change très souvent.

 

Ce statu très fragile, nous place dans un rapport d’égalité où l’implication de chacun est précieuse pour agir, penser, comprendre la réalité et que les projets puissent aboutir.

Cette force ainsi construite permet de dire que cette démarche particulière apporte une réelle ouverture pour un renouveau de l’action sociale.

 

« L’association, c’est du possible dans un monde où tout serait déjà dit et décidé par d’autres, où nous n’aurions plus de prise sur aucune direction, aucune orientation dans nos vies…

Cette rapidité, cette mobilité, cette souplesse des modes d’intervention nous aide à nous intégrer dans les territoires, à nous adapter aux situations, à accueillir l’imprévu et à donner une place à tous. Ce sont en quelque sorte les techniques d’une guérilla sociale contre toutes les formes de solitude et d’oppression. » (Laurent OTT)

 

Josiane GUNTHER Le 20 Mai 2017

 

 

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Terrain d’entente comme espace d’expression de l’engagement

« Une des questions centrales à laquelle nous devons nous confronter est celle de la transformation des postures rebelles en postures révolutionnaires qui nous engagent dans un processus radical de transformation du monde . La rébellion est un point de départ indispensable, une explosion de la juste colère, mais elle n’est pas suffisante. » (La pédagogie de l’autonomie, Paolo FREIRE)

 

Paolo Freire s’inscrit dans une optique de lutte pour la libération des populations opprimées.

Une période particulière, dans un contexte différent du nôtre aujourd’hui. Pour moi cependant, son interpellation met en exergue ce qui est enjeu quand on parle d’engagement, et reste très actuelle.

 

L’engagement pour moi, est né d’un inacceptable, de situations sociales concrètes qui m’ont affectées, en regard de convictions profondes sur ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. La « juste colère » m’a amenée à prendre position, à m’impliquer. Cette démarche m’a conduit à adopter une « posture rebelle », et a ouvert à la nécessité de chercher à mieux comprendre les réalités.

Cette prise de conscience appelle l’engagement, la défense de notre bien commun. Elle se traduit par la compréhension des rapports de force inégalitaires et injustes que notre système produit de façon de plus en plus violente.

L’engagement c’est vouloir changer les choses plutôt que les subir.

A l’époque de la révolution de 1789, on parlait de « citoyens vertueux » et de « citoyens corrompus ». Les « citoyens vertueux » étaient tous ceux qui estimaient que l’intérêt général était supérieur à l’intérêt privé. Ils s’efforçaient dans leurs actions de servir l’intérêt général.

A la source de l’engagement, il y a la conscience de l’intérêt général.

S’engager, c’est résister collectivement

J’ai travaillé pendant 20ans, comme puéricultrice de PMI, au Conseil Départemental de la Loire. J’avais d’emblée postulé sur des secteurs dits « sensibles », avec cette volonté d’être aux côtés des populations les plus en difficulté. Ce choix s’est construit sur la conviction que le travail social est conçu pour contribuer à améliorer les conditions de vie, réduire les inégalités, défendre les droits.

Durant toutes ces années de travail, j’ai aimé ce courage des familles à affronter, pour certaines, tellement de difficultés, j’ai recherché à leur côté des solutions pour répondre à des besoins, des envies qui se manifestaient, régler des problèmes concrets. Avec d’autres partenaires nous avons parfois trouver des issues favorables.

Le travail au sein de collectifs est une démarche essentielle. Depuis toujours, ce sont des collectifs qui ont su dénoncer les inégalités et les injustices, et devenir une force pour tenter de construire autrement nos relations sociales.

 

Au fil des années, les prises d’initiatives se sont réduites au sein de mon institution. Aujourd’hui chaque agent doit compter: les visites à domicile, les entretiens, les coups de téléphone, etc…., et justifier ainsi de sa charge de travail. L’objectif de l’institution est désormais d’optimiser chaque poste de travail, de réduire les coûts.

J’ai pu mesurer rapidement en quoi ces nouvelles pratiques étaient préjudiciables pour les personnes en demande d’aide. Nous nous confrontons plus en plus à des situations de détresse où nous n’avons plus aucune réponse.

Je ne me suis plus reconnue dans ces nouvelles procédures, fort de cela, j’ai choisi d’ interpeller d’autres travailleurs sociaux.

 

Pendant plusieurs années un collectif « le travail social dans la crise » a initié différents temps de rencontres. Ce collectif rassemblait des travailleurs sociaux inquiets de l’évolution de leur travail ainsi que des acteurs de terrain, appartenant à des structures très différentes et qui vivaient des réalités semblables. Nous avions faits différents constats :

Depuis plusieurs années, dans tout le champs de l’action sociale, on voit apparaître de nouveaux mots. Dans le cadre de la réorganisation des services, on parle aujourd’hui en terme de « management ». Le bilan d’activité est devenu le « rapport annuel des performances ». On parle en terme de « flux » et de « stocks » à propos des personnes non contractualisées au RSA.

Cette façon de nommer notre contexte de travail, détermine une façon de penser et de comprendre la réalité, conditionne et justifie de nouvelles pratiques.

L’objectif est que le travail devienne mesurable, comparable d’un service à l’autre, à l’aide des chiffres. On se doit d’optimiser chaque poste de travail pour réduire les coûts. Nous évoluons désormais, dans ces différents services, avec la même logique que celle du management d’entreprise.

La voie hiérarchique dans chaque institution devient de plus en plus contraignante, chaque agent est sommé de respecter les directives, de se soumettre aux différents protocoles pour appliquer les dispositifs, penser et établis sans aucune concertation. Toute prise d’initiative pour chercher des réponses aux difficultés qui se manifestent de façon croissante, est devenue désormais impossible. Ce qui conduit à un sentiment d’impuissance, de dépossession, qui produit peu à peu des formes de démissions, de désengagement dans le travail. Mais le plus grave, la colère légitime des agents, se retourne bien souvent contre les personnes en demande d’aide qui sont de plus en plus perçues comme incompétentes et responsables de leur situation.

Ces demandes nous mettent en difficulté parce que nous n’avons plus d’aide concrète à proposer. Année après année, le néolibéralisme s’attaque avec méthode et continuité à l’état social né du Conseil National de la Résistance. Dans ce contexte, les institutions socio éducatives ne trouvent plus de solution aux problèmes sociaux actuels. Pire, elles les aggravent en acceptant une individualisation toujours plus croissante qui tend à isoler les personnes. Elles sont de plus en plus contraintes dans des démarches qui ne peuvent aboutir.

 

Dans son livre, « travailler avec les familles », Laurent OTT met en évidence que nous sommes collectivement responsables de l’éducation et de la protection des enfants. Une question qui est donc posée à toutes ces structures du champ éducatif: à l’échelle de chaque territoire. Comment exerçons nous collectivement cette responsabilité ?

Laurent OTT rappelle que ce qui aide le plus les enfants à se développer de façon harmonieuse, au maximum de leur potentiel, c’est de pouvoir  évoluer dans un climat de sécurité. Ce n’est pas forcement d’avoir des parents « compétents » en matière éducative (une compétence d’ailleurs toujours normalisée), mais surtout d’avoir des modèles d’adultes en capacité de se mobiliser avec d’autres pour régler des problèmes concrets, pour être partie prenante dans les affaires qui les concernent, et nous concernent tous.

Laurent OTT se réfère à la pédagogie sociale, fruit de l’engagement de personnalités comme Célestin Freinet, Paulo Freire, Héléna Radlinska. Chacun a pensé un mode d’organisation collective qui rende possible l’émancipation des populations dominées, qui rende possible des transformations sociales à partir de ces populations.

La pédagogie sociale est née du contact avec les plus fragilisés. C’est un engagement clair et net envers les populations discriminées, pour construire avec elles, plus de justice et d’égalité, pour retrouver des liens d’entraide et de solidarité.

