« Il ne peut y avoir aucune explication qui vaille. Car expliquer c’est déjà vouloir un peu excuser. » Discours d’Emmanuel Valls, deux semaines après les attentats de Novembre 2015.
Des propos qui font étrangement écho à ceux de Nicolas Sarkozy suite aux révoltes des quartiers populaires en 2005 : « Quand on veut expliquer l’inexplicable, c’est qu’on s’apprête à excuser l’inexcusable ».
Les discours politiques, relayés par les médias dominants sont de plus en plus offensifs et agressifs pour décrire le climat de violence et de dégradation des quartiers populaires. Il s’agit chaque fois, de mettre en exergue des profils de comportement inquiétants, dangereux et de les extraire de leur contexte. Au fil des années, au fil des quinquennats, ces discours sont à la fois similaires et de plus en plus marqués par la volonté de constituer des catégories d’individus dans la société, et d’essentialiser les comportements. On nous décrit régulièrement des évènements qui concernent les jeunes des cités surtout, des jeunes envahies de haine envers la société dans son ensemble et qui représentent donc de fait, une menace pour le maintient de nos valeurs républicaines. Tous ces discours justifient les réponses exclusivement répressives. Il s’agit d’éradiquer cette violence et cette menace, de façon définitive.
Si on s’intéresse un peu à notre histoire on ne peut que constater une régression du fait de toutes ces réponses de plus en plus brutales.
En effet, après la seconde guerre mondiale, la solution répressive en matière de redressement de l’enfance délinquante avait montré ses limites. L’État décide alors de donner la priorité à l’éducatif en adoptant l’ordonnance de 1945. Mais cette loi a été réformée 34 fois depuis sa création. Les débats pour justifier le durcissement des sanctions ont fait rage… Et aujourd’hui l’insécurité redevient un thème de prédilection des médias et des politiques, matérialisée en ce qui concerne la jeunesse par le qualificatif « la racaille ».
Que s’est-il passé entre l’Ordonnance de 1945 qui pose les fondements protecteurs de la Justice des Mineurs et les lois répressives des années 2000 ? Comment expliquer qu’au lendemain de la guerre, la société se sente comptable du devenir d’une jeunesse délinquante alors qu’elle choisit aujourd’hui d’en faire son bouc émissaire ?
Ecoutons Laurent Mucchielli (1) qui évoque une série d’évènements qui ont contribués à nous faire accepter la question de la sécurité nationale comme » la 2ème priorité après le chômage »
(colloque de Villepinte en Octobre 1997 à l’initiative de Jospin alors 1er ministre) :
Laurent Mucchielli parle du « tournant dans les année 80,90 », qui contribue à transformer nos visions du monde et qui débouche sur des pratiques sécuritaires de plus en plus répressives.
En 1989, nous assistons à la 1ère « affaire du foulard islamique » qui devient un évènement national et qui nous mènera inexorablement à la loi de 2004 sur le port du foulard.
En 1990, c’est la survenance des émeutes urbaines. Elles produisent une peur imaginaire, celle d’entrer dans une situation à l’américaine, avec des zones de non droit.
En 1991 la 1ère guerre du golf augmente encore cette peur. Les classes dirigeantes ont peur que les habitants des quartiers se rebellent parce qu’ils sont arabes, et provoquent ainsi l’extension du conflit.
Ces différents évènements aboutissent à la mise en place d’une peur fondamentale, celle du jeune immigré des cités, l’ennemi de l’intérieur. Cette peur traverse toute la société.
« L’étranger est un corps étranger« .
Après les attentats du 11 septembre 2001, la question de l’islam surgit. L’aspect religieux est désormais considéré comme dominant dans cette représentation du danger. Le jeune des cités devient le jeune « arabo musulman ». L’islam est perçu comme une religion qui prédispose à la violence. Chaque évènement issu des quartiers populaires nourrit les discours sur la barbarie des jeunes des cités. La lecture des conflits sociaux en terme ethnique remplace la lecture en terme de classe sociale.
Les émeutes de Novembre 2005, puis les attentats de Janvier 2015, justifient le décret de l’état d’urgence.
Nous sommes désormais face à une rupture, une incompréhension majeure avec les quartiers populaires. S’opère un glissement de la notion de sécurité, un droit qu’il faudrait rétablir pour les catégories sociales les plus fragiles, et le maintient de l’ordre qu’il faut instaurer d’une main de fer dans les quartier populaires.
(« De gauche à droite, le lobby sécuritaire a-t-il gagné ? »Conférence/débat avec Laurent Mucchielli, Université d’été du NPA en août 2015).
Il ne faudrait donc pas expliquer pour ne pas risquer d’excuser ces explosions de colère qui surgissent régulièrement dans de nombreux quartiers. Mais une « explication » nous est cependant donnée, elle n’est pas nouvelle. Si ces jeunes se complaisent dans ces comportements déviants c’est qu’ils y sont encouragés par des parents démissionnaires qui ne leur ont donné aucune limite éducative. La réponse est donc claire pour pallier à ces situations inacceptables : la sanction, la répression généralisée.
Hors, les enquêtes sur les conditions de vie qui se dégradent de façon globale dans les quartiers populaires, sur la précarité qui s’installe de façon grandissante, sont de plus en plus alarmantes. On connaît de façon précise, le taux de chômage qui flambe dans les quartiers populaires, et qui concerne d’abord les jeunes. On connaît, de façon précise, la réalité des emplois précaires qui peuvent être proposer pour beaucoup d’entre eux, parfois uniquement sur quelques heures par semaine!….
