Faire ensemble société

Envisager l’avenir avec tous ceux pour lesquels rien n’est envisageable aujourd’hui.
Faire ensemble société.

 

« La justice n’a plus d’argent !!! ». Dans les services sociaux, c’est un argument considéré avec sérieux et accepté. L’agent qui a pour mission la protection de l’enfance, doit désormais le prendre en compte. L’état estime aujourd’hui les différentes prises en charges prévues pour répondre aux besoins des enfants en terme de cout. Il somme les institutions en charge d’assurer ces services d’envisager les mesures les moins onéreuses possibles. Les agents devant ainsi contribuer à des économies substantielles.
Hors, certains enfants manifestent aujourd’hui leur mal être en développant des troubles psychiques graves. Récemment, une jeune fille de 13 ans a été hospitalisée d’urgence en psychiatrie. Elle se mutilait aves toutes sortes d’objets, elle cherchait à se donner la mort. Elle va séjourner dans ce service pendant plus d’un mois, non pas que les soins hospitaliers soient une réponse adaptée à ses troubles. Au contraire, cet enfermement devient même une difficulté supplémentaire. Car ce service, faute de personnel suffisant, enferme les « patients » dans leur chambre par mesure de protection. Cette jeune fille va donc restée enfermée parce qu’il n’y a aucune solution de protection adaptée. Les lieux de placements sont littéralement saturés.
L’histoire de cette jeune fille, c’est l’histoire de milliers d’enfants dont les familles fuient la misère qu’elles subissent dans leur pays d’origine. Lorsqu’elles se retrouvent en France, elles vivent parfois pendant plusieurs années la précarité, l’incertitude du lendemain, l’errance…. Ces enfants se retrouvent meurtries et en souffrance ce qu’ils manifestent de façon parfois extrême. Mais il y a également tous ces enfants nés en France et dont les familles subissent une misère toujours plus profonde.
Les exemples se multiplient semaine après semaine, où il n’est plus possible de trouver des solutions de protection adaptées, parce qu’il n’y a plus d’argent pour les services sociaux, les services de soins……
Pourquoi devenons-nous aussi passifs et résignés face à ce système qui ne raisonne plus qu’en terme de chiffre et de cout ?
Nous avons perdu le sens de nos métiers centrés sur la protection des plus fragiles parce que nous ne comprenons plus l’évolution du cours de notre histoire. Les agents estiment qu’ils n’ont plus prise dans l’évolution de notre système. La réalité nous semble trop complexe, incompréhensible, inchangeable. Alors, pourquoi lutter ? Nous acceptons cette période
d’ austérité qui se prolonge et qui dégrade le travail de tous les services sociaux, les services de soin, les services de l’éducation nationale. Une austérité qui concerne en fait les couches les plus pauvres de notre société. Avec elle nous acceptons de perdre la notion d’intérêt général, la perte des droits humains fondamentaux. Il n’y a plus d’argent pour les services publics, pour le service à la personne et les multinationales réalisent des profits de plus en plus exorbitants, scandaleux, indécents.
L’état, pendant plusieurs décennies, a pu financer un système de protection sociale qui apportait des réponses à un certain nombre de difficultés. Ce système comportait évidemment de réelles limites, mais il tendait vers des rapports plus égalitaires. Les agents de ce système de protection étaient alors centrés sur les questions d’accès aux droits pour tous, et pouvaient ainsi chercher et trouver, avec les personnes en demande d’aide, des solutions pour régler certains problèmes.
Il y avait un certain consensus entre ces appareils de l’état et la politique sociale. On était ensemble attaché à défendre ce principe de justice sociale, d’égalité des droits, de dignité de la personne, et à y contribuer de façon concrète. On croyait alors en la possibilité d’améliorer les conditions de vie du plus grand nombre.
Depuis les années 80, nous assistons à un abandon de la politique pour la finance, au démentellement de toute une série de dispositifs consacrés à l’intérêt général parce qu’on a décidé de ne plus s’opposer à la main mise des multinationales sur la société.
Le système marchand a peu à peu contaminé tous les secteurs de notre société. Ce sont les chiffres qui parlent et nous font penser la réalité et non les besoins et les droits des personnes. De telle sorte qu’aujourd’hui, les agents pensent les différentes actions qu’ils doivent mener, en terme de cout, c’est ce qui leur est rappelé tous les jours. Chaque agent est encouragé également à optimiser son propre poste de travail.
Nous sommes investis par une autre « culture », celle de la rentabilité, de l’individu mu et développé par ses intérêts propres, de la responsabilité individuelle.
Ce qui devient inacceptable, ce n’est pas le fait que des enfants vivent avec leur famille, dans un état de dénuement très préjudiciable pour leur santé psychique. Ce qui devient inacceptable, ce sont justement ces familles qui viennent nous manifester leur incapacité à prendre soins de leurs enfants et dont les prises en charge représentent un cout pour la société qu’elle refuse aujourd’hui d’assumer. L’état refuse ainsi de prendre en compte un nombre croissant de nos concitoyens. Une partie de plus en plus importante de la société est abandonnée, oubliée. Il y a des quartiers de sans droits, sans voix, sans avenir.