Ces différentes élaborations de réflexions collectives amènent à transformer  » des postures rebelles en postures révolutionnaires qui nous engagent dans un processus radical de transformation… »

Ce Processus peut s’incarner par des formes innovatrices d’actions et de projets, dans l’organisation de l’espace public, avec les familles qui sont souvent privées de pouvoir d’agir.

Mais une posture s’impose. Celle qui invite chacun à aller à la rencontre de ceux avec lesquels plus rien n’est pensé, construit, et à s’immerger dans cette réalité dont nous ignorons tout, pour identifier ce qui est primordial pour eux. Il s’agit de comprendre et d’apprendre la réalité de ce que vivent les personnes, en construisant une relation au rythme de chacun, en donnant du temps au temps.

L’observation est à la base de ce  travail, c’est à partir de celle-ci que l’on peut décider des actions et que l’on peut théoriser. Chacun  se forme ainsi de manière globale et continue. C’est le sens même de l’éducation populaire. Un de ses objectifs principaux est de promouvoir la participation des sujets à la construction d’un projet politique de société  par des solutions construites collectivement pour dépasser les inégalités sociales. Construire des collectifs qui soient émancipateurs, source de transformations sociales, pour améliorer les conditions de vie des populations les plus à la marge des sociétés et leur assurer une vie digne, une conscience, une reconnaissance, une place.

 

Miguel Benasayag (1) parle « d’action restreinte », qui en elle même produit un changement qui devient transformateur d’une façon globale.

 

« Terrain d’Entente » a repris les principes fondamentaux de la pédagogie sociale dans sa façon d’être présent sur le quartier de Tarentaize à St Etienne, depuis Avril 2011.

Nous proposons des ateliers de rue tout au long de l’année et bien d’autres actions qui se sont développées à partir des besoins des envies manifestés. Nous occupons l’espace public et nous sommes présents pour tous ceux qui souhaitent nous rejoindre de façon libre, inconditionnelle et gratuite.

Nous n’avons pas d’intention particulière concernant la façon dont ce collectif devrait évoluer, par contre nous accordons beaucoup d’attention à chacun pour comprendre au mieux les besoins, les envies et pour y trouver ensemble les réponses les plus adaptées. Nous offrons juste un temps de présence: même jour même lieu même heure, on peut compter sur nous, tout au long de l’année.

Cette posture permet de percevoir peu à peu la façon dont les familles vivent les évènements qui traversent leur vie et de s’indigner ensemble face à ces situations d’abandon, de relégation, et d’en faire notre affaire.

Cette posture permet aussi de s’émerveiller de toutes ces ressources qui se manifestent, de toutes ces solidarités qui se développent de manière totalement invisible.

 

De nombreux enfants souffrent de leur situation de relégation pour certains, du sentiment d’exclusion pour d’autres. Ils sont pour la plupart en difficulté à l’école et ne bénéficient que rarement d’activités périscolaires. Mais ils savent se saisir de toutes les opportunités qu’on leur propose. En effet, ils s’investissent, ils s’engagent dans des projets qui font sens pour eux, manifestant ainsi leur grand besoin d’expression et de reconnaissance. Nous les encourageons alors, à partir des conseils[i] qui ont lieu chaque semaine, à devenir partie prenante de nos temps de rencontre, notamment en les accompagnant dans leurs projets pour qu’ils puissent aboutir.

Nous affirmons que nous sommes collectivement responsables de l’éducation et de la protection des enfants. Nous nous efforçons pour cela, d’engager les acteurs de l’action éducative présents sur le quartier, pour construire avec les parents, une communauté éducative au sens où la définit Gerard Pithon[ii], où chacun se sent engagé, responsable, impliqué, à égalité. Nous construisons avec les familles des projets qui répondent à des besoins, des envies, qui « règlent » des problèmes concrets. Seules les actions collectives rendent possible la concrétisation de cet engagement et mettent en évidence la force et la richesse du « collectif ». Nombreuses sont les familles du quartier qui ont vécu dans d’autres régions du monde. Les différences pour ce qu’il s’agit de notre façon d’appréhender le monde, de le comprendre, sont vécues comme des sources d’enrichissement. Afin de mailler les arts de vivre propres à chacun, nous favorisons les échanges et rencontres de manière régulières et ce,   à partir des pays d’origine. Aussi et plutôt que de parler du « vivre ensemble », expression devenue vide de sens aujourd’hui, nous avons opté pour la conjugaison des arts de vivre et de métisser les savoirs être et les savoirs-vivre.

 

Ce que nous croyons séparément importe moins que ce que nous faisons ensemble, nos actions, nos revendications, nos luttes et nos solidarités.

La bataille à laquelle nous participons, à travers ce collectif, avec de très modestes moyens, c’est une bataille pour l’égalité, la justice, la reconnaissance de toute la diversité des citoyens, source d’une immense richesse.

Malgré un quotidien éprouvant pour de très nombreuses familles du quartier, nombreuses sont celles qui arrivent à trouver l’énergie pour construire avec d’autres des solidarités indispensables, et réaliser des projets. Elles ont la force et le courage de croire en un avenir possible avec tous. S’unir, agir ensemble plutôt que se laisser diviser, c’est entre nos mains et c’est à vivre concrètement jour après jour.

S’engager face à l’inacceptable, avec la volonté de participer aux transformations indispensables, c’est rester vivant et debout. C’est ne jamais oublier que l’intérêt général est toujours supérieur à l’intérêt privé.

« Il n’y a que les poissons morts qui vont dans le courant, être vivant, c’est nager à contre courant » (Miguel Benasayag)

Josiane GUNTHER le 12/06/17

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Les enfants du chaos…. Les enseignements et les actions qui en découlent….

En septembre 2016, Terrain d’Entente a fait la proposition à la médiathèque de Tarentaize, d’inviter Alain Bertho pour parler de son dernier livre, « les enfants du chaos ». Ce qu’il évoque de la situation sociale et politique rentre en résonance avec la grille d’analyse et la démarche portée par la pédagogie sociale.

Alain BERTHO est anthropologue, il enseigne à l’université Paris-8 et consacre ses travaux aux mobilisations urbaines et aux émeutes. Il a publié comme dernier ouvrage, « les enfants du chaos. Essaie sur le temps des martyrs »

Dans cette analyse, Alain Bertho situe les derniers évènements meurtriers du mois de Novembre à Paris à partir de différents épisodes de notre histoire.

« Toute une partie de la jeunesse française est constituée de petits-enfants ou d’arrières petits enfants de personnes venues des ex-colonies françaises pour travailler en métropole et que l’on a traitées comme des chiens lorsque l’industrie a commencé à battre de l’aile. Quelque chose s’est constituée sur quatre générations autour de stigmates accumulés dans une population que l’on n’a jamais considérée comme complètement française. Aujourd’hui, une partie de cette population revendique une fierté et une identité à travers l’islam.

A cela s’ajoutent les désillusions et la perte d’avenir qui touchent tous les jeunes, et pas seulement ceux qui sont nés dans des familles de culture musulmane.

On a pu observer une réislamisation de populations des banlieues après les émeutes de 2005, liée à la façon dont on a géré ces événements. La quasi-totalité de la classe politique de l’époque a estimé qu’il était scandaleux de brûler des voitures bien avant de s’indigner de la mort de deux enfants. Cette priorité accordée aux voitures incendiées a eu un effet symbolique dramatique sur la jeunesse des quartiers, que l’on a laissée seule.

