Nous avons ouvert un salon de thé éphémère dans le cadre de la Biennal du Design à St Etienne durant le mois de Mars 2017.
La « Biennal » est un évènement très médiatisé qui a lieu tous les deux ans et qui mobilise grand nombre d’acteurs institutionnel.
Terrain d’Entente n’a pas d’ affinité avec cette opération, mais nous avons saisi une opportunité. En voici la genèse:
Depuis quelques mois, nous avions sympathisé avec l’association « Ici Bientôt ». Ses membres s’efforcent, depuis février 2016, de dynamiser les rues dans le quartier Beaubrun , et luttent contre la multiplication des rez de chaussée vacants, en imaginant comment les boutiques vides peuvent retrouver une nouvelle vie.
« Ici Bientôt », depuis de nombreux mois explore, avec les propriétaires de magasins fermés, les élus… des possibilités de projets pour que des boutiques puissent s’ouvrir, que des espaces de rencontre soient ainsi recréer . Cette association nous a donc proposé, dans le cadre de la Biennal, une mise à disposition d’un local pour nous donner l’occasion de vivre cette expérience de prise en charge collective d’un salon de thé, dans la rue de la Ville qui est à 10 minutes à pied du quartier de Tarentaize.
La rue de la Ville, rue piétonne est l’incarnation de ce désert qui s’installe dans nos villes. Un magasin sur deux est fermé, et ce depuis plusieurs années. Cette rue est devenue peu à peu une rue « morte », où l’on ne fait que passer.
Nous ne sommes pas en mesure aujourd’hui, de considérer ce que cette situation produit: mais nous pressentons un véritable malaise silencieux dans la population. La ville se vide de ses espaces de rencontre, la ville se vide de sa vitalité. Nous sommes condamnés à nous déplacer d’un point à un autre pour régler des problèmes, faire des démarches, des achats. Après ce bref passage dans l’espace public, chacun rentre chez soi, faute d’espace de rencontre.
De notre côté, suite aux fêtes de fin d’année, nous avions pu faire le constat, avec les familles adhérentes, que nos capacités à nous organiser collectivement avaient énormément progressé cette année. Nous avions pu en effet accueillir 150 personnes pour partager un repas et différents temps de fête dans de très agréables conditions, grâce à la participation active des uns et des autres.
Il est à noter que le fait de proposer un repas pour 150 personnes ne revient pas à la même chose que de savoir assumer au quotidien la cuisine familiale. C’est une organisation qui relève de véritables compétences professionnelles. Les connaissances de ces familles dans tous ces domaines sont infinies, mais elles restent souvent cachées, elles ont si peu l’occasion de se manifester sur l’espace public.
A l’occasion de ce bilan de fin d’année, une adhérente nous avait annoncé qu’elle avait un agrément qui lui donnait la possibilité d’ ouvrir un salon de thé.
Elle avait réalisé une formation quelques années auparavant, mais n’avait pas obtenu de prêt à la banque du fait de son trop faible budget et avait du renoncer à ce rêve. Elle s’était ensuite résolu à faire des ménages de manière à assurer au mieux, un moyen de subsistance à sa famille.
Ces histoires particulières que nous évoquent au fil du temps les familles avec lesquelles nous cheminons, ont toujours un point commun: l’absence d’un budget décent qui oblige à renoncer à différentes aspirations. L’expérience des quartiers pauvres, c’est l’expérience du renoncement. Le renoncement à des rêves, le renoncement à trouver un travail qui intéresse, qui a du sens, le renoncement à construire une vie meilleure pour les siens….. Tout ce qui peut contribuer de manière générale pour chacun d’entre nous, à s’installer dans une dynamique, est impossible pour tous ceux qui vivent dans la précarité.
A Terrain d’Entente, depuis 6 ans, nous réalisons avec les familles des projets qui aboutissent. Nous vivons le collectif comme une force et une richesse qui permet à chacun de sortir de son sentiment d’impuissance. Nous sommes forts de toutes ces expériences réussies, et nous avons gagné en confiance pour chacun d’entre nous et avec le groupe. Nous retrouvons ensemble cette dynamique qui rend possible toujours plus d’ initiatives.