Les acteurs de la pédagogie sociale ont choisi justement d’être présents dans ces quartiers, parce que cette présence représente une issue à cette fracture dévastatrice pour l’ensemble de notre société. L’issue c’est justement de rejoindre les personnes là où elles vivent, d’aller à la rencontre des gens pour construire avec eux des temps de rencontres.
L’issue c’est d’offrir un temps de présence de façon régulière, et de s’engager auprès des personnes que nous rencontrons semaine après semaine.
L’issue c’est de retrouver le chemin de ce qui nous est commun, et de chercher à transformer avec les personnes concernées ce qui est inacceptable : l’aggravation de la pauvreté pour de nombreuses familles, et toutes ses conséquences qui sont dévastatrices.
Cette présence régulière, tout au long de l’année permet de prendre la mesure de ce que vivent les familles pauvres aujourd’hui. C’est un combat au quotidien pour assurer les moyens de subsistance.
Ces sont des mères qui se déplacent à pied parce que les transports en commun sont trop chers, qui traversent la ville d’un bout à l’autre, pour acheter moins cher, qui consacrent leur énergie à faire des démarches administratives pour payer les factures incompressibles, pour faire valoir des droits qui sont toujours plus remis en question.
Et ce sont aussi ces mères, sur lesquelles on peut compter pour organiser un repas pour 150 personnes, pour se mobiliser pour renforcer notre équipe pour accompagner les enfants à un spectacle.
Malgré un quotidien éprouvant pour de très nombreuses familles où il faut mener une véritable bataille pour tenir, nombreuses sont celles qui arrivent, à partir de ces rencontres régulières, qui redonnent de la confiance, de l’assurance, à trouver l’énergie pour construire avec d’autres des solidarités indispensables. Elles ont la force et le courage de croire en un avenir possible avec tous, les différentes actions collectives abouties, en étant la confirmation.
De se retrouver ensemble, à la même hauteur permet une autre vision des familles et d’apprécier leur courage, leur sens de l’engagement, leur recherche permanente pour offrir un avenir meilleur à leurs enfants. Ce qui devient inacceptable, c’est justement le fait que pour beaucoup, le manque de l’essentiel soit permanent. Ensemble, nous nous efforçons de créer les conditions de retrouver des possibles.
Ce qui est déterminant dans ces temps de rencontre, c’est la simplicité avec laquelle ils se déroulent. Nous disposons de peu de moyens, nous offrons juste une présence attentive, nous jouons, nous discutons, nous partageons des expériences. Cette simplicité met tout le monde au même niveau.
Et les liens qu’on tisse semaine après semaine, sont des liens qui se construisent dans un rapport d’égalité, d’investissement et d’implication personnelle. La préoccupation de l’un devient notre affaire à tous. Chacun contribuant à la résolution du problème.
Nous nous retrouvons ainsi à plusieurs pour prendre soin des enfants, à prendre part à leur éducation. C’est surtout ça pour nous, le soutien à la parentalité. Etre un collectif, se sentir concerné et agir ensemble sur les différents évènements qui traversent nos temps de rencontre.
Nous assurons ainsi de manière effective et collective, la protection des enfants. Nous connaissons depuis près de 4 ans, une mère qui vit seule avec ses trois enfants. Elle est en difficulté pour assurer leur éducation. Je l’encourage à faire une demande d’aide éducative depuis un certain temps. Mais cette mère a vécu avec ces différents services des expériences qui l’ont beaucoup blessée, où elle a senti qu’on estimait qu’elle était une mauvaise mère. Elle a pris alors le parti d’éviter ces services pour se protéger de ce regard jugeant.
Au sein de notre collectif, elle a compris, au vu des difficultés que traversaient différentes familles, et qui pouvaient les nommer sans honte et sans peur de se sentir juger, que l’éducation des enfants était un exercice très difficile. Elle a également entendu des paroles bienveillantes pour elle-même, avec différents membres de l’association. Des invitations concrètes pour qu’elle prenne soin d’elle. Autant de signes de reconnaissance de sa propre personne, qui lui manifestaient concrètement qu’elle avait du prix à nos yeux, et que c’était important pour nous qu’elle se sente bien.
Cette mère a récemment prit rendez vous avec la Maison des Adolescents. Nous étions présents au premier entretien pour l’encourager dans cette démarche difficile, où elle prenait le risque de manifester des difficultés.
Les actes que nous posons de façon très locale, très petite, ont une incidence sur l’ensemble et ont leur part dans la construction de rapports plus justes, plus humains et plus égalitaires. Les actions collectives, partagées, réfléchies avec d’autres sont de véritables perspectives pour notre avenir commun. Elles redonnent à tous et à chacun espoir, et désir de participer à notre propre émancipation.
La pédagogie sociale s’est engagée dans cette voie depuis plus d’un siècle. Nous portons un fort héritage avec Korkzac, Radlinska, Freire, Freinet…. Tous ces personnages qui se sont engagés avec les plus opprimés pour répondre à des injustices et tenter de transformer la société.
Terrain d’entente s’efforce, à son niveau, avec de très modestes moyens, de tenir cet engagement.
Josiane REYMOND Terrain d’Entente Janvier 2016

Laisser un commentaire