Cette expérience collective a sans doute eu un effet souterrain largement sous-estimé. Le passage à l’acte s’inscrit dans un contexte historique, social et culturel. »

Dans ses recherches, Alian Bertho interpelle les acteurs de l’action sociale

« L’urgence n’est pas de « déradicaliser » une poignée de jeunes que l’on aura isolés des autres, mais d’accompagner les milliers de jeunes aujourd’hui en rupture et en danger, et d’imaginer des solutions permettant une remédiation générale. Il faut travailler au plus près de ces jeunes, et pour cela on devrait recruter en masse des travailleurs sociaux. »

Nous n’avons pas la prétention d’imaginer que la pédagogie sociale va mettre daech en difficulté, hélas. Mais nous souhaitons prendre notre part de responsabilité dans les questions qui nous sont posées par notre époque. La question des conséquences dévastatrices pour les populations qui sont discriminées, dans ces quartiers relégués qui concentrent la misère, et où il ne semble plus y avoir d’espoir d’un avenir meilleur. Nous pouvons affirmer aujourd’hui à partir de ces 6 années d’expérience sur le quartier, que c’est possible de faire tous ensemble société, que lorsque des espace sont ouverts, les gens sortent de chez eux, se mobilisent pour réaliser des projets avec d’autres, pour construire des relations d’entraide et de solidarité. Et nous allons tous ensemble bien mieux en construisant ce climat de confiance et de reconnaissance mutuelle. Un collectif multiculturel, qui est porteur d’avenir

Nous avons souhaité proposer ce temps de rencontre parce que nous ressentons une urgence à réagir face à la menace actuelle.

Une double menace en fait, celle des folies meurtrières qui se multiplient partout et que rien ne semble pouvoir arrêter, et celle de la réponse exclusivement répressive de notre gouvernement.

Le maintient de l’état d’urgence est en train de transformer nos rapports sociaux en grande peur de l’autre. Plus on s’enfonce dans l’ordre sécuritaire, plus la politique apparaît comme une guerre que l’état mène à la société. Il ne semble plus y avoir de limite à la stigmatisation des musulmans.

Tout dans leur comportement irait à l’encontre des valeurs fondamentales de notre pays. Mais on fait peu de cas de ces valeurs dans des débats plus déterminants quant à notre devenir.

Que dire de l’égalité, face au passage en force de la loi travail?

Que dire de la liberté alors que l’état d’urgence est constamment renouvelé?

Que dire de la fraternité avec la stigmatisation d’une partie de la population?

Que dire de la laïcité quand elle sert systématiquement d’arme contre les musulmans?

Des initiatives existent, qui pensent et expérimentent d’autres formes d’intervention sociale. Cette rencontre est l’occasion de réfléchir ensemble à l’impact d’une démarche particulière qui mobilise de nombreux acteurs sur différents territoires : la pédagogie sociale. Démarche dans laquelle l’association terrain d’Entente est engagée depuis 6 ans, sur le quartier Tarentaize/Beaubrun.

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Faire milieu, qu’est ce qui est difficile ?

FAIRE MILIEU, QU’EST-CE QUI EST DIFFICILE ?

Le milieu étant pour nous, de construire, avec toutes les personnes volontaires, des liens de confiance et d’entraide, l’association Terrain d’Entente est engagée dans un travail de rue, avec des habitants du quartier Beaubrun/Tarentaise à St Etienne depuis près de 4 ans.

Lorsque nous avons fait connaissance avec les premiers adultes qui nous ont rejoint sur le terrain de jeux, on entendait souvent, « il faut de méfier de tout le monde et faire confiance à personne ».

Ce qui est difficile, face à des personnes blessées, découragées, malmenées par cette société extrêmement inégalitaire, discriminante et stigmatisante, c’est de construire un lien de confiance, c’est faire ensemble société.

L’équipe de base, les militants de cette association, ne vivent pas dans ce quartier, ils ne sont pas dans la précarité matérielle, ils ne sont pas de confession musulmane. Les habitants de ce quartier sont essentiellement des familles issues de l’immigration ancienne ou récente, ils sont de façon générale très pauvres, et pour la plus part de confession musulmane.

Et les liens qu’on tisse semaine après semaine, sont des liens qui se construisent, à la manière d’une famille, c’est-à-dire, dans un rapport d’égalité, d’investissement et d’implication personnelle. Ces liens sont forts de toutes ces différences. Avec toute notre diversité, on construit notre histoire ensemble. Les valeurs affichées de ce pays deviennent des expériences partagées.

J’entends parfois des commentaires sur cette présence particulière dans le quartier : « l’idéal, ce serait qu’on n’ait plus besoin de vous…. ». Donc l’idéal, c’est la séparation, l’absence de partage ?!!!!

Annah Arendt avait fait l’analyse de la société américaine dans les années 60. Elle s’inquiétait de ce phénomène de séparation: les tous petits dans les crèches, les vieux dans les maisons de retraite, les différentes classes sociales qui n’ont jamais aucun lien….. Elle estimait que c’était un vecteur de violence sociale.

Etre aux pieds des immeubles, offrir un temps de présence les mêmes jours, au même lieu, à la même heure, ça produit tout le contraire.

Nous rencontrons tout le monde, des petits, des grands, entre 2 et 15 ans, des adultes, des bébés. Des familles qui viennent de différentes régions de la planète. Faire milieu dans ce quartier, c’est se sentir citoyens du monde.

La confiance, c’est un petit être fragile et farouche, elle se nourrit jour après jour. Ce qui lui permet de se développer, c’est surtout quand chacun se sent exister parmi les autres. Ce sont tous ces moments où on se réjouit de se retrouver, où on prend des nouvelles au téléphone, où on frappe à la porte pour proposer une sortie. Ces moments gratuits, sans intention particulière, qui manifestent juste de l’attention, de l’intérêt qu’on se porte les uns vis-à-vis des autres.

La confiance, ce sont tous ces moments où on construit ensemble des projets, qui aboutissent concrètement. Ces réalisations collectives sont des moments fondateurs de liens solides et profonds. Chacun donne à sa mesure, selon sa force, la présence des uns et des autres est ainsi vécue comme indispensable. Ce sont des temps de connaissance et de reconnaissance mutuelle.

Ce qui est difficile également, et qui est lié, c’est de croire ensemble qu’on peut construire un collectif qui devienne une force, susceptible de transformer la réalité.

Ceci se construit essentiellement par un engagement net et clair auprès des personnes que nous rencontrons. Nous prenons position de façon affirmée sur ce qui est en jeu aujourd’hui pour une part croissante de la population : l’appauvrissement, la marginalisation, l’exclusion qui sont de véritables scandales dans cette société riche et opulente. Ce système marchand généralisé oppresse les plus pauvres de façon de plus en plus violente. Nous témoignons de ce que nous voyons et comprenons sur ce que les uns et les autres ont à tenir dans leur quotidien.

Pour devenir une force capable de transformer la réalité, il faut échapper au sentiment d’impuissance. Il est donc nécessaire de prévoir ensemble des objectifs atteignables, des mobilisations autour de questions très concrètes. Nous cheminons par exemple, vers l’organisation d’une garde d’enfants par les unes et les autres, en réponse à la saturation des haltes garderies. Les enfants se sont réunis dernièrement pour écrire une lettre au Maire, l’informant de l’état du terrain de foot qui se dégrade et proposant des réparations possibles. Nous réglons des problèmes concrets.

Nous nous confrontons ensemble au réel, c’est de la politique grandeur nature.

C’est un engagement, une prise de position concrète une volonté de construire une société plus humaine, de dénoncer les injustices et de lutter pour les réduire, et devenir ensemble acteur, auteur.

Quand j’ai entrepris cette aventure, j’étais dans un état d’esprit très pessimiste. Je ressentais que toute cette violence institutionnelle avec son lot de précarité et d’exclusions nous menait dans une grave impasse de délitement de la société.

Construire cette qualité de relation avec ces familles qui souffrent d’être empêchées de se réaliser, de pouvoir envisager pleinement l’avenir, m’a redonner l’espoir. Au fond de soi, et pour chacun, il y a cette aspiration profonde à créer des relations positives, de respect mutuel. On peut se saisir de ce désir qui nous est commun et avec lequel on peut construire une communauté d’entraide et d’ouverture les uns par les autres. Le collectif devenant ainsi une réelle force de transformation.

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Excuser l’inexcusable

« Il ne peut y avoir aucune explication qui vaille. Car expliquer c’est déjà vouloir un peu excuser. » Discours d’Emmanuel Valls, deux semaines après les attentats de Novembre 2015.