C’est ce qui explique que Sandra avait saisit l’opportunité de nous lancer un défit avec cette possibilité d’ouvrir ensemble un salon de thé, facilité par son agrément.
L’impact de cette initiative a été stupéfiant. En premier lieu pour notre collectif. Une semaine avant le démarrage de cet évènement, nous nous sommes retrouvées 20 femmes du quartier pour envisager un mode d’organisation. Tout a été élaboré à partir de ces rencontres. Nous avons identifié les besoins matériels et reparti les tâches, plusieurs ont prêté, voire même donné ce qui pouvait nous manquer, nous avons réalisé un règlement intérieur, un calendrier de présence pour la tenu du salon de thé, pour la réalisation des gâteaux…..
Bien évidemment, les tensions ont été à la hauteur de ce pari: assurer l’accueil de publics dans un espace inconnu, de façon professionnelle, sans aucune expérience au préalable de ce type d’ organisation collective. Certaines personnes n’ont pas pu tenir tous leurs différents engagements. Mais globalement, nous avons su nous organiser collectivement et notre présence à cet évènement a été appréciée et remarquée.
Les réactions ont été fortes de la part de nos « clients ». Nous avons été remercié, félicité, encouragé à continuer. Beaucoup sont venus consommer dans ce petit salon de thé, avec surtout la volonté de soutenir cette action.
Beaucoup de ces « clients » connaissaient de près ou de loin la réalité de ce que vivent les familles des « quartiers ». Tarentaize est reconnu comme étant le plus pauvre de la ville. Des familles qui subissent les violences économiques, sociales et politiques.
Ces familles là ont fait la démonstration de leur capacité à se mobiliser pour que tout soit beau, bon et chaleureux, pour que les tarifs proposés soient accessibles à toutes les bourses. Certains même ont été accueillis alors qu’ils ne consommaient rien.
Et il s’agit bien des familles dans leur globalité. Notre salon a été entièrement décoré par les oeuvres des enfants, réalisées tout au long de l’année, certains ados sont venus spontanément pour nous proposer de distribuer l’information sur les heures d’ouverture de notre salon « thé le bienvenu ». Ils ont souhaité parler de cette initiative, au cours d’une émission de radio.
C’est en quelque sorte notre marque de fabrique, le fait de donner à tous, petits et grand,s la possibilité de s’impliquer dans une action. Nous en faisons chaque fois l’expérience, l’intergénérationnel, le multi age, le multiculturel est une force, un souffle qui nous porte tous et qui entraîne chacun.
Nous avons pu ainsi mesurer grâce à toutes ces réactions enthousiastes, à quel point les occasions manquaient au plus grand nombre d’entre nous, de pouvoir s’inscrire dans un mode d’organisation collective pour réaliser quelque chose de concret, que nous décidons en toute liberté, parce que nous y donnons du sens. Cette occasion qui a été pour notre collectif très bénéfique a provoqué d’autres envies, à d’autres, à l’occasion de tous nos échanges dans ce salon de thé.
Nous avons senti que la manifestation de ce dynamisme des familles mettaient en route d’autres envies, que des rencontres étaient souhaitées entre différents collectifs pour mutualiser les possibles des uns et des autres.
Bien sûr cette oeuvre collective a été réalisée au prix de contraintes importantes mais un pas de plus a été franchi, au sein même de notre collectif et sur l’espace public, avec tout le monde, avec toute notre diversité.
Nous sommes désormais considérés comme des acteurs nécessaires pour reconstruire des relations humaines qui produisent du changement. Terrain d’Entente a assuré au même niveau que les autres, en participant à l’ouverture d’une boutique, une remise en route d’une dynamique qui a permis la rencontre, et la circulation de la parole entre de nombreuses personnes qui auparavant ignoraient tout des unes et des autres.
» Il s’agit de trouver de nouvelles voies et de nouveaux outils pour favoriser l’expression des personnes et des groupes; développer le pouvoir d’agir et de produire de ces groupes, dans les domaines économiques, social et culturel. Cela veut dire développer notre pouvoir de vie, à tous. C’est le rôle et la fonction de la pédagogie sociale « . (Laurent OTT)