Nous sommes des « Ami-litants » !

Nous sommes des « ami-litants »!
C’est au cours de différentes interrogations avec des membres de l’équipe de Terrain
d’Entente que nous avons inventé cette formule de façon à décrire au mieux,ce que nous
recherchons à développer en terme de qualité de présence et ce que nous défendons comme
démarche. Affirmer être « ami-litants » c’est tenter de préciser la façon dont les pédagogues
sociaux s’efforcent de construire une relation avec les personnes qu’ils ont décidé de rejoindre,
pour que ce soit source de transformation sociale.
A Terrain d’Entente, nous accueillons régulièrement des jeunes en formation d’éducateurs.
Hors nous ne sommes pas perçus comme éducateurs par les familles qui rejoignent notre
collectif.
Qu’est ce que représente dans notre société, un éducateur qui a pour mission d’intervenir
auprès des familles?
C’est pour l’essentiel une personne formée, qui a obtenu un diplôme qui certifie qu’elle a des
aptitudes pour prendre soin des enfants et des jeunes, de façon adaptée à leurs besoins. Ce qui
signifie clairement, en creux, que si cette personne doit intervenir dans une famille, c’est parce
cette dernière a été repérée comme n’ayant pas toutes les aptitudes requises pour que ses
enfants puissent grandir dans les meilleures conditions.
A notre sens, c’est une dangereuse façon de focaliser le problème manifesté par certains
enfants, sur les incompétences, les manques, les carences…. L’éducateur serait le détenteur de
la bonne manière de faire, il connaîtrait lui, la bonne posture éducative qu’il va s’efforcer de
transmettre à ces parents défaillants de façon à ce qu’ils reprennent à leur compte ce bon
schéma.
On a suffisamment dénoncé les dangers de cette normalisation de la « bonne attitude
éducative » décidée par la classe sociale dominante, qui se sent légitime à définir ce qui est
éducatif et ce qui ne l’est pas. Elle est en incapacité d’envisager d’autres façons d’être avec les
enfants (plus collectives), d’autres conceptions éducatives.
On sait également cette façon de plus en plus systématique de ne pas interroger l’origine du
mal être repéré, curieusement majoritairement dans les familles issues des milieux populaires.
une société de se développer, de prospérer. Ils imposent leur vision du monde, ils pillent, ils
exploitent, ils mettent à mal l’intérêt général, au point que nous ne l’envisageons plus comme
une référence pour prendre collectivement les décisions, les orientations susceptibles d’ouvrir
l’avenir à tous.
Au fil des décennies, cette minorité a su imposer une vision du monde où chacun est
condamné à se battre contre tous les autres pour espérer trouver sa place parmi les « gagneurs ».
Le danger pour les éducateurs « labellisés », c’est de se retrouver au service de cette idéologie
de la responsabilité individuelle dans toutes les difficultés qui s’accumulent pour certains
d’entre nos concitoyens.
La pédagogie sociale est pour l’essentiel, un engagement, une implication sur des questions
de société qui nous concerne tous. A partir de la conviction que pour construire une société,
vivante, humaine, il faut prendre acte de la diversité, de la multiplicité, de la complexité, de
la vulnérabilité, de l’interdépendance. Personne ne se construit tout seul, personne ne réussit
seul quoi que ce soit. On se construit à partir du tissu social qui nous porte, nous nourrit, nous
encourage, nous reconnaît. Nous estimons même la reconnaissance de la vulnérabilité comme
une ressource pour établir des rapports humains dignes de ce nom. La vulnérabilité reconnue
comme constituante de notre nature humaine, permet pour chacun de pouvoir compter sur les
autres et de compter pour les autres. Elle nous permet de sortir de cette tension insupportable
d’avoir à prouver qu’on est le meilleur et de chercher à correspondre à ce qui est définit
comme l’excellence.
Un pédagogue social a des convictions sur ce qui est juste de construire comme mode de
relation qui nous tire tous vers le haut à partir d’une expérience, concrète, vécue, partagée,
dans la durée. Parce qu’il l’a vit avec tous ceux qui ne comptent pas, qui n’ont plus de place,
auxquels on n’offre jamais les mêmes possibles, il laboure le même sol, avec les mêmes
moyens, avec les mêmes difficultés, les mêmes manques, les mêmes incertitudes, les mêmes
peurs, les mêmes échecs. Les pédagogues sociaux sont donc des militants qui s’engagent pour
construire un espace social émancipateur, avec tous. Adjoindre à ce terme le qualificatif « ami »
permet de mesurer l’intensité et la puissance à laquelle cette démarche nous invite tous.
Un ami, c’est quelqu’un qui compte, qui a du prix à nos yeux, pour lequel on est prêt à risquer
de vivre des situations inconfortables pour soi même. Etre un ami, c’est ne pas compter le
temps que l’on donne, le temps nécessaire pour traverser une difficulté, pour que quelque
chose de meilleur advienne. C’est trouver le courage d’avoir une parole authentique qui met en
évidence les difficultés repérées chez l’autre, parce qu’on sait les reconnaître pour soi même.
C’est être tout proche dans les moments difficiles et être prêt à aller jusqu’au bout d’une
démarche pour espérer régler le problème qui met en cause l’équilibre toujours tellement
fragile pour rester debout. C’est être là toujours et encore, sans être sûr que quelque chose peut
changer, souffrir ensemble de ne pas arriver à trouver une issue, et continuer à espérer
ensemble. Et c’est aussi se réjouir du bien être retrouvé, des réussites. C’est ressentir que ce
combat, ces tâtonnements, ces pas dans le vide, enrichissent sa propre existence, apportent
une autre dimension à la réalité que nous pouvons percevoir, dans cette manière de vivre la
relation, plus haute, plus vaste. C’est se sentir égal en dignité et c’est trouver en l’autre des
ressources supplémentaires pour soi même, des aptitudes qui permettent l’évolution dans son
parcours propre. C’est faire un pas de plus pour sa propre émancipation.
Nous sommes des « ami-litants » parce que nous nous engageons avec ceux qui subissent de
plein fouet la violence des institutions, des décisions des politiques et des puissances
financières. Nous sommes des « ami-litants » parce que nous nous laissons habiter par les
peines et les joies qui nous donnent une réelle détermination à nous engager pour changer la
vie, en prenant tous les risques qui s’imposent à nous. On prend ces risques pour préserver ce
qui est vivant en nous. Et ce qui est vivant, c’est ce qui est libre de toutes les croyances, les a
prioris, les idéologies et qui rend possible un nouvel espace où il peut se créer autre chose qui
nous permet à tous un pas de plus et qui peut tout transformer.
C’est ce que nous tentons de transmettre à tous ces jeunes étudiants qui viennent s’initier à la
pédagogie sociale. Nous apprenons ensemble l’art de se rendre attentif et disponible à ce qui
se manifeste autour de nous, l’art de construire une relation authentique, l’art de reconnaître sa
propre vulnérabilité, l’art de s’engager avec intégrité.
Josiane Günther
22/06/2018

Laisser un commentaire