Des propos qui font étrangement écho à ceux de Nicolas Sarkozy suite aux révoltes des quartiers populaires en 2005 : « Quand on veut expliquer l’inexplicable, c’est qu’on s’apprête à excuser l’inexcusable ».

Les discours politiques, relayés par les médias dominants sont de plus en plus offensifs et agressifs pour décrire le climat de violence et de dégradation des quartiers populaires. Il s’agit chaque fois, de mettre en exergue des profils de comportement inquiétants, dangereux et de les extraire de leur contexte. Au fil des années, au fil des quinquennats, ces discours sont à la fois similaires et de plus en plus marqués par la volonté de constituer des catégories d’individus dans la société, et d’essentialiser les comportements. On nous décrit régulièrement des évènements qui concernent les jeunes des cités surtout, des jeunes envahies de haine envers la société dans son ensemble et qui représentent donc de fait, une menace pour le maintient de nos valeurs républicaines. Tous ces discours justifient les réponses exclusivement répressives. Il s’agit d’éradiquer cette violence et cette menace, de façon définitive.

Si on s’intéresse un peu à notre histoire on ne peut que constater une régression du fait de toutes ces réponses de plus en plus brutales.

En effet, après la seconde guerre mondiale, la solution répressive en matière de redressement de l’enfance délinquante avait montré ses limites. L’État décide alors de donner la priorité à l’éducatif en adoptant l’ordonnance de 1945. Mais cette loi a été réformée 34 fois depuis sa création. Les débats pour justifier le durcissement des sanctions ont fait rage…  Et aujourd’hui l’insécurité redevient un thème de prédilection des médias et des politiques, matérialisée  en ce qui concerne la jeunesse par le qualificatif « la racaille ».

Que s’est-il passé entre l’Ordonnance de 1945 qui pose les fondements protecteurs de la Justice des Mineurs et les lois répressives des années 2000 ? Comment expliquer qu’au lendemain de la guerre, la société se sente comptable du devenir d’une jeunesse délinquante alors qu’elle choisit aujourd’hui d’en faire son bouc émissaire ?

Ecoutons Laurent Mucchielli (1) qui évoque une série d’évènements qui ont contribués à nous faire accepter la question de la sécurité nationale comme  » la 2ème priorité après le chômage »

(colloque de Villepinte en Octobre 1997 à l’initiative de Jospin alors 1er ministre) :

Laurent Mucchielli parle du « tournant dans les année 80,90 », qui contribue à transformer nos visions du monde et qui débouche sur des pratiques sécuritaires de plus en plus répressives.

En 1989, nous assistons à la 1ère « affaire du foulard islamique » qui devient un évènement national et qui nous mènera inexorablement à la loi de 2004 sur le port du foulard.

En 1990, c’est la survenance des émeutes urbaines. Elles produisent une peur imaginaire, celle d’entrer dans une situation à l’américaine, avec des zones de non droit.

En 1991 la 1ère guerre du golf augmente encore cette peur. Les classes dirigeantes ont peur que les habitants des quartiers se rebellent parce qu’ils sont arabes, et provoquent ainsi l’extension du conflit.

Ces différents évènements aboutissent à la mise en place d’une peur fondamentale, celle du jeune immigré des cités, l’ennemi de l’intérieur. Cette peur traverse toute la société.

« L’étranger est un corps étranger« .

Après les attentats du 11 septembre 2001, la question de l’islam surgit. L’aspect religieux est désormais considéré comme dominant dans cette représentation du danger. Le jeune des cités devient le jeune « arabo musulman ». L’islam est perçu comme une religion qui prédispose à la violence. Chaque évènement issu des quartiers populaires nourrit les discours sur la barbarie des jeunes des cités. La lecture des conflits sociaux en terme ethnique remplace la lecture en terme de classe sociale.

Les émeutes de Novembre 2005, puis les attentats de Janvier 2015, justifient le décret de l’état d’urgence.

Nous sommes désormais face à une rupture, une incompréhension majeure avec les quartiers populaires. S’opère un glissement de la notion de sécurité, un droit qu’il faudrait rétablir pour les catégories sociales les plus fragiles, et le maintient de l’ordre qu’il faut instaurer d’une main de fer dans les quartier populaires.

(« De gauche à droite, le lobby sécuritaire a-t-il gagné ? »Conférence/débat avec Laurent Mucchielli, Université d’été du NPA en août 2015).

Il ne faudrait donc pas expliquer pour ne pas risquer d’excuser ces explosions de colère qui surgissent régulièrement dans de nombreux quartiers. Mais une « explication » nous est cependant donnée, elle n’est pas nouvelle. Si ces jeunes se complaisent dans ces comportements déviants c’est qu’ils y sont encouragés par des parents démissionnaires qui ne leur ont donné aucune limite éducative. La réponse est donc claire pour pallier à ces situations inacceptables : la sanction, la répression généralisée.

Hors, les enquêtes sur les conditions de vie qui se dégradent de façon globale dans les quartiers populaires, sur la précarité qui s’installe de façon grandissante, sont de plus en plus alarmantes. On connaît de façon précise, le taux de chômage qui flambe dans les quartiers populaires, et qui concerne d’abord les jeunes. On connaît, de façon précise, la réalité des emplois précaires qui peuvent être proposer pour beaucoup d’entre eux, parfois uniquement sur quelques heures par semaine!….

Mais on connaît peut être moins le non recours aux droits élémentaires, comme les différentes allocations qui n’assurent d’ailleurs que la survie. Ce non recours augmente d’années en années. Il est du, pour la plus part, à la lassitude, au découragement, à la honte. La honte d’être pauvre, la honte de ne pas pouvoir subvenir à ses propres besoins, le sentiment d’indignité d’avoir à demander de l’aide.

Et ces conditions de vie ne devraient avoir aucune conséquence sur les comportements de ceux qui les subissent?

Etre privé d’emploi, être privé d’un revenu décent, c’est être privé de la possibilité de s’insérer dans la société, d’avoir un logement, de fonder une famille.

C’est une jeunesse où la norme dominante est d’être en dehors. Avec le sentiment ne pas être seulement discriminé, mais rejeté, d’être traité comme un parias parce que issu de l’immigration.

La colère des jeunes est structurée par des sentiments d’injustice, d’abandon, d’humiliation qui s’articulent sur leur vie quotidienne.

Alors bien sûr qu’il faut chercher à comprendre, et mettre en évidence la détresse grandissante des habitants, des familles, des quartiers populaires.

Mais il faut surtout témoigner de ce qui existe encore et malgré tout : les capacités de solidarité et d’entraide qui aident au quotidien à ne pas rompre les amarres. Cette façon de se mobiliser pour réaliser des démarches administratives avec ceux pour lesquels c’est trop compliqué. Ces mères de familles qui sont prêtes à remettre en question leur emploi du temps du jour pour accompagner une autre mère à la sortie de l’école, pour inscrire son enfant à la cantine. Elles savent ces femmes combien peut être précieux ce petit temps libéré des enfants pour mener à bien d’autres démarches, pour ne pas se laisser submerger par les innombrables tâches du quotidien. Et ce soutien des unes envers les autres est assuré comme une évidence. L’évidence que notre humanité repose sur ces actes d’entraide au quotidien, l’évidence que d’être ainsi centré sur le bien commun, permet à chacun de se réaliser plus pleinement, de se sentir exister avec les autres.

Il faut témoigner de cette force dont beaucoup d’habitants font preuve, pour sortir de leur isolement et de leur peur, pour participer à la réalisation de projets qui ont du sens et qui servent le collectif.

Alors qu’est-ce que peut produire une démarche qui essaye de comprendre ?

A Terrain d’Entente, à l’occasion de nos ateliers de rue, nous nous heurtons parfois à des explosions d’exacerbations de certains jeunes et nous ne parvenons pas toujours à ne pas rompre le dialogue. Il suffit d’une étincelle, un regard, un mot de trop et nous assistons très vite à une escalade d’insultes, de coups, de menaces envers les autres camarades….

