Contre le sécuritaire, les proximités pour habiter ce monde ensemble.

Contre le sécuritaire,
les proximités pour habiter ce monde ensemble.

C’est devenu une préoccupation permanente, en toutes circonstances, pour la moindre initiative la question centrale est toujours : avons nous envisagé ce que nous souhaitons entreprendre sous l’angle de la sécurité?
Les actions qui se déclinent pour répondre à des besoins, des envies, pour régler des problèmes concrets sont considérées sous le prisme des bonnes conditions de sécurité. On se préoccupe alors moins de s’assurer que les actions prévues sont une bonne réponse à ce qui s’est manifesté, si nous avons été vigilants à bien comprendre la demande, si nous nous sommes assurés que les personnes concernées étaient bien auteurs et partie prenante de cette initiative….Nous sommes plutôt invités, pour ne pas dire que nous devons répondre à cette injonction à bien mesurer le risque qu’elles comportent.
Pour notre sécurité, il se développe, sans notre consentement d’ailleurs, toute une séries de mesures. Des caméras de vidéo surveillance sont investies un peu partout. Pour notre sécurité, on interdit certains accès publics aux usagers. Pour notre sécurité, on empêche, on contrôle, on interdit.
La CAF de St Etienne vient d’annoncer qu’à partir du mois de janvier 2018, il n’y aurait plus d’accueil au public, toutes les démarches nécessiteraient un accès à internet. « Il y a eu trop d’agressions…. » A-t-on entendu comme justification.
La mise à mal du fonctionnement des services d’intérêt général ont pour principale cause les baisses drastiques des budgets publiques. Mais allons jusqu’au bout de cette logique sécuritaire.
Ce qui est interpellant ce sont les arguments avancés pour mettre en évidence la justesse de toutes ces démarches sécuritaires. Le désengagement des services administratifs s’expliquerait donc par l’attitude agressive des usagers…. Les agents de ces services ne seraient plus en sécurité, il y aurait trop de risque de rentrer en relation avec les personnes en demande d’aide, on prend donc le parti que ces agents ne soient plus en mesure d’exercer leur mission. Et de chaque fois s’éloigner plus, de mettre plus de distance, pour se protéger de tous ces risques potentiels, de construire des murs entre nous tous.
Cet impératif de la sécurité produit peu à peu l’éloignement des services publiques, l’isolement des personnes qui rencontrent des difficultés, et la dégradation de leur situation, et au bout de toutes ces ruptures dans nos relations, la peur de l’autre, la peur de ce qu’on ne connait pas, une peur imaginaire donc, et qui justifie ce besoin exacerbé de mesures de sécurité.
Cet impératif du tout sécuritaire gagne tous nos espaces communs, les écoles, les loisirs, le culturel, le social…. C’est un frein à tous ces élans qui nous poussent à entreprendre ensemble pour transformer, pour créer. C’est un frein à notre puissance d’agir, une très préjudiciable réduction de tous ces mouvements émancipateurs qui sont à la source d’une société humanisée et vivante. C’est la mort de la liberté d’entreprendre ensemble avec toutes ses conséquences dévastatrices.
L’homme ne devient homme que s’il est en mesure de pouvoir accroître tous ses potentiels en agissant avec les autres, en prenant des risques, en tirant des enseignements, avec les autres, de toutes ses initiatives.
Une des adhérentes de Terrain d’Entente nous avait expliqué qu’elle ne sortait de chez elle que pour faire les courses, et ses démarches administratives. Elle se méfiait de tout le monde et ne voulait pas prendre le risque de se confronter à des voisins qu’on lui avait décrit comme irascibles. Depuis 4 ans que nous là connaissons, nous là voyons s’épanouir, participer à toutes nos rencontres, donner son avis, s’impliquer dans des projets. C’est une personne ressource que l’on peut solliciter pour renforcer notre équipe notamment à l’occasion de la garde des bébés qui a lieu chaque mardi.
Au fil du temps, une relation de confiance s’est installée. Au fil du temps…. Elle est sortie de chez elle pour observer de loin notre manière de faire avec les enfants, puis on s’est dit bonjour, puis elle nous a interrogé sur notre présence, avec les enfants sur le terrain de jeu, au café des femmes…. Puis elle nous a rendu visite au café des femmes. Aujourd’hui, elle est force de proposition, elle est engagée très concrètement dans notre démarche et l’enrichit par ses prises d’initiatives.
Laurent MUCCHIELLI propose comme hypothèse majeure au sentiment d’insécurité qui s’amplifie, le sentiment de vulnérabilité. Cette vulnérabilité qui est constitutive de l’anonymisation croissante des relations humaines. Ce qui a changé fondamentalement dans notre époque, ce sont les difficultés de la communauté de voisinage à construire des liens d’interconnaissance. La proximité de la relation produit pourtant un plus grand sentiment de sécurité. (1)

