Pour que les familles des milieux populaires puissent reprendre en main leur destin, repolitiser l’action sociale.

Pour que les familles des milieux populaires
puissent reprendre en main leur destin,
repolitiser l’action sociale.

Nous sommes envahis toujours plus par un discours centré sur les manques, les difficultés, la dangerosité des banlieues, des quartiers. On parle alors de problème de « culture », de manque « d’intégration ». La question sociale a été totalement éludée, l’échec scolaire, le chômage de masse, l’absence de perspective d’avenir, la pauvreté qui s’aggrave…. Le projet libéral a intérêt à créer une frontière qui s’appuie sur des critères autres que sociaux, comme la culture, l’ethnie, la religion.
Nous ne pouvons que déplorer aujourd’hui, le manque de présence militante, d’implication avec les habitants. Une présence qui a permis pendant plusieurs décennies, de remettre en question les rapports de domination, de discrimination, d’injustice. Une présence qui a favorisé, sur ces territoires particuliers, le sentiment d’une appartenance à une classe sociale bien définie, qui nous unissait dans ce que nous avions de commun et pouvait ainsi poser les questions sociales comme une affaire qui nous concernait tous. Avec la volonté de construire tous ensemble, des rapports plus égalitaires et plus justes, une reconnaissance et une place à chacun.
Arrêtons nous un instant sur cette question de la dépolitisation des rapports sociaux.
Depuis plusieurs années, il ne semble plus politiquement correct de parler de conflictualité des rapports sociaux. On refuse d’évoquer les rapports de domination, les rapports de force, les conflits. On préfère parler en terme de « négociation », de « dialogue social ». La volonté est de masquer les clivages sociaux. Les manifestations syndicales sont condamnées, criminalisées, étant estimées trop revendicatives et violentes. A la violence du système libéral qui produit des inégalités et des injustices démesurées, s’ajoute la violence de sa détermination à réprimer toute forme de contestation.
Mais aujourd’hui, dans les banlieues, des mouvements de contestation s’efforcent de dénoncer, de façon radicale, les questions de la violence policière et de la justice répressive, punitive, les discriminations, l’exclusion. Ils revendiquent des rapports d’égalité, plus de justice, une reconnaissance et une place.
Ces manifestations sont en totale contradiction avec cette volonté de lissage de nos relations sociales. Leur expression n’a aucune place dans les débats. Alors de temps à autres, des voitures brûlent, des affichages publicitaires sont détruits…Parfois même des quartiers entiers s’embrasent pendant plusieurs semaines.
L’association Terrain d’Entente reste très préoccupée par la situation des jeunes à Tarentaize. Certains d’entre eux suivent un parcours très chaotique avec des périodes de travail très précaire et de chômage, des passages à l’acte délinquants, des séjours en prison. Ceux là n’ont plus aucun contact avec les adultes du quartier, un sentiment d’impuissance se développe, les adultes responsables du champ éducatif et de la protection n’arrivent plus à s’interroger collectivement sur cette très préoccupante situation.
Comment dans ce contexte, les familles des milieux populaires peuvent devenir auteurs de leur existence en participant de façon concrète à son amélioration?
Elles doivent pouvoir s’engager, avec tous, dans les luttes pour l’amélioration des conditions de vie de tous, pour construire une vie digne de ce nom. Il faut donc s’intéresser tous
ensemble au problème du logement, de la santé, de la scolarité et de la formation, du budget insuffisant pour assurer tous les besoins du quotidien, de tous ces emplois indignes, des travailleurs pauvres, du démantèlement des services publics….
Comment déconstruire cette vision faussée de l’insécurité dans les quartiers?
Ces populations sont maintenues dans les positions les plus défavorisées, les plus dévalorisées. Et on sait tous que l’insécurité, c’est surtout la précarité qui augmente de façon globale et dramatique.
Cette notion d’insécurité sociale s’est manifestée tout au long du XIXème. Elle était liée à la condition du travail. Celui qui n’avait que ses bras comme force de travail, avec le risque de tout perdre à l’occasion d’un accident, avec la maladie, la vieillesse…. L’ubérisation de notre société, n’est-elle pas en train de nous ramener à ce XIXème siècle?
Pendant plus de 100 ans, la lutte contre l’insécurité s’est traduite par la construction d’institutions collectives de protection. La classe ouvrière, les milieux populaires sont à l’origine de toutes ces conquêtes. Ils ont livrés, tout au long de ce siècle, d’âpres batailles pour que vivent de manière concrète et effective, les valeurs de solidarité, d’égalité, de fraternité. Les valeurs fondamentales pour échapper à la barbarie et construire entre tous les citoyens, des rapports qui soient humains.