Face à ces situations, le temps long est nécessaire pour essayer de construire un autre mode de relation, un autre rapport à l’autre.

La compréhension des problèmes sociaux ça se joue dans la vie quotidienne. Nous sommes présents tout au long de la semaine, tout au long de l’année, pour répondre à différents besoins.

Chaque fois que nous nous sommes efforcés de mieux connaître la situation particulière de ceux qui manifestaient le plus de rage, le plus de violence, nous nous sommes toujours retrouvés face à un jeune en détresse qui subissait une réalité quotidienne insupportable. Ce qui devient insupportable c’est le cumul des difficultés : les difficultés à l’école avec le sentiment d’être rabaissé intellectuellement, les difficultés de vivre dans un quartier qui est relégué où on se sent abandonné par les institutions, les difficultés de vivre dans une famille où les adultes n’ont plus de pouvoir sur leur propre destin, où les démarches n’aboutissent plus, où le découragement se manifeste par des attitudes d’abandon.

Et chaque fois, nous nous sommes efforcés de manifester une attention toute particulière à ce jeune en lui offrant autant que possible des moments privilégiés avec lui, pour lui, à partir de ses envies. La sanction dans ces situations particulières n’est jamais une réponse suffisante, elle réactive le sentiment de rejet et d’abandon. Nous nous désolons et nous nous inquiétons de constater comment l’école sanctionne par des éviction scolaires à répétition, par des exclusions des établissements.

Nous privilégions l’attitude empathique, l’effort de compréhension, la manifestation de notre intérêt pour ce jeune. Nous sommes alors centrés sur tous les moments réussis avec lui, et nous parlons surtout de ça avec lui, avec sa famille. Notre intérêt est centré sur ce qui va bien.

Ca prend du temps, ce n’est pas spectaculaire, mais ensemble, avec lui, nous faisons l’effort de tenter de traverser cette impasse relationnelle et nous arrivons souvent, pas toujours, mais souvent, à ouvrir un autre espace de compréhension mutuelle. Notre objectif étant de partager avec tous ceux qui souhaitent nous rejoindre, des moments de bien être où chacun peut trouver sa place.

Il faut s’inquiéter très sérieusement de cette rupture, cette incompréhension majeure de la société avec les quartiers populaires. Il faut redonner la parole à tous ces habitants, les aider à conquérir leur place de droit dans la société.

Il faut juste être à leur côté, s’engager avec eux, dans la durée.

Josiane Günther
(1) Laurent Mucchielli: sociologie de la délinquance et de la politique sécuritaire

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Efficacité, volonté de contrôle, de maitrise…. Une dérive de plus dans notre façon de vouloir traiter les questions de société.

Efficacité, volonté de contrôle, de maitrise…. Une dérive de plus dans notre façon de vouloir traiter les questions de société.
Pour les questions d’organisation de collectifs, sur la façon dont on envisage de mener à bien les projets avec les personnes concernées, la notion d’efficacité, de maitrise, la volonté de contrôle prend le pas sur l’esprit d’humanisme, de tolérance et de respect des capacités et des rythmes de chacun.
Aujourd’hui, plus que jamais, et dans tous les secteurs de la société il est désormais question d’efficacité. Peu à peu, nous intégrons les principes du système néo libéral, jusque dans nos relations humaines. Les institutions depuis déjà un certain nombre d’années, et des structures de quartier aujourd’hui, dont l’activité est centrée sur l’accueil de la personne, l’écoute, la prise en compte de la demande….pensent désormais en termes d’objectifs, de projets.
Les appels à projet ont certainement une très lourde responsabilité dans cette dérive. Ils instaurent du prêt à penser, ils délivrent toute une série de concepts de plus en plus désincarnés, qui ne relèvent pas d’une situation vécue, éprouvée, et les imposent aux structurent qui doivent s’y conformer si elles veulent pouvoir prétendre à des aides financières. Les pourvoyeurs d’aides financières exigent que l’on produise de « l’emporwement », de la « démocratie participative », de « l’éducation populaire »…… La contradiction est presque grossière de cette injonction à développer de la participation active des citoyens. Comme s’il suffisait de le décider.

Dans ce cadre d’appels à projets, il est juste question de récupérer le langage et la pensée de tous ces acteurs de terrains qui construisent avec patience et humilité d’autres chemins propices à la rencontre authentique, vecteurs de créativité et de transformation réelle. La conséquence préjudiciable étant d’en dénaturer la finalité.
Pour les questions qui relèvent du champ social, celles du vivre ensemble, comment peut on envisager d’élaborer des démarches à la manière d’un gestionnaire d’entreprise qui prévoit, programme, optimise?
Le piège c’est d’envisager la réalité à partir de présupposés, de ce qu’on imagine être la meilleure manière de construire les relations humaines, de la façon dont une rencontre doit se dérouler. On estime qu’il existe une manière convenable pour que les relations s’instaurent. Il faut trouver le bon moyen pour que le collectif évolue de telle ou telle manière. Par exemple, quand on s’adresse à des familles, il est envisager comment les parents doivent avoir envie de jouer avec les enfants, comment ils doivent se comporter, comment ils doivent se parler…..
Ces principes, établis, réfléchis, en dehors de la réalité, en dehors de la présence des personnes concernées, deviennent des objectifs à atteindre de façon programmée. Mais si ces objectifs ne sont pas atteints de la façon dont ils avaient été pensés, le risque est d’interpréter ce qui a été vécu comme un échec. Il s’agit d’orienter les choses de la façon dont on les a pensé, alors qu’il ne peut être question que d’expériences à vivre et de l’opportunité que nous trouvons à en tirer des enseignements, de la compréhension, du sens pour aller de l’avant ensemble, dans un rapport d’égalité, pour tenter de construire des relations qui soient justes pour les uns et les autres, porteuses de plus de justice et d’égalité.
Penser les choses au lieu de les vivre, et prendre le risque de construire des projets qui ne correspondent en rien avec les besoins réels. Les exemples sont trop nombreux. Avec pour conséquence, les incompréhensions, le sentiment de ne pas se sentir pris en compte, reconnu, partie prenante, le découragement, la rupture de confiance….
Ainsi, nous perdons de vue la notion de complexité de la personne et des relations humaines, avec sa part d’aléatoire, de contradiction, d’ambivalence. Tout n’est que nuance pour ce qui concerne les questions humaines.
Nous perdons de vue la notion de temps qu’il est nécessaire pour construire, pour entreprendre et amorcer des changements. « Il faut donner du temps au temps ». Cette expression de bon sens a toujours expliqué le temps qu’il est nécessaire pour construire des relations humaines, établir des liens de confiance entre les personnes, au sein d’un collectif, réaliser des choses ensemble. Le temps qu’il faut et dont nous ne pouvons pas décider par avance de la durée.
Il y a une part d’imprévisible et de non mesurable, dans chacune de nos tentatives de construction collective. La réalité ne se réduit jamais à la façon dont on là pensée.
La personne est à prendre en compte dans sa complexité et le contexte particulier dans lequel elle évolue. Il n’y a pas la bonne où la mauvaise attitude face à une situation particulière, il n’y a pas la bonne ou la mauvaise réponse pour régler un problème concret. Il y a la rencontre et ce qu’elle produit, qui est par essence imprévisible. Il y a ce qu’on est capable à un moment donné de communiquer, d’exprimer avec plus ou moins de clarté, d’entendre, de prendre en compte, d’accepter. Il y a le lien qui se construit avec sa part d’incertitude, de moments forts et d’autres plus difficiles. Il y a ce qui est juste et pertinent aujourd’hui et qui sera peut être remis en question demain.
Les acteurs de la pédagogie sociale sont centrés sur les questions du pouvoir d’agir, de démocratie participative, d’éducation populaire. Ils s’engagent auprès des habitants des quartiers délaissés, oubliés, en proposant un temps de présence, en occupant l’espace public, en animant des ateliers de rue. La volonté est de favoriser un temps de partage où chacun se sente bien, se sente reconnu et puisse s’impliquer pour construire avec les autres, des relations positives, réaliser des actions qui répondent à des problèmes concrets.
Le rôle essentiel des pédagogues sociaux est de s’efforcer d’assurer un climat de sécurité et d’ouverture au dialogue au sein du collectif. Il s’agit de prendre acte de la réalité, telle qu’elle se présente sans décider de ce qu’il faut changer, ou améliorer. Les pédagogues sociaux considèrent les personnes rencontrées comme les principaux experts de la situation dont elles souffrent. Dans ces rencontres, rien n’est décidé à priori, programmé, nous accueillons tous ceux qui souhaitent nous rejoindre de manière inconditionnelle.
Nous ne plaquons pas une grille d’intentions décidée en dehors des réalités vécues par les personnes, des contextes que nous créons ensemble.
Nous n’avons pas d’intention particulière sur la manière dont ces temps collectifs doivent se dérouler, nous donnons par contre beaucoup d’attention à chacun. Quand on travaille dans la rue, on travaille dans la libre initiative des enfants, des parents. On travaille avec tous les âges en même temps et le travail qu’on produit est en phase avec l’environnement, il ne répond plus aux exigences d’une institution coupée du monde.
Et ainsi, au fil du temps, la parole se libère, des envies se manifestent, on réfléchit ensemble à d’autres possibles. On s’attache à transformer notre environnement tel qu’il est, en prenant conscience de nos chaînes de nos contraintes, ici et maintenant, ensemble.
« Les pédagogues sociaux démontrent patiemment par la pratique qu’une autre pédagogie est possible, qu’elle valorise et renforce les individus et les groupes, qu’elle arme les enfants contre la violence sociale, qu’elle lutte efficacement contre la solitude, l’auto-exclusion et la dépression ambiante. » (Laurent Ott)
Il s’agit de devenir auteurs ensemble, en s’engageant, en s’impliquant dans un processus, dans un rapport d’égalité, de sujets à sujets (« ….il s’agit d’être auteur de ses apprentissages, d’être créatif, de ne pas seulement s’adapter mais aussi de s’attacher à transformer l’environnement. » Laurent OTT)
Ainsi nous nous inscrivons tous ensemble dans un mouvement d’émancipation, de reprise en main de notre avenir commun.
Josiane Reymond, Terrain d’entente
6 sept 2015, josianereymond@orange.fr