Mais on connaît peut être moins le non recours aux droits élémentaires, comme les différentes allocations qui n’assurent d’ailleurs que la survie. Ce non recours augmente d’années en années. Il est du, pour la plus part, à la lassitude, au découragement, à la honte. La honte d’être pauvre, la honte de ne pas pouvoir subvenir à ses propres besoins, le sentiment d’indignité d’avoir à demander de l’aide.
Et ces conditions de vie ne devraient avoir aucune conséquence sur les comportements de ceux qui les subissent?
Etre privé d’emploi, être privé d’un revenu décent, c’est être privé de la possibilité de s’insérer dans la société, d’avoir un logement, de fonder une famille.
C’est une jeunesse où la norme dominante est d’être en dehors. Avec le sentiment ne pas être seulement discriminé, mais rejeté, d’être traité comme un parias parce que issu de l’immigration.
La colère des jeunes est structurée par des sentiments d’injustice, d’abandon, d’humiliation qui s’articulent sur leur vie quotidienne.
Alors bien sûr qu’il faut chercher à comprendre, et mettre en évidence la détresse grandissante des habitants, des familles, des quartiers populaires.
Mais il faut surtout témoigner de ce qui existe encore et malgré tout : les capacités de solidarité et d’entraide qui aident au quotidien à ne pas rompre les amarres. Cette façon de se mobiliser pour réaliser des démarches administratives avec ceux pour lesquels c’est trop compliqué. Ces mères de familles qui sont prêtes à remettre en question leur emploi du temps du jour pour accompagner une autre mère à la sortie de l’école, pour inscrire son enfant à la cantine. Elles savent ces femmes combien peut être précieux ce petit temps libéré des enfants pour mener à bien d’autres démarches, pour ne pas se laisser submerger par les innombrables tâches du quotidien. Et ce soutien des unes envers les autres est assuré comme une évidence. L’évidence que notre humanité repose sur ces actes d’entraide au quotidien, l’évidence que d’être ainsi centré sur le bien commun, permet à chacun de se réaliser plus pleinement, de se sentir exister avec les autres.
Il faut témoigner de cette force dont beaucoup d’habitants font preuve, pour sortir de leur isolement et de leur peur, pour participer à la réalisation de projets qui ont du sens et qui servent le collectif.
Alors qu’est-ce que peut produire une démarche qui essaye de comprendre ?
A Terrain d’Entente, à l’occasion de nos ateliers de rue, nous nous heurtons parfois à des explosions d’exacerbations de certains jeunes et nous ne parvenons pas toujours à ne pas rompre le dialogue. Il suffit d’une étincelle, un regard, un mot de trop et nous assistons très vite à une escalade d’insultes, de coups, de menaces envers les autres camarades….
Face à ces situations, le temps long est nécessaire pour essayer de construire un autre mode de relation, un autre rapport à l’autre.
La compréhension des problèmes sociaux ça se joue dans la vie quotidienne. Nous sommes présents tout au long de la semaine, tout au long de l’année, pour répondre à différents besoins.
Chaque fois que nous nous sommes efforcés de mieux connaître la situation particulière de ceux qui manifestaient le plus de rage, le plus de violence, nous nous sommes toujours retrouvés face à un jeune en détresse qui subissait une réalité quotidienne insupportable. Ce qui devient insupportable c’est le cumul des difficultés : les difficultés à l’école avec le sentiment d’être rabaissé intellectuellement, les difficultés de vivre dans un quartier qui est relégué où on se sent abandonné par les institutions, les difficultés de vivre dans une famille où les adultes n’ont plus de pouvoir sur leur propre destin, où les démarches n’aboutissent plus, où le découragement se manifeste par des attitudes d’abandon.
Et chaque fois, nous nous sommes efforcés de manifester une attention toute particulière à ce jeune en lui offrant autant que possible des moments privilégiés avec lui, pour lui, à partir de ses envies. La sanction dans ces situations particulières n’est jamais une réponse suffisante, elle réactive le sentiment de rejet et d’abandon. Nous nous désolons et nous nous inquiétons de constater comment l’école sanctionne par des éviction scolaires à répétition, par des exclusions des établissements.
Nous privilégions l’attitude empathique, l’effort de compréhension, la manifestation de notre intérêt pour ce jeune. Nous sommes alors centrés sur tous les moments réussis avec lui, et nous parlons surtout de ça avec lui, avec sa famille. Notre intérêt est centré sur ce qui va bien.
Ca prend du temps, ce n’est pas spectaculaire, mais ensemble, avec lui, nous faisons l’effort de tenter de traverser cette impasse relationnelle et nous arrivons souvent, pas toujours, mais souvent, à ouvrir un autre espace de compréhension mutuelle. Notre objectif étant de partager avec tous ceux qui souhaitent nous rejoindre, des moments de bien être où chacun peut trouver sa place.
Il faut s’inquiéter très sérieusement de cette rupture, cette incompréhension majeure de la société avec les quartiers populaires. Il faut redonner la parole à tous ces habitants, les aider à conquérir leur place de droit dans la société.
Il faut juste être à leur côté, s’engager avec eux, dans la durée.
Josiane Günther
(1) Laurent Mucchielli: sociologie de la délinquance et de la politique sécuritaire
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