Faire milieu, qu’est ce qui est difficile ?

FAIRE MILIEU, QU’EST-CE QUI EST DIFFICILE ?

Le milieu étant pour nous, de construire, avec toutes les personnes volontaires, des liens de confiance et d’entraide, l’association Terrain d’Entente est engagée dans un travail de rue, avec des habitants du quartier Beaubrun/Tarentaise à St Etienne depuis près de 4 ans.

Lorsque nous avons fait connaissance avec les premiers adultes qui nous ont rejoint sur le terrain de jeux, on entendait souvent, « il faut de méfier de tout le monde et faire confiance à personne ».

Ce qui est difficile, face à des personnes blessées, découragées, malmenées par cette société extrêmement inégalitaire, discriminante et stigmatisante, c’est de construire un lien de confiance, c’est faire ensemble société.

L’équipe de base, les militants de cette association, ne vivent pas dans ce quartier, ils ne sont pas dans la précarité matérielle, ils ne sont pas de confession musulmane. Les habitants de ce quartier sont essentiellement des familles issues de l’immigration ancienne ou récente, ils sont de façon générale très pauvres, et pour la plus part de confession musulmane.

Et les liens qu’on tisse semaine après semaine, sont des liens qui se construisent, à la manière d’une famille, c’est-à-dire, dans un rapport d’égalité, d’investissement et d’implication personnelle. Ces liens sont forts de toutes ces différences. Avec toute notre diversité, on construit notre histoire ensemble. Les valeurs affichées de ce pays deviennent des expériences partagées.

J’entends parfois des commentaires sur cette présence particulière dans le quartier : « l’idéal, ce serait qu’on n’ait plus besoin de vous…. ». Donc l’idéal, c’est la séparation, l’absence de partage ?!!!!

Annah Arendt avait fait l’analyse de la société américaine dans les années 60. Elle s’inquiétait de ce phénomène de séparation: les tous petits dans les crèches, les vieux dans les maisons de retraite, les différentes classes sociales qui n’ont jamais aucun lien….. Elle estimait que c’était un vecteur de violence sociale.

Etre aux pieds des immeubles, offrir un temps de présence les mêmes jours, au même lieu, à la même heure, ça produit tout le contraire.

Nous rencontrons tout le monde, des petits, des grands, entre 2 et 15 ans, des adultes, des bébés. Des familles qui viennent de différentes régions de la planète. Faire milieu dans ce quartier, c’est se sentir citoyens du monde.

La confiance, c’est un petit être fragile et farouche, elle se nourrit jour après jour. Ce qui lui permet de se développer, c’est surtout quand chacun se sent exister parmi les autres. Ce sont tous ces moments où on se réjouit de se retrouver, où on prend des nouvelles au téléphone, où on frappe à la porte pour proposer une sortie. Ces moments gratuits, sans intention particulière, qui manifestent juste de l’attention, de l’intérêt qu’on se porte les uns vis-à-vis des autres.

La confiance, ce sont tous ces moments où on construit ensemble des projets, qui aboutissent concrètement. Ces réalisations collectives sont des moments fondateurs de liens solides et profonds. Chacun donne à sa mesure, selon sa force, la présence des uns et des autres est ainsi vécue comme indispensable. Ce sont des temps de connaissance et de reconnaissance mutuelle.

Ce qui est difficile également, et qui est lié, c’est de croire ensemble qu’on peut construire un collectif qui devienne une force, susceptible de transformer la réalité.

Ceci se construit essentiellement par un engagement net et clair auprès des personnes que nous rencontrons. Nous prenons position de façon affirmée sur ce qui est en jeu aujourd’hui pour une part croissante de la population : l’appauvrissement, la marginalisation, l’exclusion qui sont de véritables scandales dans cette société riche et opulente. Ce système marchand généralisé oppresse les plus pauvres de façon de plus en plus violente. Nous témoignons de ce que nous voyons et comprenons sur ce que les uns et les autres ont à tenir dans leur quotidien.

Pour devenir une force capable de transformer la réalité, il faut échapper au sentiment d’impuissance. Il est donc nécessaire de prévoir ensemble des objectifs atteignables, des mobilisations autour de questions très concrètes. Nous cheminons par exemple, vers l’organisation d’une garde d’enfants par les unes et les autres, en réponse à la saturation des haltes garderies. Les enfants se sont réunis dernièrement pour écrire une lettre au Maire, l’informant de l’état du terrain de foot qui se dégrade et proposant des réparations possibles. Nous réglons des problèmes concrets.

Nous nous confrontons ensemble au réel, c’est de la politique grandeur nature.

C’est un engagement, une prise de position concrète une volonté de construire une société plus humaine, de dénoncer les injustices et de lutter pour les réduire, et devenir ensemble acteur, auteur.

Quand j’ai entrepris cette aventure, j’étais dans un état d’esprit très pessimiste. Je ressentais que toute cette violence institutionnelle avec son lot de précarité et d’exclusions nous menait dans une grave impasse de délitement de la société.

Construire cette qualité de relation avec ces familles qui souffrent d’être empêchées de se réaliser, de pouvoir envisager pleinement l’avenir, m’a redonner l’espoir. Au fond de soi, et pour chacun, il y a cette aspiration profonde à créer des relations positives, de respect mutuel. On peut se saisir de ce désir qui nous est commun et avec lequel on peut construire une communauté d’entraide et d’ouverture les uns par les autres. Le collectif devenant ainsi une réelle force de transformation.

Laisser un commentaire