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Faire ensemble société

Envisager l’avenir avec tous ceux pour lesquels rien n’est envisageable aujourd’hui.
Faire ensemble société.

 

« La justice n’a plus d’argent !!! ». Dans les services sociaux, c’est un argument considéré avec sérieux et accepté. L’agent qui a pour mission la protection de l’enfance, doit désormais le prendre en compte. L’état estime aujourd’hui les différentes prises en charges prévues pour répondre aux besoins des enfants en terme de cout. Il somme les institutions en charge d’assurer ces services d’envisager les mesures les moins onéreuses possibles. Les agents devant ainsi contribuer à des économies substantielles.
Hors, certains enfants manifestent aujourd’hui leur mal être en développant des troubles psychiques graves. Récemment, une jeune fille de 13 ans a été hospitalisée d’urgence en psychiatrie. Elle se mutilait aves toutes sortes d’objets, elle cherchait à se donner la mort. Elle va séjourner dans ce service pendant plus d’un mois, non pas que les soins hospitaliers soient une réponse adaptée à ses troubles. Au contraire, cet enfermement devient même une difficulté supplémentaire. Car ce service, faute de personnel suffisant, enferme les « patients » dans leur chambre par mesure de protection. Cette jeune fille va donc restée enfermée parce qu’il n’y a aucune solution de protection adaptée. Les lieux de placements sont littéralement saturés.
L’histoire de cette jeune fille, c’est l’histoire de milliers d’enfants dont les familles fuient la misère qu’elles subissent dans leur pays d’origine. Lorsqu’elles se retrouvent en France, elles vivent parfois pendant plusieurs années la précarité, l’incertitude du lendemain, l’errance…. Ces enfants se retrouvent meurtries et en souffrance ce qu’ils manifestent de façon parfois extrême. Mais il y a également tous ces enfants nés en France et dont les familles subissent une misère toujours plus profonde.
Les exemples se multiplient semaine après semaine, où il n’est plus possible de trouver des solutions de protection adaptées, parce qu’il n’y a plus d’argent pour les services sociaux, les services de soins……
Pourquoi devenons-nous aussi passifs et résignés face à ce système qui ne raisonne plus qu’en terme de chiffre et de cout ?
Nous avons perdu le sens de nos métiers centrés sur la protection des plus fragiles parce que nous ne comprenons plus l’évolution du cours de notre histoire. Les agents estiment qu’ils n’ont plus prise dans l’évolution de notre système. La réalité nous semble trop complexe, incompréhensible, inchangeable. Alors, pourquoi lutter ? Nous acceptons cette période
d’ austérité qui se prolonge et qui dégrade le travail de tous les services sociaux, les services de soin, les services de l’éducation nationale. Une austérité qui concerne en fait les couches les plus pauvres de notre société. Avec elle nous acceptons de perdre la notion d’intérêt général, la perte des droits humains fondamentaux. Il n’y a plus d’argent pour les services publics, pour le service à la personne et les multinationales réalisent des profits de plus en plus exorbitants, scandaleux, indécents.
L’état, pendant plusieurs décennies, a pu financer un système de protection sociale qui apportait des réponses à un certain nombre de difficultés. Ce système comportait évidemment de réelles limites, mais il tendait vers des rapports plus égalitaires. Les agents de ce système de protection étaient alors centrés sur les questions d’accès aux droits pour tous, et pouvaient ainsi chercher et trouver, avec les personnes en demande d’aide, des solutions pour régler certains problèmes.
Il y avait un certain consensus entre ces appareils de l’état et la politique sociale. On était ensemble attaché à défendre ce principe de justice sociale, d’égalité des droits, de dignité de la personne, et à y contribuer de façon concrète. On croyait alors en la possibilité d’améliorer les conditions de vie du plus grand nombre.
Depuis les années 80, nous assistons à un abandon de la politique pour la finance, au démentellement de toute une série de dispositifs consacrés à l’intérêt général parce qu’on a décidé de ne plus s’opposer à la main mise des multinationales sur la société.
Le système marchand a peu à peu contaminé tous les secteurs de notre société. Ce sont les chiffres qui parlent et nous font penser la réalité et non les besoins et les droits des personnes. De telle sorte qu’aujourd’hui, les agents pensent les différentes actions qu’ils doivent mener, en terme de cout, c’est ce qui leur est rappelé tous les jours. Chaque agent est encouragé également à optimiser son propre poste de travail.
Nous sommes investis par une autre « culture », celle de la rentabilité, de l’individu mu et développé par ses intérêts propres, de la responsabilité individuelle.
Ce qui devient inacceptable, ce n’est pas le fait que des enfants vivent avec leur famille, dans un état de dénuement très préjudiciable pour leur santé psychique. Ce qui devient inacceptable, ce sont justement ces familles qui viennent nous manifester leur incapacité à prendre soins de leurs enfants et dont les prises en charge représentent un cout pour la société qu’elle refuse aujourd’hui d’assumer. L’état refuse ainsi de prendre en compte un nombre croissant de nos concitoyens. Une partie de plus en plus importante de la société est abandonnée, oubliée. Il y a des quartiers de sans droits, sans voix, sans avenir.
Les acteurs de la pédagogie sociale ont choisi justement d’être présents dans ces quartiers, parce que cette présence représente une issue à cette fracture dévastatrice pour l’ensemble de notre société. L’issue c’est justement de rejoindre les personnes là où elles vivent, d’aller à la rencontre des gens pour construire avec eux des temps de rencontres.
L’issue c’est d’offrir un temps de présence de façon régulière, et de s’engager auprès des personnes que nous rencontrons semaine après semaine.
L’issue c’est de retrouver le chemin de ce qui nous est commun, et de chercher à transformer avec les personnes concernées ce qui est inacceptable : l’aggravation de la pauvreté pour de nombreuses familles, et toutes ses conséquences qui sont dévastatrices.
Cette présence régulière, tout au long de l’année permet de prendre la mesure de ce que vivent les familles pauvres aujourd’hui. C’est un combat au quotidien pour assurer les moyens de subsistance.
Ces sont des mères qui se déplacent à pied parce que les transports en commun sont trop chers, qui traversent la ville d’un bout à l’autre, pour acheter moins cher, qui consacrent leur énergie à faire des démarches administratives pour payer les factures incompressibles, pour faire valoir des droits qui sont toujours plus remis en question.
Et ce sont aussi ces mères, sur lesquelles on peut compter pour organiser un repas pour 150 personnes, pour se mobiliser pour renforcer notre équipe pour accompagner les enfants à un spectacle.
Malgré un quotidien éprouvant pour de très nombreuses familles où il faut mener une véritable bataille pour tenir, nombreuses sont celles qui arrivent, à partir de ces rencontres régulières, qui redonnent de la confiance, de l’assurance, à trouver l’énergie pour construire avec d’autres des solidarités indispensables. Elles ont la force et le courage de croire en un avenir possible avec tous, les différentes actions collectives abouties, en étant la confirmation.
De se retrouver ensemble, à la même hauteur permet une autre vision des familles et d’apprécier leur courage, leur sens de l’engagement, leur recherche permanente pour offrir un avenir meilleur à leurs enfants. Ce qui devient inacceptable, c’est justement le fait que pour beaucoup, le manque de l’essentiel soit permanent. Ensemble, nous nous efforçons de créer les conditions de retrouver des possibles.
Ce qui est déterminant dans ces temps de rencontre, c’est la simplicité avec laquelle ils se déroulent. Nous disposons de peu de moyens, nous offrons juste une présence attentive, nous jouons, nous discutons, nous partageons des expériences. Cette simplicité met tout le monde au même niveau.
Et les liens qu’on tisse semaine après semaine, sont des liens qui se construisent dans un rapport d’égalité, d’investissement et d’implication personnelle. La préoccupation de l’un devient notre affaire à tous. Chacun contribuant à la résolution du problème.
Nous nous retrouvons ainsi à plusieurs pour prendre soin des enfants, à prendre part à leur éducation. C’est surtout ça pour nous, le soutien à la parentalité. Etre un collectif, se sentir concerné et agir ensemble sur les différents évènements qui traversent nos temps de rencontre.
Nous assurons ainsi de manière effective et collective, la protection des enfants. Nous connaissons depuis près de 4 ans, une mère qui vit seule avec ses trois enfants. Elle est en difficulté pour assurer leur éducation. Je l’encourage à faire une demande d’aide éducative depuis un certain temps. Mais cette mère a vécu avec ces différents services des expériences qui l’ont beaucoup blessée, où elle a senti qu’on estimait qu’elle était une mauvaise mère. Elle a pris alors le parti d’éviter ces services pour se protéger de ce regard jugeant.
Au sein de notre collectif, elle a compris, au vu des difficultés que traversaient différentes familles, et qui pouvaient les nommer sans honte et sans peur de se sentir juger, que l’éducation des enfants était un exercice très difficile. Elle a également entendu des paroles bienveillantes pour elle-même, avec différents membres de l’association. Des invitations concrètes pour qu’elle prenne soin d’elle. Autant de signes de reconnaissance de sa propre personne, qui lui manifestaient concrètement qu’elle avait du prix à nos yeux, et que c’était important pour nous qu’elle se sente bien.
Cette mère a récemment prit rendez vous avec la Maison des Adolescents. Nous étions présents au premier entretien pour l’encourager dans cette démarche difficile, où elle prenait le risque de manifester des difficultés.
Les actes que nous posons de façon très locale, très petite, ont une incidence sur l’ensemble et ont leur part dans la construction de rapports plus justes, plus humains et plus égalitaires. Les actions collectives, partagées, réfléchies avec d’autres sont de véritables perspectives pour notre avenir commun. Elles redonnent à tous et à chacun espoir, et désir de participer à notre propre émancipation.
La pédagogie sociale s’est engagée dans cette voie depuis plus d’un siècle. Nous portons un fort héritage avec Korkzac, Radlinska, Freire, Freinet…. Tous ces personnages qui se sont engagés avec les plus opprimés pour répondre à des injustices et tenter de transformer la société.
Terrain d’entente s’efforce, à son niveau, avec de très modestes moyens, de tenir cet engagement.
Josiane REYMOND Terrain d’Entente Janvier 2016

