Il nous faut remettre le monde humain en ordre.

Depuis sa conception, de part sa grande vulnérabilité, le petit d’homme sait que son devenir dépend de son environnement familial et social, et il apprend la compassion, la solidarité. Dans la nature, ceux qui survivent le mieux aux conditions difficiles, des végétaux aux animaux, sont ceux qui s’entraident. Dans les entreprises c’est la coopération qui produit le plus d’efficacité dans le travail, on commence même à parler du caractère contre productif de la compétition. Hors notre monde s’enfonce toujours plus dans les rapports marchands de la concurrence « libre et non faussée ». La sauvagerie managériale qui en découle est sans précédent et produit des ravages en chaîne, à tous les échelons de notre vie en société. Un monde brutal, violent, injuste, dont nous ne voulons pas. On parle également depuis peu, du désengagement de la classe la plus riche de la société installée dans les hyper centres des villes les plus riches et qui n’ont plus de lien avec le reste de la population. Cette sécession remet en question la notion même de notre République « une et indivisible », qui unit les citoyens dans un même engagement à faire ensemble société au travers de cette notion d’intérêt général, de bien commun.

Mais les lignes bougent! On voit un peu partout, se manifester des mobilisations qui relèvent du sens de l’intérêt général, au travers parfois de rencontres improbables. A l’exemple des personnes la ZAD de Notre Dame des Landes avec les habitants d’Aulnay sous Bois qui se sont mobilisés pour sauver « le Galion », promis à la destruction. Un bâtiment considéré comme le « poumon » du quartier, avec sa galerie marchande et tout son réseau associatif. Aulnay a pu compter sur le soutien de militants de Notre Dame des Landes. L’urgence écologique qui a rejoint l’urgence sociale. Les lignes bougent parce que dans ce climat politique et social exacerbé, on cerne mieux ce qui est en jeu depuis des décennies et ses conséquences dévastatrices. La déconstruction méthodique des conquêtes sociales, qui ont assurées des protections pour tous, pour la dignité de tous, avec une égalité de traitement. La dissolution de l’état de droit qui met en danger la majorité de la population. Nous subissons une attaque sur le centre même de notre organisation sociale. Attaque contre l’ensemble des service publiques et de tout ce qui fait lien dans notre pays. Le service public étant la seule richesse de ceux qui n’en n’ont pas.

Les clivages dans la société deviennent évidents. On peut aujourd’hui identifier une continuité entre ce qu’on observe dans les banlieues et ce qui se développe dans la société toute entière. Les problèmes spectaculaires des banlieues semblent se diffuser et se généraliser à une plus large partie de la société. Il se profile un devenir commun, une identité commune. Seulement, dans les différentes luttes, il persiste de la fragmentation et de la dispersion. Comment construire des passerelles entre les situations les plus intolérables des habitants des quartiers les plus populaires et ce que subit le reste de la population, pour aboutir à une dimension universelle des problèmes sociaux? Comment mettre ainsi en évidence les souffrances silencieuses de millions d’hommes et de femmes qui subissent au quotidien les violences sociales les plus destructrices ? Qu’il s’agisse de l’enfermement sur un territoire, de l’absence de perspectives, de la misère qui s’accentue. Eh puis surtout, de n’avoir aucune place pour contribuer à la construction de la société, de ne pas compter, de ne pas être considéré comme membre de la communauté française.

Le danger est bien de maintenir une fracture avec les quartiers populaires, et tous ceux qu’on ne voient et qu’on n’entend plus. Il est impossible de construire un avenir plus juste et plus humain, si nous oublions ceux qui sont le plus à la marge et le plus en difficulté. Il nous faut apprendre à faire société tous ensemble, inventer des formes de solidarités et de luttes réelles pour améliorer les conditions de vie de tous, développer l’entraide.

La réponse qu’apportent les acteurs de la pédagogie sociale c’est de prendre le parti d’être présents, dans la durée, à la périphérie des villes et d’observer, d’écouter en s’impliquant. A la manière décrite par Paolo Freire où la pensée est guidée par la pratique. La pratique d’une réalité de terrain dans laquelle on a choisi de s’engager. Ce parti pris est politique. Nous voulons construire une société inclusive qui considère chacun comme partie prenante dans nos affaires sociales et source d’enrichissement pour la collectivité.

Pourquoi écouter parait-il si déterminant pour transformer les choses? Une écoute, qui donne la parole aux populations les plus à la marge, qui sont exclues de l’espace public et nombreuses à être enfermées dans le silence. Ecouter, c’est permettre aux gens de parler d’eux mêmes. Ecouter une histoire de vie, la douleur, les freins, les impasses. Ecouter et s’émouvoir ensemble. Ces émotions qui permettent de ressentir ce qui se passe en l’autre, sa honte d’une vie empêchée, son sentiment d’impuissance, et de reconnaitre qu’il est toujours debout!