 
Face à cette dangereuse question de la sécurité, les pédagogues sociaux proposent de construire des proximités. Laurent OTT les décrit d’une façon très précise (2) :
Il s’agit d’abord d’une proximité géographique, qui balaye la distance qui sépare, où l’on rejoint l’autre sur son territoire, dans son environnement particulier, que nous nous efforçons de comprendre.
Une proximité culturelle ensuite. Nous rencontrons des personnes qui viennent du monde entier. Elles ont chacune une histoire singulière et il s’agit pour nous d’apprendre, de comprendre, de découvrir les fruits de cette trajectoire particulière. Nous sommes animés d’un intérêt, d’une sympathie culturelle, face à cette manière différente de comprendre la réalité, avec la volonté d’en tirer ensemble des enseignements pour mieux comprendre et mieux agir. Nous développons au fil du temps, un langage commun. On s’inscrit ainsi ensemble dans un lien authentique, un lien qui implique et produit peu à peu une mobilisation.
Une proximité politique. Nous sommes confrontés à des minorités qui supportent toutes les violences. Et travailler avec ceux qui sont le plus victimes implique des alliances, implique de se porter de leur côté, de faire des difficultés qui se manifestent, notre affaire à tous.
– Enfin et surtout, la proximité du faire ensemble. C’est en faisant qu’on se rapproche au delà des différences. Nous entreprenons tous ensemble toujours plus d’actions et nous prenons ainsi conscience de tout ce que nous sommes capables d’entreprendre, de créer, de transformer. Ce qui produit un profond sentiment de sécurité quant à notre avenir commun.
La proximité apporte la sécurité nécessaire pour se parler de manière authentique, pour construire un lien de confiance, pour entreprendre des projets, pour mesurer les difficultés, pour s’organiser, se coordonner….
La proximité, c’est la parole qui se libère, c’est l’assurance de pouvoir dire les difficultés, les déceptions, les amertumes sans prendre le risque de la rupture de la relation, mais plutôt pour se donner les moyens de trouver une issue pour régler les problèmes. Pour s’enrichir de nos diversités.
La proximité offre une place à chacun, libère la capacité et l’intérêt de chacun à s’engager avec les autres et en agissant ainsi avec les autres, à s’émanciper.
La proximité permet l’action, la mobilisation, la transformation.
Une solution pour échapper au piège du tout sécuritaire qui construit entre nous un mur de peur, qui sépare, qui interdit, qui nous mutile tous.
Un art de vivre pour habiter ce monde tous ensemble.

 

Le 14 Octobre 2017
Josiane GUNTHER
(1)Laurent Mucchielli « Du besoin de sécurité à la frénésie sécuritaire »
https://www.youtube.com/watch?v=BPNd8jEfgbE
(2) Laurent Ott: Formation Pédagogie Sociale. Cycle 2: les proximités
https://www.youtube.com/watch?v=8infSFlOuCI

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