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« Comment construire un avenir commun ? »

Comment construire un avenir commun ?

« Dans le temps de leur impuissance, la folie meurtrière est l’inconscient des colonisés…. Cette furie contenue, faute d’éclater, tourne en rond et ravage les opprimés eux-mêmes. Pour s’en libérer, ils en viennent à se massacrer entre eux : le frère levant le couteau contre son frère, croit détruire une fois pour toute, l’image détestée de leur avilissement commun. »
Frantz Fanon « les damnés de la terre »
C’était l’époque de la colonisation en Algérie. Frantz Fanon y décrit la brutalité, la barbarie du colon et analyse les conséquences dévastatrices sur le peuple colonisé. «…. le frère levant le couteau contre son frère…. ». C’était ailleurs, dans un contexte très précis de territoire occupé, c’était il y a longtemps.

1. Au fil des années, une situation qui s’aggrave
Sur notre territoire, à notre époque, on constate des prémices de tendances semblables. Les colonisés, les dominés, un même destin ? C’est toujours compliqué, c’est toujours risqué les analogies, mais c’est l’occasion de chercher à comprendre, à mettre en évidence les dangers.
Dans certains quartiers populaires, les relations de voisinages se délitent, la tension s’aggrave, les personnes de même condition s’opposent, se jalousent, se vivent comme concurrentes les unes vis-à-vis des autres.
Dans certains quartiers populaires, on manque de tout, et surtout de l’essentiel. Des logiques de survie se développent. La vie est pour beaucoup une bataille sans fin, et souvent perdue. Les familles consacrent l’essentiel de leur énergie pour s’efforcer de boucler le mois, payer les factures, éviter les découverts sur le compte ….On sort de chez soi, on sort du quartier juste pour tenter de régler des problèmes. La plupart du temps ce sont les relations avec les administrations qui deviennent source de problème. Un nouveau papier est réclamé pour compléter le dossier qui conditionne l’accès à l’allocation qui auparavant ne nécessitait pas cette nouvelle contrainte. Ou bien le service relève un trop perçu, qui bien souvent est une erreur administrative. Ou bien le dossier a pris du retard, parfois même, il a été perdu !!! et l’allocation est suspendue…..entrainant des conséquences en chaine avec des impayés, des dettes… qu’il faudra tenter de résoudre, encore et encore.
A St Etienne, la CAF ne propose plus un accueil libre, les usagers doivent prendre rendez vous. II faut attendre souvent plus d’une heure pour espérer obtenir un rendez vous dans les 3 jours. Il n’y a plus de salle d’attente, les sièges ont été supprimés. Dans un grand hall, les gens font la queue, des mères avec des bébés, des femmes enceintes, des personnes handicapées, des personnes âgées. Souvent la tension monte, les remarques, les disputes, les mauvaises paroles volent. « Le frère levant le couteau contre son frère croit détruire une fois pour toute l’image détestée de leur avilissement commun ».