« Si on abandonne la reconnaissance des principes républicains, on perd le sentiment politique de l’humanité(…. )Quand on voit quelqu’un qui n’est pas respecté dans ses droits on doit souffrir soi même de voir souffrir le droit de la personne du semblable. Quand le prochain est atteint dans ses droits, on atteint le droit qui nous protège tous. C’est l’ensemble de la société qui n’est plus protégée. Les espaces de réciprocité constituent le sentiment fraternel. C’est l’apathie politique qui empêche qu’il y ait de la fraternité.
Refonder ces principes suppose de se redonner notre puissance de citoyen et considérer que tout ce qui se passe doit supposer le droit d’être débattu ». (Sophie Wannich)
Mais nous connaissons la suite de l’histoire, les années 80 marquent un tournant, avec la notion d’austérité, la mise en place de mesures qui ont détruit années après années, les protections collectives.
L’insécurité s’oriente alors sur la question de la délinquance dans les quartiers.
On a été incapable d’enrayer la concentration de la misère, l’économie de survie. Et cette concentration de situations misérables, on va là régler de manière policière, par plus de répression et de violence. Politiquement, c’est très fonctionnel, ça permet de montrer les moyens mis en oeuvre. C’est plus facile que de transformer les situations économiques.
On fait monter la répression et on ne se donne pas les moyens de prendre les mesures pour favoriser le futur, l’intégration.
Pourtant, malgré tout ça, dans les banlieues, il y a la tentative de se projeter dans un autre avenir, de ne pas accepter le présent tel qu’il est, ne plus supporter les conditions d’inégalité mais construire un autre future.
Pour encourager cette reprise en main du destin par les milieux populaires, il faut reprendre notre place, s’engager concrètement, s’impliquer personnellement.
Terrain d’Entente, avec de très modestes moyens, est engagé dans cette construction. Depuis toutes ces années de présence, nous savons mettre en évidence les ressources, les capacités de mobilisation des adultes, les savoirs faire professionnels qui nous permettent de pouvoir contribuer au dynamisme local. Nous sommes de plus en plus centrés sur les envies et nous avons collectivement contribuer à régler certains problèmes.
Nous cherchons les moyens d’exercer de façon effective notre responsabilité collective dans l’éducation et la protection des enfants. Et nous nous efforçons de nous engager, avec les
acteurs volontaires de l’action éducative, pour construire, avec les parents, une communauté éducative, à l’échelle du quartier où chacun se sent responsable, impliqué, à égalité.
Nous encourageons les enfants à partir des conseils qui ont lieu chaque semaine, de devenir partie prenante de nos temps de rencontre, en les accompagnant dans leurs projets pour qu’ils puissent aboutir. Les enfants s’investissent et s’engagent pour des projets qui font sens pour eux. Nous nous centrons sur des modes d’expression artistique (Atelier Théâtre, Atelier écriture, Atelier peinture, Atelier paperolle….). Nous recherchons des modes de manifestation pour mettre en valeur toutes ces productions. On peut dire aujourd’hui: vous connaissez les enfants de Tarentaize? Ah oui, ceux qui ont réalisé l’exposition de peinture à l’amicale de Chapelon, ceux qui ont décoré la librairie croque’linotte avec des origamis, ceux qui ont animé des ateliers paperolles place Jean Jaurès dans le cadre de la fête du livre, ceux qui ont réalisé une émission de radio….
Nous avons construit une communauté de destin avec les habitants du quartier et ça nous amène à répondre aux besoins sociaux qui y émergent. Ces liens de proximité sont la source de notre mobilisation et de notre détermination à vouloir transformer l’inacceptable. Parce que nous ne pouvons pas envisager de transformations sociales sans nous appuyer sur l’expertise et les ressources des familles des milieux populaires.
Ces espaces de pédagogie sociale restent extrêmement précaires et privés de soutien pour poursuivre leur évolution.
Hors il est temps d’encourager les initiatives qui ne s’inscrivent pas dans une gestion des quartiers de type colonial ou occupationnel, mais qui s’impliquent dans la durée en construisant des rapports de proximités pour engager des actions qui transforment les rapports de dominations en pouvoir émancipateurs.
Un petit rappel de l’histoire: l’action sociale repose sur la solidarité de la Nation fixée dès l’article 21 de la constitution du 24 juin 1793 qui déclare : « Les secours publics sont une dette sacrée, la société doit la subsistance aux citoyens malheureux… »
C’est une formulation de l’époque, mais elle affirme l’engagement de l’état, de la société toute entière à ne laisser personne au bord du chemin, comme un devoir « sacré ». Elle traduit la conviction qu’une société se construit et se développe avec tous, sinon, nous prenons le risque pour tous, de plonger dans la barbarie qui nous oppose et nous divise.
Qu’en est-il de ce principe aujourd’hui ? A quelles conditions les associations d’action sociale peuvent-elles retrouver leur capacité à porter sur l’espace public les constats et analyses qu’elles tirent de leur action, à alimenter une critique sociale ?
« Quand le prochain est atteint dans ses droits, on atteint le droit qui nous protège tous ».

Il est temps de re politiser l’action sociale.

 

Josiane GUNTHER
Le 20/11/17

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