Oser rejoindre l’autre dans cette détresse de ne pas pouvoir se réaliser au plein de sa puissance, c’est nous rejoindre nous même dans notre incapacité à nous réaliser pleinement, en acceptant l’inacceptable, en subissant la domination. Le chemin le plus juste pour reconstruire ce qui nous est commun, et retrouver notre puissance pour agir ensemble, c’est la rencontre, l’écoute, la reconnaissance de ce qui nous lie. On retrouve alors le sens de ce qui est offert: un temps de présence, un espace de rencontre collective qui rend possible autre chose, pour chacun d’entre nous, pour nous tous. Nous retrouvons les bases de notre humanité commune, des centres d’intérêts, des préoccupations communes, des envies! Et ce que nous voulons surtout, c’est offrir à tous les enfants, un avenir digne de ce nom. Que chacun puisse choisir comment il souhaite construire sa vie, choisir une formation, un métier qui lui plaise vraiment, avoir un revenu suffisant pour vivre bien. Cette bataille là, nous pouvons là mener tous ensemble!

L’observation, l’écoute permettent de comprendre la bonne manière de pouvoir s’engager ensemble dans des actions qui font sens pour tout le monde. Par exemple, à Terrain d’Entente nous organisons régulièrement des sorties au hammam. « Le hammam, on le reporte tout le temps ». Il y a des choses plus vitales à tenir pour essayer de construire un quotidien acceptable. Aller au hammam, une préoccupation qui n’a rien de politique ? Et pourtant…. Aller au hammam, prendre ce temps là pour soi et avec les autres , pour prendre soin de soi et des autres , pour se rappeler qu’on a de la valeur et que chacun-e- en a. Une petite exception dans le quotidien, un petit changement, un peu d’énergie retrouvée, et le regard qui change sur soi même, change sur ce qui nous entoure, change sur ce que nous ressentons comme possible. Nous retrouvons le sens, l’envie et l’énergie de construire avec d’autres. Nous comprenons ensemble ce qui est inacceptable et nous retrouvons les moyens de nous organiser pour transformer ce quotidien.

Ecouter… et aussi observer. Paolo Freire rappelle que ce qui reste essentielle pour sortir de la domination, et construire des relations qui soient émancipatrices, c’est de savoir observer et s’imprégner de ce qui nous entoure. Une observation où on prend le risque de se laisser déstabiliser par ce qui se manifeste et ce qui se dit. Une observation où on prend le risque d’interroger la validité de ce qui est pressenti et considéré comme normal, acceptable par le sens commun. Parfois nous sommes face à des comportements, des paroles qui bousculent nos repères et nous déstabilisent. Des comportements face auxquels on n’a parfois aucune réponse. Des comportements que nos schémas habituels de pensée ne nous permettent pas de comprendre. On ne sait pas, on doute, on se trompe. Et c’est dans cette incertitude que notre regard se transforme et nous permet de voir autrement. Cette humilité permet de construire un rapport d’égalité avec les habitants. Nous apprenons d’eux, nous apprenons ensemble.

On peut voir alors que les quartiers ne sont pas un désert politique dominé par l’apathie et le consumérisme. La mobilisation ne passe pas par les cadres conventionnels, mais la demande de justice et d’égalité est bien réelle, l’entraide se construit au quotidien, discrètement, et nous rappelle les valeurs universelles de la république Cette observation permet un retour sur soi, sur ce que j’estime être juste, acceptable, repose les problèmes de fond, sur ce qu’on s’autorise à dire, à faire, à être, nous ramène à des valeurs universelles, essentielles.

Alors d’autres espace de libertés s’ouvrent. Il peut s’envisager avec les autres des actes que l’on peut poser avec force et détermination. On s’autorise des initiatives basées sur l’entraide et la coopération, pour reprendre en main notre quotidien et notre avenir. Les exemples sont nombreux de tous ceux qui ont su élaborer de nouvelles formes d’organisation collective, démontrer qu’il est possible de vivre autrement. Des passerelles fiables et durables se construisent entre nous tous, pour rejoindre la dimension universelle de nos problèmes de société et y inventer des réponse à la hauteur des enjeux.

Cet avenir à construire est possible, si nous savons l’inventer tous ensemble, si nous savons nous appuyer sur les ressources immenses de tous ceux qui restent aujourd’hui invisibles.

Josiane GUNTHER LE 16 Avril 2018

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