Il n’y a pas si longtemps, quand on parlait des quartiers populaires c’était pour mettre en évidence cette capacité à construire des liens d’entraide et de solidarité, où « il suffisait de frapper à une porte pour qu’elle s’ouvre ». Aujourd’hui, beaucoup de portes sont fermées, et quand on se risque à sortir, il y a bien souvent des conflits qui opposent les voisins entre eux. Les mères s’accusent entre elles d’avoir des enfants mal élevés…. Certaines explosent et se battent. « Elle m’a cherchée, je l’ai envoyée à l’hôpital !!! »
Certains enfants, certains jeunes ont effectivement des comportements irrespectueux, voire même manifestent entre eux, une grande brutalité, de la cruauté parfois. Nous savons depuis longtemps expliquer ce phénomène. On parle d’enfants « insécures ». Des enfants qui
semblent avoir un besoin permanent d’attention et de reconnaissance. Ces phénomènes violents ont été suffisamment analysés : l’insatisfaction du besoin de sécurité provoque l’addiction à la violence. La dévalorisation de soi entraine des symptômes anxieux, dépressifs.
Pour rendre supportable cette anxiété, l’enfant ressent le besoin de chercher à rendre l’autre faible, pour se sentir ainsi plus fort lui même. La délinquance, c’est la tentative du traitement de la dépression. Le passage à l’acte produit du plaisir et du soulagement, mais juste dans l’instant. D’où cette notion d’addiction à la violence.

Alors certaines familles pauvres n’arrivent pas à subvenir suffisamment aux besoins profonds de leurs enfants ? Comment peut-on imaginer qu’il en soit autrement ? Comment ces adultes malmenés et découragés pourraient-ils donner à leurs enfants ce qui est essentiel, cette nécessaire sécurité affective, qui permet d’envisager l’avenir avec confiance, alors qu’ils sont eux même dans l’incertitude du lendemain ? Alors que notre système actuel ne leur manifeste que mépris, dénis, défiance ?

2. Comment comprendre cette évolution ?

Cette époque obscure, où l’avenir semble encore plus inquiétant que ce que nous traversons déjà, nous sommes de plus en plus nombreux à le ressentir. La condition de vie dans les milieux populaires, avec son lot de précarité généralisé et global, semble annoncé ce qui attend le plus grand nombre. Ne serait ce que sur la question des conditions de travail, elles se dégradent dans tous les secteurs, privés et publics confondus. La loi travail, va provoquer une concurrence encore plus sauvage dans chaque entreprise et entrainer des conditions de travail de plus en plus dures et injustes, irrespectueuses des lois qui protègent les salariés, avec une menace permanente de licenciements. Les conditions de travail des fonctionnaires sont également profondément remises en question. Dans ces secteurs, il est question de gestion, la gestion des couts et de rentabiliser chaque poste de travail.

Partout on parle du cout du travail. Un travail qui conditionne des droits sociaux toujours remis en question. Un travail dont la pénurie est organisée et dont le manque met en cause des droits qui sont devenus vitaux.
Donc aujourd’hui la société est divisée entre une immense majorité de laissés pour compte et une caste de nantis qui dominent, décident sans partage. C’est ce que traduit le mouvement Podémos en Espagne, quand il parle de la situation du peuple face à l’oligarchie, la caste. Dans son analyse politique et sociale, il encourage à politiser les conditions individuelles de vie pour permettre à tout un chacun de comprendre le système, et se donner ainsi les moyens de sortir ensemble de l’impuissance et de l’impasse.

3. Des acteurs sociaux se mobilisent pour construire, produire, transformer

Aller à la rencontre de ces quartiers délaissés, offrir une présence régulière, c’est l’engagement tenu dans la durée des pédagogues sociaux, et de Terrain d’Entente à St Etienne. Cette forme de présence dans l’espace publique, permet de voir, de comprendre et de mettre en lumière ce qui nous est caché. Ce scandale des injustices sociales, des rapports d’inégalités qui détruisent des vies entières. C’est également l’occasion de comprendre ensemble notre condition commune. Il est temps de multiplier ces initiatives, de construire des espaces de rencontre où on fait les choses ensemble.
« Il faut inventer des tables rondes, à la manière du roi Artur, où les gens peuvent abandonner les armes en entrant.», suggère Philippe Meirieu. Il poursuit : « C’est par le faire ensemble qu’on retrouve le commun qui permet de se parler, de rétablir la confiance. « Faire », plutôt que « vivre ensemble », retrouver ainsi un intérêt commun autour duquel les gens s’investissent. Notre société a perdu le sens du faire ensemble. Il faut reconstruire une écologie de l’attention collective. »

Politiser les expériences de vie de chacun, construire des tables rondes, occuper l’espace publique et faire sortir les gens de chez eux.
L’espoir est ténu, il disparait parfois. Pour les familles des milieux populaires, l’espoir c’est surtout de pouvoir offrir un avenir meilleur pour leurs enfants. Alors certains arrivent à se mobiliser par exemple, autour de rencontres avec des enseignants pour parler de la scolarité des enfants, pour organiser des sorties…. Nous mesurons chaque fois l’effort fournis par ces adultes qui trouvent l’énergie de s’arracher à leurs préoccupations du quotidien pour réfléchir avec d’autres et mieux comprendre, pour trouver des solutions. Un effort qui met en évidence la volonté de dépasser, d’échapper à cette condition intenable et indigne. Une ressource qui permet de continuer à croire que c’est possible.

Depuis près de 3 ans, les rencontres au « café des femmes » permettent de mettre en évidence les préoccupations. Chaque Vendredi, nous nous retrouvons parfois à 25 autour de la table pour évoquer des questions de sociétés, nos inquiétudes face à l’avenir de nos enfants, nos besoins d’aide concrète, notamment autour des démarches administratives, nos envies. Nous faisons ainsi de la politique à hauteur d’hommes, en développant nos capacités à nous parler, à nous efforcer de comprendre et de respecter le point de vue de chacun. Nous nous organisons ensemble pour construire et réussir des projets. Nous rions beaucoup, nous pleurons aussi, souvent !!!.

Nous arrivons de plus en plus à nous organiser pour prendre soin des enfants, pour exercer collectivement notre responsabilité dans leur éducation et leur protection. Nous construisons une communauté éducative pour assurer au mieux ce besoin de sécurité affective.
C’est un immense chantier qui se construit pas à pas, avec des retours en arrière, avec des doutes et des frustrations. Si des solidarités se construisent, elles ne suffisent pas à combler les besoins, à régler les problèmes qui s’accumulent et s’aggravent pour beaucoup. Parce qu’il semble que chaque fois que nous arrivons à prévoir et réaliser quelque chose, ça met en évidence tous les besoins insatisfaits et nous nous sentons souvent seuls, trop seuls pour tenir cet engagement dans la durée. Ce qui nous met en danger, le danger de ne pas arriver à poursuivre cet effort, faute de moyens nécessaires.
Mais il n’y a rien d’autre de possible, face à cette situation inquiétante, que de construire cette démarche particulière. Une démarche où nous construisons du commun. Où chacun est pris en compte dans son combat, ce qui donne une chance de lui permettre de sentir possible de le mener avec d’autres. Il s’agit d’être très attentif à ce qui se manifeste, et ouvrir chaque fois que possible des espaces pour mettre en évidence des questions qui sont communes à beaucoup. Nous allons par exemple engager prochainement une réflexion sur les conditions de travail des femmes de ménage et tenter d’éviter que pour ces salariées, les liens de subordination ne deviennent des liens de soumissions à des conditions inacceptables et indignes. Nous allons également développer des espaces de création artistique avec les enfants, grâce à la présence d’une comédienne professionnelle.
Nous sommes tous concernés parce que nous sommes le peuple.

Il est urgent de construire des collectifs, une communauté d’intérêt et de conditions. A l’échelle de chaque territoire, nous pouvons mutualiser nos compétences et nos expertises. Ce que souffrent aujourd’hui les familles les plus fragiles des quartiers populaires, nous concerne tous totalement. Si nous ne nous mobilisons pas tous ensemble sur ces questions urgentes, nous nous retrouvons dans la même impasse terrible que décrivait Frantz Fanon. « Le frère levant le couteau contre son frère….. »

Pour l’association Terrain d’Entente

Josiane GÜNTHER
josianegunther@orange.fr

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